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Vers un nouveau système de représentation des parties par ministère d’avocat devant les juridictions administratives ? Par Elodie Cheikh, Elève-avocate.
Parution : mercredi 18 juillet 2018
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L’avocat occupe une place très importante dans le contentieux administratif. Cette première constatation appelle plusieurs interrogations, notamment celle des critères actuels de définition de l’obligation de représentation.
(Réflexions sur le contentieux administratif - extrait choisi de mémoire de recherche.)

L’avocat occupe une place très importante dans le contentieux administratif. Cette première constatation appelle plusieurs interrogations, notamment celle des critères actuels de définition de l’obligation de représentation.

Bien qu’il existe de nombreuses raisons qui poussent le justiciable à se faire représenter par un avocat devant le juge administratif, il existe aujourd’hui un nombre beaucoup trop important de dispenses relatives à la représentation obligatoire des parties par ministère d’avocat devant les juridictions administratives.

L’existence de telles dispenses, permises par le législateur, pourraient laisser à penser qu’il est préférable pour un juge d’avoir à faire à des requérants ignorant les règles procédurales inhérentes à la matière administrative plutôt qu’à des auxiliaires de justice compétent.

Si la création de nombreuses dispenses semblaient répondre à une nécessité impériale au nom de grands principes du droit comme par exemple, celui de l’accès au juge, il semblerait que celle-ci a eu un effet inverse de celui escompté. Les frontières, trop floues, trop complexes, entre les litiges qui sont soumis à l’obligation de représentation par ministère d’avocat et ceux qui en sont dispensés, frontières parfois même imperceptibles pour un profane du droit, poussent les requérant à recourir à un avocat en toutes circonstances pour introduire leur requête, préférant payer des honoraires et voir le recours aboutir rapidement, plutôt que de devoir perdre du temps à régulariser une requête, déposée à tort sans ministère d’avocat ou de se voir débouter pour n’avoir pas réussi à cerner les spécificités de la matière administrative. En effet, il s’en suit une complication de procédure préjudiciable tant au juge qu’au justiciable.

Comme le soulève P. Gaulmin, « les principaux critères de définition de l’étendue de l’obligation du ministère d’avocat ont d’ailleurs montré leur limite : c’est le cas de la distinction entre recours pour excès de pouvoir et recours de plein contentieux ». [1]

En effet, si le recours pour excès de pouvoir a fait l’objet d’une dispense de représentation obligatoire par ministère d’avocat, c’était pour rendre ce recours moins onéreux pour le justiciable en supprimant les frais liés au paiement des honoraires d’avocat. Néanmoins, cette distinction ne se justifie plus aujourd’hui, eu égard à la mise en place par le législateur de l’aide juridictionnelle qui, permettant une prise en charge totale ou partielle des frais y afférents, instaure des garanties d’un accès effectif à un avocat. C’est le cas de beaucoup d’autres dispenses du ministère d’avocat.

L’avocat a un rôle essentiel. Il est là pour assister son client dès la survenance d’un litige, lors de saisine du juge, à l’audience et ce jusqu’au prononcé de la décision par le juge administratif. Ce praticien du droit met, à la disposition de son client, l’ensemble de ses capacités au service de son client.

L’avocat, présent à chaque étape de l’instance administrative contentieuse, qualifie juridiquement les faits que lui a expliqués son client, afin de les faire entrer dans une catégorie juridique dont dépendra pour partie l’issue du litige, puis ce travail effectué, il livrera le fruit de sa réflexion au juge. Ainsi, l’avocat aide son client, par ses aptitudes spécifiques à préparer une défense de qualité pour qu’il puisse obtenir gain de cause devant le tribunal mais pas seulement, à plaider sa cause devant le juge, qu’il soit de première instance, ou conseiller du Conseil d’État.

L’intervention de l’avocat devant le juge administratif se justifie d’autant plus que les règles applicables devant lui sont difficilement appréhendables par le justiciable. Cette complexité des règles juridiques applicables devant les juridictions administratives ainsi que la multiplication des dispenses à l’obligation de représentation par ministère d’avocat conduit inévitablement à une « opacité du langage juridictionnel ». [2]

L’avocat aide ainsi le justiciable à comprendre le sens des démarches qu’il effectue pour lui, la signification des décisions de justice, et plus généralement, le sens des divers éléments de l’instance.

La présence de l’avocat en cours d’instance est également indispensable pour corriger les inégalités du contentieux administratif qui parfois, conduisent à des situations particulièrement déséquilibrées, où la personne qui n’est pas représentée par ministère d’avocat et se retrouvant seule face à l’État ne dispose, dans le meilleur des cas, que de connaissances partielles du juge administratif et de la procédure applicable devant lui. Cela permettrait ainsi de redonner vie à la citation de M. Chaudet qui affirmait que « le droit procédural est un droit d’égalité. L’inégalité des rapports qui caractérise le droit administratif général a épargné la procédure administrative contentieuse devenue, sous l’influence des principes généraux, un droit d’égalité » [3].

En effet, « en face de ce requérant, en situation de demandeur et seul, se retrouve le défendeur, coutumier au procès, représenté par un agent dont c’est parfois l’unique fonction que de diligenter la procédure » [4] . Ainsi, si le juge peut essayer de rompre ce déséquilibre en subjectivisant quelque peu son rendu de justice et en faisant preuve d’une certaine clémence à l’égard d’un requérant non assisté d’un avocat, il ne peut, « aussi bienveillant soit il, assurer seul cette mission » [5] . Une remarque semble alors s’imposer : simplifier le régime du ministère d’avocat et l’uniformiser faciliterait la tâche du juge dans la mesure où cela favoriserait profondément son office.

La présence de l’avocat permet donc à ce que les parties au litige soient sur un pied d’égalité, au Conseil Constitutionnel de rappeler l’importance de « l’exigence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties » [6].

La présence de l’avocat permet en ce sens de respecter le principe de « l’égalité des armes », consacré par la Cour européenne des droits de l’homme, « selon lequel les parties doivent bénéficier des mêmes moyens pour triompher » [7]. En effet, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le principe de « l’égalité des armes » implique « l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». [8].

Il semblerait ainsi opportun, au vu de l’évolution législative, de simplifier ce contentieux administratif, complexe afin de permettre une meilleure intelligibilité et accessibilité du droit.

Ainsi, l’avocat « occupe aujourd’hui une place très importante dans le contentieux administratif » [9]. Dès lors, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de la subsistance d’autant de dispenses de l’obligation de représentation des parties par ministère d’avocat. Ne serait-il pas alors plus judicieux de réformer le système de représentation des parties en vigueur aujourd’hui, « excessivement compliqué, à force de différenciation » [10] en envisageant un système « beaucoup plus simple de ministère d’avocat, en le rendant par exemple obligatoire dans tous les litiges dont l’enjeu financier est supérieur au montant minimal des honoraires de l’avocat, à déterminer de façon uniforme, et facultatif dans les autres cas dont, par construction, le contentieux de l’excès de pouvoir » [11] .

Une telle solution permettrait « d’atténuer cette dissymétrie initiale (et devenue préoccupante) du contentieux administratif » [12] créée par la survivance de la dispense de l’État au principe obligatoire de représentation des parties par ministère d’avocat devant le juge administratif. En effet, le contentieux administratif « ne devrait plus permettre que le procès offre à la puissance publique une situation encore privilégiée », [13] au nom de la légalité.

Elodie CHEIKH, élève-avocate en droit public

[1GAULMIN (P.), Le ministère d’avocat devant le juge administratif, 1996, p.331

[2DE LAUBADERE (A.), Le Conseil d’Etat et l’incommunicabilité, E.D.C.E. n°31, 1979-80, p.17.

[3CHAUDET (M.)

[4GAULMIN (P.), op cite, p.325

[5Idem

[6CC, 28 juillet 1989, décision 89-260 DC, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier

[7BROYELLE (C.), Contentieux administratif, 2ème édition, LGDJ, Lextenso éditions, ISBN:978-2-275-03870-4, p. 145

[8CEDH, 27 octobre 1993, Dombo Beheer B. c/ Pays Bas, n° 14448/88

[9GAULMIN (P.), op cite, p.329

[10GOHIN (O.), Contentieux administratif, Lexis Nexis, 7ème édition, ISBN 978-2-7110-1547-4, p. 244

[11Idem

[12Idem

[13Idem