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Droit comparé français / Ohada : la procédure collective du professionnel indépendant en cessation d’activité. Par Geoffrey Kembo, Etudiant.
Parution : jeudi 19 juillet 2018
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Entreprendre une activité sous le statut de son choix s’inscrit également dans le respect de la liberté du commerce et de l’industrie. En effet, l’opérateur au cœur de l’économie peut décider d’exploiter une activité sans créer de structure dotée de la personnalité morale, d’où l’essence même de l’entrepreneuriat. Cela dit, si un tel choix ne constitue pas un obstacle à la participation économique en qualité de professionnel indépendant, il est par conséquent logique que ce dernier mérite une certaine protection au même titre que les personnes morales notamment pour le traitement de ses difficultés financières.

Ce raisonnement est à ce jour consacré sans réserve en droit français et en droit OHADA. Autrement dit, une personne physique qui exploite une activité économique sans lien de subordination et/ou indépendamment d’une personne morale relève dorénavant du droit des entreprises en difficulté [1]. Par ailleurs, le terme de professionnel indépendant est plus ou moins générique, car il tient compte de celui qui exerce une activité commerciale, artisanale, agricole, industrielle ou civile, mais également de toute celle dont la qualification ou la nature n’est pas précisée par une législation [2].

Cependant, les avantages inhérents à l’écran social ne sont pas négligeables. Entreprendre avec ou sans société, ce n’est pas pareil. Ainsi, le professionnel indépendant peut décider de poursuivre l’exploitation de son activité individuelle en constituant une société. D’où la réalisation d’un apport de l’activité individuelle au profit d’une société civile ou commerciale. Cela dit, une telle décision peut susciter plusieurs problématiques notamment celle de savoir comment seront traitées les difficultés financières de l’activité individuelle apportée en société au regard du droit des procédures collectives.

Au fil du temps, la jurisprudence française s’est penchée sur la question, et la cour de cassation a fini par y apporter une réponse notamment par l’arrêt du 16 septembre 2014 lequel renferme néanmoins une particularité. Quant au droit OHADA, il résulte d’une étude en la matière que cette problématique ne lui est pas si étrangère que l’on pourrait l’imaginer, car le juge français a argumenté sa décision sur base des notions qui figurent également en droit OHADA. Cependant, à défaut de réponse, il serait tout de même inapproprié d’affirmer une reprise stricto sensu de l’arrêt précité sans effectuer au préalable une étude dans le fond.

D’où la préoccupation de savoir si le raisonnement du juge français peut être transposé en droit OHADA, sous réserve d’une éventuelle décision en la matière déjà existante.

Les faits.

En l’espèce, un chirurgien-dentiste a constitué en l’an 2000 une société d’exercice libéral unipersonnelle (SELEURL) en vue de poursuivre son activité qu’il exerçait auparavant à titre individuel. Cependant, suite aux cotisations sociales impayées, le 2 mars 2012 la Caisse chargée de les percevoir, en qualité de créancier, l’a assigné aux fins d’ouverture d’un redressement judiciaire .

Décisions du Tribunal et de la Cour d’Appel.

Déboutée au premier degré, les juges de la cour d’appel confirment cette décision au motif que l’action du créancier est prescrite, car elle est formée après le délai d’une année à compter de la constitution de la SELEURL. Autrement dit, le transfert d’une activité individuelle vers une société caractérise une cessation d’activité au sens de l’article L 631-3 du code de commerce, par conséquent toute action du créancier sollicitant l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du professionnel indépendant devenu associé doit se faire dans le délai d’un an à partir de la cessation de l’activité individuelle - constitution de la société - (article L 631-5 alinéa 2, 3° du code de commerce).

Pourvoi en cassation.

Pourvue en cassation, la Caisse reprochait à l’arrêt d’appel que la mise en société d’une activité exercée auparavant à titre individuel par un professionnel libéral constitue un changement du mode d’exercice de la même activité et non sa cessation, ainsi il n’y a pas lieu d’opposer au créancier le respect d’un délai d’un an sous peine de forclusion ;

Ensuite, le juge qui constate l’irrecevabilité d’une telle demande ne peut examiner l’affaire dans le fond sous peine de commettre un excès de pouvoir. A cet effet, dès lors que la cour d’appel avait évoqué les conditions d’ouverture du redressement judiciaire pour justifier sa décision, l’arrêt attaqué devait être censuré pour excès de pouvoir ;

Enfin, il revient aux juges d’appel de vérifier à la date de leur arrêt si le débiteur était ou non en cessation des paiements, et par ailleurs de préciser l’état de l’actif disponible et du passif exigible. A défaut d’avoir procédé de la sorte, les juges du fond ont violé les articles L631-1 et L631-5 du code de commerce, et par conséquent n’ont pas mis la cour de cassation en mesure de contrôler l’existence d’un état de cessation des paiements du chirurgien.

Décision de la Cour de cassation.

Ainsi, la question de droit à laquelle devait répondre la cour de cassation était la suivante : « un professionnel, qui crée une société unipersonnelle pour exploiter son activité individuelle, peut-il faire l’objet, après sa création, d’une procédure collective à la demande d’un créancier pour une dette qui se rattache à son activité antérieure ? ».

La cour de cassation répond par l’affirmative tout en énonçant la solution suivante :
La mise en société d’une activité exercée auparavant à titre individuel caractérise une cessation d’activité qui s’explique par le fait que le professionnel, désormais associé, n’agit plus en son nom propre, mais exerce ses fonctions au nom de la société. Par conséquent, il ne peut être considéré, au regard de l’article L 631-2 du code de commerce, comme un professionnel exerçant une activité indépendante en son nom.

Ainsi, le tribunal peut ouvrir à son encontre une procédure de redressement judiciaire après cette cessation d’activité dès lors que tout ou partie du passif provient de l’activité antérieure. Cependant, lorsque l’ouverture de la procédure est une initiative du créancier, ce dernier doit en faire la demande avant l’expiration d’un délai d’un an qui court à compter de la cessation de l’activité individuelle.

En l’espèce, le délai imparti au créancier pour actionner sa demande était prescrit, ce qui a placé la cour de cassation, au regard de sa solution, dans l’obligation de rejeter le pourvoi.

Cela dit, il n y a aucun doute que la solution retenue par la cour de cassation s’inscrit dans la lignée de ses décisions antérieures, même si la particularité de l’arrêt sous examen permet d’affirmer sans équivoque que la forme de la société choisie est indifférente pour caractériser la cessation d’activité au sens du droit des procédures collectives (I). Dans ce cas, dès lors que la mise en société d’une activité individuelle est effective, cette mutation n’est pas sans conséquences sur le traitement des difficultés financières rattachées à l’activité cessée (II). Reste à savoir, dans chaque partie commentée, les évidences d’un éventuel rapprochement avec le droit OHADA.

(Suite de l’article en PDF)

Geoffrey Kembo

[1En droit français, l’extension du champ d’application du droit des entreprises en difficulté à tout professionnel, personne physique, s’est opérée avec la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Par ailleurs, son effectivité à l’égard des commerçants et des artisans de fait, personne physique, s’est matérialisée avec l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008 portant reforme du droit des entreprises en difficulté. En revanche, le droit OHADA a procédé à cette extension lors de la révision de l’acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (AUOPCAP) en 2015.

[2L’application des termes « activité professionnelle indépendante » renvoi également à une catégorie résiduelle qui englobe tous les professionnels n’entrant pas dans les catégories nommément désignées par le livre VI du code de commerce. Philippe PETEL, Procédures collectives, 8e édition, n° 56.

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