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Licenciements : pourquoi l’employeur doit porter une attention particulière aux demandes de précisions des salariés. Par Grégory Chatynski.
Parution : lundi 23 juillet 2018
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Il est désormais connu que l’employeur peut, à son initiative ou à la demande du salarié, apporter des précisions quant aux motifs énoncés dans la lettre de licenciement, au sens des articles L 1235-2 et R 1232-13 du code du travail. Préciser un motif de licenciement, ce n’est pas ajouter un motif supplémentaire, qui aurait été « oublié », à une lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Mais préciser, ce n’est pas non plus répondre à des demandes de salariés qui excéderaient les droits prévus par ces textes. Un point sur cette question.

Le salarié peut être à l’origine d’une demande de précision des motifs du licenciement. En effet, l’article R 1232-13 du code du travail prévoir clairement que « dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, demander à l’employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement ».

Les annexes du décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017 établissant des modèles types de lettres de notification de licenciement, incitent les employeurs à porter dans les lettres de licenciement la mention suivante : «  Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. (…). »

De nombreux salariés, forts de cette information, s’approprient ce droit nouveau, ce qui est de leur intérêt.

En effet, si le salarié ne demande pas à l’employeur de préciser les motifs du licenciement dans les conditions de l’article R 1232-13 du code du travail, l’insuffisance éventuelle de motivation ne privera plus à elle seule le licenciement de cause réelle et sérieuse, le salarié ne pouvant alors bénéficier que de dommages-intérêts plafonnés à un mois de salaire.

A contrario, le salarié qui forme une demande de précision des motifs du licenciement, peut faire juger, sans réponse ou sans réponse satisfaisante de l’employeur, que l’insuffisance de motivation confine à une absence de motivation, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec toutes conséquences indemnitaires.

Dès lors, pour un salarié licencié, demander ou ne pas demander des précisions sur les motifs du licenciement peut avoir une influence très directe sur les indemnisations auxquelles il peut prétendre.

Il est donc logiquement observé une recrudescence de telles demandes, auxquelles il est conseillé à l’employeur de répondre, et ce même s’il considère que la motivation est, à ses yeux, complète, c’est-à-dire qu’elle reprend tous les motifs réels et sérieux d’une mesure de licenciement.

Il peut se satisfaire alors d’écrire au salarié, sans entrer dans aucun détail, que « les motifs visés dans la lettre de licenciement sont particulièrement explicites et visent des faits et des situations clairement identifiées et détaillées, justifiant pleinement la rupture du contrat ».

Il peut aussi, naturellement, apporter toute précision qu’il estime utile, et qui pourrait lui servir à donner du corps à une motivation initiale « légère ».

L’employeur est, en tout état de cause, seul juge de l’intérêt d’apporter ou non une précision au motif du licenciement ; il peut donc légitimement estimer ne pas devoir répondre positivement aux demandes de son salarié s’il considère que les précisions sollicitées par ce dernier sont susceptibles de le desservir.

Il convient en effet de prendre garde à ne pas tomber dans certains pièges.

Certains salariés peuvent en effet, sous prétexte de précisions, tenter d’obtenir de l’employeur des preuves des motifs de licenciement, ou des précisions sur des faits qui ne concernent pas les motifs à proprement parler du licenciement.

Ainsi, peut-il s’agir, par exemple, de demandes tendant à obtenir des documents (plans d’action, feuille de présence …, ou tout autre information écrite en rapport avec l’activité de l’entreprise ou le poste du salarié), ou des indications sans rapport avec les motifs du licenciement, qui pourraient tendre à nourrir une action contentieuse.

L’employeur, qui n’a aucune obligation de communiquer au salarié les preuves du motif du licenciement avant toute action prud’homale, a donc tout intérêt, au stade d’une demande de précision, à ne pas se dévoiler plus que nécessaire, et donc à ne pas répondre positivement à ce qui excéderait ce qui est strictement prévu par l’article L 1235-2 du code du travail, à savoir « les motifs énoncés dans la lettre de licenciement ».

Il peut apporter une réponse ainsi formulée : « Nous rappelons que n’existe aucun fondement légal vous autorisant à nous demander des documents (par ex, « v » ; « w » …), et nous contraignant à vous les communiquer. Et nous n’avons pas à répondre à l’ensemble de vos demandes de « preuve » des motifs de licenciement. En effet, les textes visent à nous permettre de préciser les motifs du licenciement, et uniquement ceux-ci. Par ailleurs, nous relevons que vous demandez des précisions sur des faits qui ne font pas partie des motifs de votre licenciement, sur lesquels nous n’avons pas à nous prononcer (par ex, « x » ; « y » ; « z »…) ; il en est de même s’agissant d’éléments de contexte, ou de rappels de faits historisés. Enfin, s’agissant précisément des motifs, ceux visés dans cette lettre sont particulièrement explicites et visent des faits et des situations clairement identifiées et détaillées, justifiant pleinement la rupture du contrat ».

La difficulté reste toutefois grande de définir ce qu’est une « précision » d’un motif de licenciement, et le contentieux en la matière reste grand ouvert : une précision de l’employeur serait-t-elle considérée par des juges comme un motif complémentaire interdit ? dans cette hypothèse, un plaideur malin pourrait-il faire juger que cette situation serait la preuve que le motif initial n’était pas suffisamment précis, et que, donc, le licenciement serait nécessairement sans cause réelle ni sérieuse ?

L’analyse des décisions judiciaires à venir éclairera ces questions, mais la prudence reste de mise quant à l’intérêt de l’employeur d’apporter ou non des réponses à des demandes de précision du motif du licenciement.

Grégory Chatynski Responsable juridique droit social Ancien Conseiller prud\'homal Employeur, Industrie Conseiller prud\'homal Employeur, Encadrement (2023-2025)