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Avocat collaborateur n’ayant pas prêté serment : salarié ou prestataire de services ? Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : jeudi 19 juillet 2018
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Dans un arrêt du 27 février 2018 (RG 16/02987), la Cour d’appel de Versailles a considéré qu’une avocate collaboratrice n’ayant pas prêté serment devait être considérée comme un prestataire de services, car elle ne prouvait pas sa qualité de salariée.

Cette solution laisse une appréciation aux juges du fond qui selon les pièces du dossier peuvent (ou non) requalifier la relation de travail en contrat de travail ou en contrat de prestation de services.

A cet égard, on verra aussi que dans un arrêt du 19 janvier 2016, la Cour d’appel de Versailles (6ème chambre, RG 14/05107) a requalifié une collaboration libérale en contrat de travail.

L’avocat collaborateur n’ayant pas prêté serment devra établir le lien de subordination s’il veut faire reconnaitre un contrat de travail.

1) Rappel des faits et de la procédure.

Mme Z, avocate devant prêter serment le 4 février 2015, a signé le 5 décembre 2014 avec la SCP Y un contrat de collaboration libérale excluant tout lien de subordination, moyennant une rétrocession mensuelle d’honoraires de 2200 euros hors taxe. Une période d’essai de 3 mois était prévue.

Ce contrat était validé par le Conseil de l’Ordre des avocats de Seine-Saint-Denis le 18 décembre 2014, étant précisé que le contrat ne pouvait prendre effet avant la date de prestation de serment.

Par lettre du 22 janvier 2015, remise en mains propres, la SCP mettait fin à cette collaboration avec un délai de prévenance de 8 jours, tout en dispensant Mme Z de l’exécution de ce préavis expirant le 30 janvier 2015.

Considérant que le contrat de collaboration libérale s’était transformé en contrat de travail, Mme Z saisissait le 4 mars 2015 le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Seine-Saint-Denis, lequel par décision arbitrale du 23 juillet 2015 se déclarait incompétent en raison de la demande relative à l’existence d’un contrat de travail.

Le 2 septembre 2015, Mme Z saisissait le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise, lequel par jugement du 12 mai 2016, dont elle a interjeté appel, la déboutait de sa demande en requalification de son contrat de collaboration en contrat de travail, et de ses demandes en paiement, la condamnant à payer à la SCP Y la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

2) Arrêt du 27 février 2018 : l’avocat collaborateur n’ayant pas prêté serment est un prestataire de services.

La Cour d’appel de Versailles :
- confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise en date du 12 mai 2016, sauf en ce qui concerne la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive et l’article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau ;
- dit qu’un contrat de prestations de service a existé entre la SCP Roulette-Garlin- Boust- Mahi et Mme Z entre le 5 et le 30 janvier 2015, et évoquant ;
- condamne la SCP à payer à Mme Z la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
- la condamne à payer à Mme Z la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu’en appel.

2.1) Pas de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.

La Cour d’appel de Versailles rappelle « qu’il appartient au juge de qualifier la relation contractuelle entre les parties, en recherchant au delà de la forme des contrats quelle a été l’intention des parties et la réalité des relations contractuelles au cours de l’exécution du contrat ».

La charge de la preuve repose sur celui qui « invoque l’existence d’un contrat de travail ».

Selon l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971, modifié par les lois du 31 décembre 1990 et du 2 août 2005, l’avocat peut exercer sa profession, soit en qualité de salarié, soit en qualité de collaborateur non salarié ; il ressort de la jurisprudence de la Cour de Cassation (décisions de 1999, 2000 et 2009) que l’avocat est salarié lorsqu’il est démontré l’existence d’un lien de subordination, caractérisé par un faisceau d’indices, tels que l’organisation du travail dans un service hiérarchisé et les conditions de travail, limitant de fait à la fois la liberté d’organisation de l’avocat et la possibilité de constituer une clientèle propre.

En l’espèce, le contrat de collaboration libérale signé entre les parties le 5 décembre 2014 prévoyait une date d’effet du contrat à compter de la date de prestation de serment, mais la rupture est intervenue le 22 janvier 2015 avant la date de prestation de serment intervenue le 4 février 2015, de sorte que la SCP soutient que la collaboration n’aurait jamais commencé, même si elle convient que Mme Z est venue au cabinet pour échanger avec Mme ... qui allait partir et qu’elle a pu accompagner parfois les avocats du cabinet à des audiences ou à une expertise, sans toutefois effectuer de travail ni avoir reçu de directives, l’ensemble des courriels ne contenant aucune instruction pour un travail à accomplir.

2.2) Travail au sein de la SCP du 5 au 22 janvier 2015.

La Cour relève que Mme Z soutient avoir travaillé au sein de la SCP du 5 et le 22 janvier 2015, sans que la relation de travail ne soit régie par un quelconque statut.

La SCP réplique que le recrutement de Mme Z faisait suite à la démission de Mme ..., collaboratrice libérale de la SCP suivant une lettre du 24 octobre 2014 à effet au 24 janvier 2015, et qu’elle n’avait donc pas besoin de Mme Z avant le 24 janvier 2015.

Il n’y a pas lieu de rejeter l’attestation de Mme ..., secrétaire de la SCP, les termes de son attestation n’étant pas de nature à exclure l’existence d’un contrat de travail entre Mme Z et la SCP ; en effet, le seul fait de dire que Mme Z passait quelquefois au cabinet pour rencontrer Mme ..., sans préciser de dates ou de jours, n’est pas circonstancié ; en outre, certains rendez-vous entre Mme Z d’une part et les avocats avec leurs clients d’autre part,se déroulaient dans les juridictions, comme cela est mentionné dans l’agenda de Mme Z.

2.3) Pièces produites par la demanderesse.

A l’appui de sa demande, la Cour d’appel relève que Mme Z produit les pièces suivantes :
- des courriels échangés entre elle et les collaborateurs de la SCP, la cour retenant comme probants deux courriels : l’un du 14 janvier 2015 envoyé à Maître ... avec en copie un état des créances d’une société ( Mme Z a résumé dans un tableau objet de la pièce jointe) sur le point de déposer le bilan ; l’autre du 15 janvier 2015 envoyé à un collaborateur du cabinet ( mail du cabinet RGMB initiales des 4 associés) avec en copie des conclusions pour un dossier devant le tribunal d’instance d’Aubervilliers, conclusions produites par Mme Z, à partir de modèles envoyés par la secrétaire du cabinet par courriels des 5,6 et 7 janvier 2015, les autres courriels n’étant pas explicites sur le travail prétendument accompli par Mme Z ;
- une feuille de présence à une réunion d’expertise du 19 janvier 2015, comportant le nom et la signature de Mme Z, en tant que représentant de Maître ... collaborateur ou/et associé de la SCP ; sur ce fait, la SCP ne disconvient pas que Mme Z était bien seule présente pour cette réunion, Maître ..., qui devait venir, ayant eu une panne de véhicule, comme elle en justifie par la production d’une attestation de la société de dépannage.
- une copie de son agenda de janvier 2015 avec des mentions manuscrites indiquant des audiences, des démarches (déposer des factures chez des clients du cabinet les 14 et 15 janvier), des recherches avec le nom des affaires.

2.4) « Situation d’action au travail » mais pas de contrat de travail.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’appel de Versailles considère qu’il est établi que pendant la période litigieuse, Mme Z s’est trouvée en action de travail au cabinet de la SCP, rédigeant des projets de conclusions, accompagnant les avocats du cabinet à des audiences, substituant un des avocats lors d’une réunion d’expertise, allant déposer des factures chez des clients du cabinet ; si ce travail n’était pas celui d’un avocat expérimenté, il constitue néanmoins un travail, qui cependant n’a pas été exécuté dans le cadre d’un lien de subordination, Mme Z n’établissant pas avoir reçu de directives et ayant eu un accès libre aux dossiers des clients du cabinet afin de reprendre le travail de Mme .

Mme Z précise qu’elle travaillait de 9h à 20h, ce qui est certes compatible avec les horaires auxquels les quelques courriels produits ont été envoyés et les heures des audiences auxquelles elle s’est rendue, mais insuffisant pour prouver que ces horaires lui étaient imposés par la SCP.

Par ailleurs, la SCP, à l’occasion de la rupture, a versé à Mme Z un chèque de 2 300 euros (soit 2 200 euros outre 100 euros de frais d’essence), montant de la rémunération mensuelle convenue dans le contrat de collaboration, ce qui constitue un indice d’anticipation de fait du début de la prise d’effet du contrat de collaboration libérale.

Il convient donc de rejeter la demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, faute de preuve du lien de subordination. Les demandes connexes y compris la demande d’indemnité de travail dissimulé seront également rejetées.

3) Contrat de prestation de services entre la collaboratrice et la SCP.

En revanche, il apparaît que la SCP a anticipé le début du contrat de collaboration libérale à compter du 5 janvier 2015, la rupture de la période d’essai ayant été formalisée par la lettre en date du 22 janvier 2015, alors que ce n’était pas légalement autorisé, faute de prestation de serment de Mme Z.

La cour constate que cette relation contractuelle qui s’est nouée entre le 5 janvier et le 30 janvier 2015 correspondait à un contrat de prestations de services, relevant de la compétence du tribunal de grande instance du siège de la société.

Vu l’ancienneté de l’affaire, la cour décide d’évoquer donc pour statuer sur la demande de dommages et intérêts.

3.1) Dommages intérêts si la rupture est fautive.

La rupture d’un contrat de prestations de services peut donner lieu à des dommages et intérêts si elle est fautive.

Mme Z soutient que sa période d’essai a été rompue par la SCP en raison de son retard à sa prise de travail au cabinet le premier jour de travail ; elle estime avoir exposé des frais par la faute de la SCP, notamment en achetant un véhicule le 24 décembre 2014 au prix de 2800 euros, la SCP ayant dans son annonce de recrutement mentionné la nécessité d’avoir un véhicule ; elle déclare avoir subi un préjudice moral du fait de l’annonce de la rupture du contrat de travail peu de temps avant sa prestation de serment.

Or, concernant le motif prétendu de la rupture, Mme Z n’apporte aucun élément au soutien de ses allégations.

Comme le relève la SCP, Mme Z bénéficie désormais d’un véhicule personnel qui reste utile à son activité d’avocat et n’établit pas avoir subi un préjudice professionnel, ne produisant aucun élément sur sa situation depuis cette rupture.

La cour estime que l’indemnité de 2300 euros versée à Mme Z l’indemnise justement du temps passé à travailler au sein de la SCP soit environ 3 semaines, et du temps perdu pour démarcher un autre cabinet.

3.2) La Cour d’appel reconnait le préjudice moral de la collaboratrice car la rupture contractuelle a occasionné de l’anxiété pour Mme Z et a compromis ce moment important (qu’est la prestation de serment) pour une jeune avocate.

Toutefois, la SCP, qui s’était engagée le 5 décembre 2014 à contracter un contrat de collaboration libérale avec Mme Z, a commis une faute en utilisant les services de cette dernière, sous couvert d’une prise de contact avec le cabinet et sa clientèle, sans lui permettre de bénéficier du contrat de collaboration libérale qui n’a jamais reçu effet, et en rompant la relation contractuelle, que la cour a requalifié en contrat de prestations de services, peu de temps avant la réalisation de la condition suspensive affectant le contrat de collaboration libérale, à savoir avant la date de la prestation de serment de Mme Z le 4 février 2015.

Le préjudice moral de Mme Z, subi du fait de la rupture contractuelle et de l’absence d’exécution du contrat de collaboration libérale malgré un engagement de la SCP, seulement 2 semaines avant la date de sa prestation de serment, est réel, dans la mesure où cette rupture aurait pu empêcher sa prestation de serment, ce que dont la SCP avait connaissance, et ce qui a occasionné de l’anxiété pour Mme Z et a compromis ce moment important pour une jeune avocate.

A ces titres, la Cour d’appel alloue à Mme Z la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Vu la solution apportée au litige, il y a lieu d’allouer à Mme Z la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et de mettre les dépens de première instance et d’appel à la charge de la SCP, principalement responsable de la survenance du litige.

4) Portée de l’arrêt.

Dans un arrêt du 19 janvier 2016, la Cour d’appel de Versailles (6ème chambre, RG 14/05107) a requalifié une collaboration libérale en contrat de travail.

Pour requalifier en contrat de travail, la Cour d’appel de Versailles a relevé que

« (…)la période litigieuse ne pouvait être qualifiée de collaboration libérale puisque Mlle Z n’avait pas encore prêté le serment d’avocat ainsi que Mme Y ne pouvait l’ignorer, puisque ce fut le motif de l’élaboration du deuxième exemplaire du contrat de collaboration signé le 12 juillet 2012, à la demande de l’Ordre des avocats, qui ne devait prendre effet précisément qu’"’à compter de la prestation de serment’"’ ;

Or considérant que la réalité du travail accompli par Mlle Z du 5 juillet au 27 août 2012 n’est pas contestable’ ; qu’elle ressort des termes de l’attestation de l’assistante juridique de Mme Y, des messages téléphoniques écrits par Mme Y, elle-même, à l’appelante, et des indications de cette dernière dans sa correspondance à Mlle Z du 25 octobre 2012 ;

Que ces éléments convergent pour établir que Mlle Z travaillait avec les clients, sur les instructions et sur les dossiers de Mme Y, à laquelle elle rendait compte de ses diverses démarches’ ;

Que l’appelante pendant ces quelques semaines n’avait donc d’autre statut que celui de salarié, dans l’attente de pouvoir faire usage du titre d’avocat et du statut de collaborateur libéral ».

4.1) Pour les avocats collaborateurs n’ayant pas prêté serment.

La preuve du lien de subordination n’est jamais facile à établir pour l’avocat collaborateur qui n’a pas encore prêté serment.

A cet égard, en matière de requalification des contrats de collaboration libérale en contrat de travail, il faut relever que la Cour de cassation est souvent plus sévère pour les avocats que pour les participants à des émissions de téléréalité, pour apprécier le lien de subordination.

Il est recommandé aux collaborateurs, dans la mesure du possible, de conserver tout élément de preuve de nature à établir un lien de subordination.

En pratique, le collaborateur a souvent d’autres choses à faire car il a signé son contrat de collaboration et attend souvent avec impatience de prêter serment.

Il pourrait être reproché aussi à l’avocat collaborateur n’ayant pas prêté serment, l’exercice illégal de la profession d’avocat (article 74 loi n°71-1130 du 31 décembre 1971).

4.2) Pour les cabinets d’avocats employeurs d’avocat collaborateur n’ayant pas prêté serment.

La seule « parade » est de débuter la collaboration le jour de la prestation de serment.

Toutefois, en pratique, il n’est jamais facile de faire coïncider ces dates.

La situation est aussi risquée pour le cabinet d’avocats qui emploie l’avocat collaborateur avant sa prestation de serment.

En effet, il s’expose à une requalification en contrat de travail et une action en travail dissimulé [1].

De plus, l’avocat collaborateur (qui n’a pas prêté serment), prestataire de services n’est pas soumis au secret professionnel, ni à la déontologie contrairement à l’avocat collaborateur qui a prêté serment et à l’élève avocat.

CA Versailles 19 01 2016
CA Versailles 27-02-2018
Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1cf CA Versailles, 6ème Ch RG 14/05107, précité.