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Les réponses administratives apportées aux mouvements violents. Par Alexis Deprau, Docteur en droit.
Parution : mardi 17 juillet 2018
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Contestations d’ordre social et/ou politique, mais encore rencontres sportives, l’État doit faire face à des mouvements organisés qui ont pour but d’aller à l’affrontement et la rencontre avec les forces de l’ordre. C’est la raison pour laquelle l’État a pris différentes mesures administratives pour répondre à ces mouvements. Seront donc évacuées les thématiques liées aux attroupements ou aux violences urbaines pour se focaliser plutôt sur les mouvements d’ordre politique ou les groupes de supporters.

Les interdictions de sortie sur la voie publique.

Si des manifestations ou revendications sont susceptibles de troubler l’ordre public, les autorités administratives peuvent interdire aux manifestants de se déplacer sur les lieux de manifestations à l’image des arrêtés [1] pris par le préfet de police, à l’encontre de dix manifestants antifascistes pour manifester contre la loi travail [2], ou refuser l’entrée en France des manifestants étrangers sur ce motif.

Par exemple pour le dernier cas, et par une ordonnance du 3 avril 2009, M. Henk-Jan DG [3], le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête du requérant qui s’était vu refuser l’entrée en France dans la mesure où il venait en France pour le sommet sur l’OTAN et qu’il était fiché comme extrémiste en Allemagne Black Bloc et interdit de sortie du territoire allemand.

Pour la lutte contre le hooliganisme, la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les bandes violentes, et la loi du 10 mai 2016 [4] restreignent aussi drastiquement les accès aux stades pour les supporters violents, avec l’article L. 332-16 du Code du sport modifié dans le souci de renforcer les mesures d’interdiction administrative de stade, où il est indiqué que : « par son comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations sportives, par la commission d’un acte grave à l’occasion de l’une de ces manifestations, du fait de son appartenance à une association ou un groupement de fait ayant fait l’objet d’une dissolution en application de l’art. L. 332-18 ou du fait de sa participation aux activités qu’une association ayant fait l’objet d’une suspension d’activité s’est vue interdire en vue de l’application du même article, une personne constitue une menace pour l’ordre public, le représentant de l’État dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, prononcer à son encontre une mesure d’interdiction de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public » [5].

La dissolution administrative des associations.

Depuis l’ordonnance du 12 mars 2012 [6], héritière de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées [7], les mouvements radicaux ou subversifs peuvent tomber sous le coup d’une dissolution de leur association, au regard de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ; 2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ; 3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ; 4° Ou dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ; 5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ; 6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger. Le maintien ou la reconstitution d’une association ou d’un groupement dissous en application du présent article, ou l’organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, ainsi que l’organisation d’un groupe de combat sont réprimées dans les conditions prévues par la section 4 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal ».

Les associations dissoutes concernent essentiellement la droite radicale. En effet, des mesures ont été prises à l’encontre des associations Unité radicale [8], Troisième voie et les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) [9], ou encore, le mouvement Jeunesses nationalistes [10] qui est la branche des jeunes de L’œuvre française [11], dont les deux associations ont exercé chacune un référé-suspension, les deux ayant été rejetés [12].

Plus encore, les deux associations ont formé un pourvoi en cassation, car elles estimaient qu’il y avait absence de motivation des dissolutions et que les décisions étaient totalement établies sur des fondements politiques [13].

Le Conseil d’État rejette les requêtes en observant une motivation approfondie des décisions. Le plus étonnant reste cependant l’utilisation du 5° de l’art. L. 212-1 CSI pour fonder en partie la dissolution puisque ce 5° dispose qu’une association peut être dissoute « si elle a pour but de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit s’exalter cette collaboration », alors même que cette incrimination n’a pas été soulevée devant le juge depuis la Libération.

Finalement, cette procédure de dissolution est une arme dissuasive à l’égard des groupements, mais le « principal reproche que l’on adresse à cette procédure est bien sa très grande plasticité aux intérêts du pouvoir politique en place » [14]. Il est évident que sur des sujets aussi sensibles que les groupements politiques, il y ait un prisme politique qui soit abordé par le juge.

La dissolution administrative concerne aussi les associations islamistes, comme, par exemple, Forsane Alizza [15], Retour aux sources et l’association musulman de Lagny-sur-Marne [16].

Par ailleurs, et en lien avec les manifestations sportives, l’article L. 332-18 du Code du sport prévoit aussi la dissolution des associations sportives, selon lequel « peut être dissous, [...] toute association ou groupement de fait [...] si des membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d’une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violences sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

C’est sur ce fondement juridique [17] que l’association de supporters les Boulogne Boys [18] de Paris a été dissoute par le préfet de police sur décision de la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie, le 17 avril 2008 [19], ou plus récemment l’association de supporters Cosa Nostra de Lyon [20].

Enfin, il faut cependant noter qu’aucune association qui a été à l’origine de violences lors de la loi travail en mai 2016 ne fut dissoute, alors même que les militants arrêtés avaient mis en examen pour tentative de meurtre sur des policiers, et qu’ils provenaient d’un mouvement connu, l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA) [21] L’absence de dissolution provient du fait même que ces groupements sont des collectifs et non des associations, qui ne peuvent donc être l’objet de dissolutions administratives. C’est la raison pour laquelle, hormis les interdictions de sortie sur la voie publique, aucune autre réponse administrative n’est possible à leur égard. A cet effet, il en va de même pour les Black Bloc qui sont des groupements éphémères, et qui, par définition, ne se constituent pas en associations.

Alexis Deprau, Docteur en droit, élève-avocat à l'EFB

[1Neuf arrêtés sur dix ont été censurés par le juge administratif, pour exemples : TA Paris, ord., 17 mai 2016, M. T. R., n°1607416/9 et TA Paris ord., 17 mai 2016, M. C. B.-D., n°1607418/9. Dans ces deux ordonnances, le juge des référés saisi dans le cadre d’un référé liberté fondamentale au titre de l’art. L. 521-2 CJA estime non seulement que la condition d’urgence est remplie mais aussi que l’atteinte à la liberté d’aller et venir est manifestement illégale.

[2Article à lire ici.

[3N°0901613

[4L. n°2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme, JORF, n°109, 11 mai 2016, texte n°2.

[5Code du sport, art. L. 332-16 al. 1.

[6Ord. n°2012-351 du 12 mars 2012 relative à la partie législative du Code de la sécurité intérieure, JORF, n°62 13 mars 2012, p. 4 533.

[7L. du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, JORF, 12 janvier 1936, p. 522.

[8D. du 6 août 2002 portant dissolution d’un groupement de fait, JORF, 8 août 2002, p. 13 582.

[9D. 12 juillet 2013 portant dissolution d’une association et de deux groupements de faits, JORF, n°161, 13 juillet 2013, p. 11 684.

[10D. 25 juillet 2013 portant dissolution d’une association, JORF, n°173, 27 juillet 2013, p. 12 616.

[11D. 25 juillet 2013 portant dissolution d’une association, JORF, n°173, 27 juillet 2013, p. 12 617.

[12CE, ord., 25 octobre 2013, Association L’œuvre française et M. B., n°372312 et Association jeunesses nationalistes et M. C., n°372319.

[13CE, 30 novembre 2014, Association L’œuvre française, n°372322 et Association Jeunesses nationalistes, n°372320.

[14RAMBAUD (R.), « Le contrôle du Conseil d’État sur la dissolution des associations dangereuses », pp. 939-944, AJDA, n°16/2015, 11 mai 2015, p. 944.

[15D. n°2012-292 du 1er mars 2012 portant dissolution d’un groupement de fait, JORF, n°53, 2 mars 2012, p. 4 012.

[16D. 14 janvier 2016 portant dissolution de trois associations, JORF, n°12, 15 janvier 2016, texte n°26.

[17L’art. L. 332-18 Code du sport a été introduit par la L. n°2006-784 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives, JORF, n°155, 6 juillet 2006, p. 10 113.

[18Article à lire ici.

[19D. 17 avril 2008 portant dissolution d’une association, JORF, n°93, 19 avril 2008, p. 6 566.

[20D. 28 avril 2010 portant dissolution d’une association, JORF, n°100, 29 avril 2010, p. 7 758.

[21Article à lire ici.