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L’éclat de la formation professionnelle rénovée cache son talon d’Achille. Par Sandy-David Noisette, Docteur en droit.
Parution : lundi 23 juillet 2018
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La réforme 2018 relative à l’apprentissage, l’assurance chômage et la formation professionnelle vise essentiellement à éluder le risque de chômage. Attendue par l’ensemble des salariés précaires, mais aussi des acteurs économiques et sociaux, elle révèle un ensemble de mesures socialement justes. En plus d’être consensuelles, celles-ci invitent à renforcer l’employabilité des salariés, en emploi ou en devenir, tout comme la sécurisation de leurs parcours professionnels. Si, conjoncturellement, les avancées sont indéniables, structurellement elles ne semblent pourtant pas en mesure de lutter efficacement contre certaines inégalités.

La réforme 2018 relative à l’apprentissage, l’assurance chômage et la formation professionnelle vise essentiellement à prévenir et lutter contre le risque de chômage. Elle s’inscrit dans le programme de travail du Gouvernement propre à rénover notre modèle social tout en complétant la réforme du droit du travail mise en œuvre par le législateur ces deux dernières années. Elle succède à d’autres réformes, de plus en plus fréquentes en la matière.

Après celles de 2004, 2009 et 2014, celle proposée le 5 mars 2018 par Mme la Ministre Muriel Pénicaud promet d’être la mère de toutes. Outre les avancées concernant les salariés en situation d’emploi, les mesures proposées présentent la particularité d’agir sur les transitions entre les situations d’activité. C’est alors qu’elles viennent compléter les adaptations propres aux emplois occupés ou intermittents en nourrissant une nouvelle définition de la « flexicurité ».

Loin de tomber dans l’incantation, les ambitions répondent d’une action pratique, éminemment portée par les conclusions empiriques que tout analyste aura pu tirer du fonctionnement de notre marché du travail ; de surcroît, le champ d’application, pluriel, concerne l’ensemble des intéressés. Ainsi, les douze mesures-clés servent globalement, et à parité, les intérêts des deux parties au contrat. Les seules institutions qui semblent en pâtir à court terme sont celles qui, dans de multiples domaines, sont structurellement amenées à renouveler leur politique, à savoir les branches d’activité.

L’analyse permet de défendre une réforme qui se veut pleine de promesses. Elle fait voler en éclats des concepts anciens (tel l’emploi) ou péjorativement connotés (notamment celui de flexibilité). Elle accompagne les transitions tout en protégeant, en théorie, les salariés actuellement en emploi. Au final, si les mesures étaient socialement attendues (I) elles invitent les plus sceptiques à ne point douter, présomptivement, de leur pertinence (II).

I – Une réforme citoyenne.

Les mesures défendues visent une double ambition : 60% d’entre elles servent directement les intérêts des bénéficiaires (salariés et demandeurs d’emploi), 40% ceux des entreprises. Concrètes et adaptées au désir de justice du XXIème siècle, elles trouvent une unité dans le refus de l’assignation sociale tout comme dans la volonté d’une certaine responsabilisation par le travail. De plus, comme en matière de conventionnalisation du droit du travail, la tendance à l’éloignement de l’intervention sociale classique se renforce puisque l’autonomie des intéressés est manifestement encouragée.

A) Des mesures justes.

Parmi les mesures concernant directement les salariés, la plus emblématique est assurément celle concernant l’abondement du compte personnel de formation (CPF) de 500 euros par an, majoré à 800 euros pour ceux d’entre eux considérés comme non qualifiés. De plus, par le moyen de la négociation collective, les plafonds de 5000 ou 8000 euros peuvent être abondés par l’entreprise et la branche. Outre ces aspects financiers, la consolidation des droits et de l’accompagnement des salariés va permettre de valoriser le parcours de formation des intéressés. Ainsi, les salariés à temps partiel bénéficient des mêmes droits que ceux à temps plein, mesure qui devrait majoritairement bénéficier aux femmes puisqu’elles sont concernées à 80% par le temps incomplet. De plus, une application mobile CPF permettra à toutes et tous de connaître leurs droits et de les mobiliser en toute simplicité. Cette mesure numérique vise une volonté de simplification puisque la difficulté à mobiliser les droits est le plus souvent la conséquence de dispositifs épars et peu lisibles nourrissant par là même une certaine suspicion sur l’équité du modèle proposé. Ce recours encouragé au dispositif sera des plus pertinents si le nouveau conseil en évolution professionnelle joue, dans le même temps, pleinement et en transparence son rôle d’accompagnement.

Nonobstant les ambitions économiques, il est heureux d’observer que ces mesures renforcent le dessein républicain de notre démocratie. Selon Jaurès, dans son texte le plus célèbre, le Discours à la jeunesse de 1903, la République devient citoyenne si elle garantit, dans un grand acte de confiance, l’accès et l’exercice de tous les droits . La réforme Pénicaud œuvre en ce sens : il est satisfaisant de constater que tous les actifs pourront bénéficier des avancées, puisque même les demandeurs d’emploi les plus fragiles auront désormais davantage accès à la formation grâce au plan d’investissement dans les compétences. Ce plan, pour lequel les Régions seront contractuellement mises à contribution (15 milliards d’euros dédiés), propose un changement d’échelle et de méthode : la volonté affichée est de former additionnellement un million de demandeurs d’emploi ainsi qu’un million de jeunes éloignés de l’emploi d’ici cinq ans tout en ayant recours à des appels à projets permettant d’encourager expérimentations et innovations : l’efficacité semble directement visée.

Cette efficacité passe aussi, pour Mme la Ministre Pénicaud, par le développement de l’alternance. Selon l’ANI du 22 février 2018, cette voie de formation doit devenir une voie à part entière, ouvrant sur une diversité de parcours possibles . L’atteinte de cet objectif ne peut se faire sans l’engagement des employeurs. C’est pourquoi, comme conséquence des libertés qu’offrent leurs pouvoirs, il leur est demandé d’être, plus encore, garants des conséquences de leur action. L’embauche d’un apprenti n’est pas anodine et si, a minima, la responsabilité qu’elle entraîne trouve son origine dans les sources de droit, elle peut aussi résulter d’un engagement volontaire. Dans les deux cas, l’employeur doit s’imposer une culture du devoir ; il est en effet trop souvent confondu la forme anonyme et capitalistique de l’entreprise libérale avec ce qu’elle est réellement, un collectif d’actions. Il a donc le devoir de développer ce qui, en matière de formation par alternance (contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation) est au cœur de la création de valeur, à savoir l’accompagnement.

Ce postulat de performance a sans aucun doute motivé les signataires de l’accord dans la mesure où l’exigence de qualité recherchée amène entreprises et centres de formation d’apprentis (CFA) à participer à la construction d’une véritable « chaîne de l’accompagnement », depuis la recherche de contrat jusqu’à l’insertion pérenne dans l’emploi. Autrement dit, les acteurs doivent faire œuvre de responsabilité sociale : outre la transmission du savoir-faire et du suivi des jeunes qui seront placés en situation d’alternance, les « entreprises apprenantes » devront se conformer aux prescriptions négociées au sein des branches professionnelles aux fins de parfaire le parcours de formation du salarié tutoré.

L’ensemble de ces propositions se révèle juridiquement pertinent dans la mesure où deux tiers des formations du CPF sont suivies par les demandeurs d’emploi. Cette « innovation » peut se percevoir comme une matérialisation de la téléologie du droit, le Pr. Michel Villey rappelant que le rôle du droit est d’attribuer à chacun le sien. Finalement, si socialement et juridiquement les avancées semblent manifestes, économiquement le renforcement de l’égalité d’accès à la formation est de nature à réduire, en théorie, une segmentation du marché du travail qui a valeur de spectre pour tous les démocrates.

B) Des mesures consensuelles.

Les conditions d’efficience du dispositif proposé seront assurées si le dialogue social vit en son sein. Tout l’enjeu consiste à promouvoir le consensus et un équilibre partagé par l’ensemble des acteurs. A défaut, le risque d’opportunisme ne fera qu’encourager la triste dualité asymétrique habituellement constatée sur le marché de l’emploi, les entreprises demandant plus de flexibilité et les travailleurs plus de sécurité.

A l’analyse, la réforme donne corps, plus encore, à l’émancipation structurelle du droit négocié dans notre pays. On peut rappeler que la négociation collective est née des luttes sociales qui ont émaillé l’histoire de la France au XXème siècle, le législateur l’ayant reconnue par la promulgation de la loi du 25 mars 1919 en instituant une nouvelle norme : la convention collective de travail. Progressivement, elle s’est étoffée en permettant aux salariés d’une même branche professionnelle de bénéficier des mêmes droits sociaux. De là sont nés les conventions et accords collectifs selon l’étendue de la négociation. Les accords nationaux interprofessionnels (ANI) sont ensuite venus enrichir le processus de production de la loi. Nés du dialogue qui s’instaure au cœur de la démocratie représentative patronale et syndicale, les ANI sont potentiellement démultiplicateurs en terme d’efficacité puisque ces textes nationaux, signés par les deux parties, font ensuite l’objet d’une loi, le législateur formalisant traditionnellement dans de nouvelles dispositions les modalités de l’accord obtenu.

Même si les ANI peuvent souffrir généralement d’un temps de conception qui peut s’avérer long, celui concernant la formation professionnelle n’aura nécessité que treize semaines de pourparlers. Marqué par la célérité, l’ANI pour l’accompagnement des évolutions professionnelles, l’investissement dans les compétences et le développement de l’alternance, aura nourri le projet de loi adopté par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale le 1er juin 2018 et, en première lecture, par l’Assemblée Nationale le 19 juin 2018. Si les espérances en terme d’efficacité restent supposées, on voit se dessiner un consensus évident. En tout cas, l’examen du projet de loi témoigne de son sérieux. Même s’il est originellement né de la « cuisse de Jupiter », contrairement aux dernières lois sociales il repose sur un diagnostic partagé en s’appuyant largement sur l’ANI conclu le 22 février 2018 . Celui-ci fut obtenu à l’issue de trois mois de négociations qui, après avoir commencé à l’Élysée, se sont poursuivies « rue de Grenelle ». Les treize séances thématiques de négociation auraient même pu être réduites si celle-ci n’avait pas souffert du désaccord entre les Régions et le Medef sur le pilotage de l’apprentissage. Cet accord vient en tout cas renforcer les avancées qu’avait permis l’ANI du 14 décembre 2013 qui donna corps à l’exercice du droit attaché à la personne qu’elle a institué.

Ce consensus est séduisant car il concerne un point nodal dans le souci d’efficacité : les transitions, caractérisant les entrées et sorties du marché du travail. Sont particulièrement ciblées la réponse aux nécessités d’évolution, de transformation et de développement des compétences mais aussi l’idonéité de la connaissance des besoins réels de formation et pour laquelle, l’entreprise devient placée au cœur du processus de définition. Enfin, en tant que modalité, la certification professionnelle est placée au centre d’un système de promotion de la compétitivité ; elle en devient, selon l’ANI du 22 février 2018, sinon un outil de promotion sociale, en tout cas un levier majeur du développement des entreprises.

II- Une réforme pertinente.

Pour deux raisons, l’ensemble des mesures doit -a priori- être jugé positivement par la doctrine.

Tout d’abord, la société évolue et les politiques de l’emploi ne peuvent rester figées surtout quand elles se révèlent lacunaires. On savait déjà depuis la fin des Trente Glorieuses que l’emploi durable au sein d’une entreprise ne peut que difficilement être garanti. Cette situation ne fait que s’amplifier à l’heure des disruptions que génère l’ubérisation des processus de production. Si les monopoles technologiques, légaux, organisationnels et économiques s’étiolent pour les firmes, il en est désormais de même pour les salariés. Sauf en situation de monopole ou de protectionnisme, l’emploi stable ne peut plus bénéficier de mesures de sauvegarde autres que sa pertinence économique. Force est de constater que le législateur lui-même encourage ce nouveau paradigme ainsi qu’en témoignent les dispositions portées par l’art. L. 1235-3 C. trav. relatif à la barémisation du licenciement abusif ou encore les évolutions dans l’appréciation du motif économique du licenciement (art. L. 1233-3 C. trav.).

Ensuite, des concepts anciens mais renouvelés font florès (employabilité, flexicurité) alors même que des espaces de régulation multiples apparaissent (territoires, Unités Économiques et Sociales, droit du travail) afin de mieux appréhender des problématiques qui répondent à l’émergence patente d’une nouvelle demande sociale.

A) De l’emploi à l’employabilité.

L’emploi peut se définir de deux manières : selon le dictionnaire Capitant, il recouvre individuellement le poste de travail occupé par le salarié et collectivement, l’occupation globale de la main d’œuvre salariée. Avant la mise en évidence de cette large acception, le Pr. Norbert Olszak a pu rappeler qu’il ne fut originellement qu’une donnée statistique et économique désignant l’état d’utilisation des forces productives, spécialement pour le travail humain. Ces visions quantitatives semblent cependant désuètes au regard de l’inscription dans le psyché collectif que les titulaires d’un emploi permanent sont à même d’en obtenir un véritable statut social, tout comme la construction d’un style de vie reposant sur la sécurité de l’existant et la prévisibilité du lendemain. On comprend alors mieux pourquoi le risque de sa perte et/ou du maintien à l’extérieur du cercle des insiders soient vécus comme un spectre par tant de salariés. En tout cas, objectivement, la réforme de la formation professionnelle portée par la Ministre Pénicaud tend à l’éluder. Si, de plus, le changement opéré permet de renforcer l’utilité des salariés sans dégrader celle des employeurs, alors, selon le critère de Pareto, elle peut qu’être jugée économiquement efficiente.

La lecture des innovations portées par la réforme témoigne d’un système qui gagne en autonomie et en lisibilité pour le salarié (monétisation, facilité à mobiliser les droits, accès des outsiders du marché du travail aux dispositifs mis en œuvre) alors que dans le même temps, l’entreprise (qui a légitimement le souci de trouver la meilleure combinaison productive possible) peut de façon plus aisée gérer la fluidité de ses ressources humaines. De plus, l’accompagnement des travailleurs en emploi (voire en situation de mobilité) permet de renforcer leur capacité à accroître leur productivité, sinon à changer d’employeur, sans pour autant se retrouver en situation de demandeur d’emploi. La facilité qu’auront désormais les salariés (ou travailleurs indépendants) à mobiliser discrétionnairement leurs droits permet enfin de lutter contre le risque d’obsolescence des compétences. Leur consolidation apparaît donc comme un rempart face à la perte d’emploi : l’action préventive prend le pas sur la couverture du risque social.

Au-delà de l’apparente trivialité des mesures, il ne faut pas oublier qu’un des enjeux majeurs de notre marché du travail est de lutter contre l’effet d’hystérèse du chômage, c’est-à-dire l’effet auto-accumulatif engendré par le chômage de longue durée (40% des chômeurs environ). Ce dernier dégrade les capacités professionnelles des demandeurs d’emploi et donc leur possibilité de rentrer de nouveau en emploi. Le Pr. Alain Supiot distingue à ce titre les capacités de droit des capacités de fait. Clairement, le dispositif mis en place par Mme la Ministre du Travail conforte ces dernières.

B) De la flexibilité à la sécurisation des parcours.

La flexibilité du travail est souvent perçue négativement. Pourtant, il convient de dépasser l’impression première pour préciser que les différentes acceptions ne recouvrent pas uniquement celle relative à la flexibilité quantitative du facteur travail (valeur, volume, coût). Elle peut aussi se définir comme la capacité d’adaptation du facteur travail dont la caractéristique qualitative vise la limitation des situations de rupture du contrat ainsi que l’accroissement de la polyvalence des travailleurs. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les mesures de la réforme Pénicaud. La modification du Conseil en évolution professionnelle (CEP), en particulier, permet l’accompagnement gratuit du travailleur dans l’évolution de son parcours professionnel.

Le néologisme « flexicurité » témoigne finalement bien d’une évolution qui va croissante. Issu de la contraction de la vision quantitative de « flexibilité » et de « sécurité », il traduit macro-économiquement la volonté des États européens de trouver de nouvelles formes de régulation combinant les besoins de sécurité des travailleurs à ceux de flexibilité des systèmes productifs. Ainsi que le souligne parfaitement le Pr. Alexis Bugada, cette notion, qui repose sur un oxymore, tente de marier les contraires. Si on peut y voir une invitation à réduire la segmentation du marché du travail entre emplois durables et emplois précaires, on y perçoit subjectivement un changement de paradigme : celui de voir rattachés les droits sociaux plus à la personne qu’au catalyseur que constitue le contrat de travail. Antérieurement à la réforme Pénicaud, les lois du 4 mai 2004 et du 24 novembre 2009 avaient déjà permis de diluer les divers morcellements.

Les mesures mises en place ont pour objectif de sécuriser les parcours professionnels. Outre le renforcement de l’employabilité, elles permettent d’aider les travailleurs à faire face aux discontinuités de parcours. On a cependant le sentiment que celles-ci ne donneront leur pleine entéléchie qu’à la condition qu’elles soient elles-mêmes accompagnées. L’expérience apprend à tout professionnel qu’il ne suffit pas de mettre en place le système le plus adapté et performant pour entraîner l’efficacité (surtout auprès des populations les plus fragiles) ; encore faut-il que des dispositifs de gestion (suivi des salariés, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) et de management de proximité (prévention de la déqualification, lutte contre les discriminations de toutes sortes) soient mis en place par les branches ou les entreprises. A défaut, seule une minorité en profitera réellement et les effets d’opportunité deviendront légion.

C’est pourquoi la sécurisation des parcours est l’affaire de tous. Les mesures de flexicurité ne pourront se révéler efficaces que si les branches et les employeurs l’organisent. Elles peuvent d’ailleurs devenir un objet essentiel -et non accessoire- de négociation dans les branches d’activité. L’article L. 2253-1 C. trav. dispose à ce titre que comme domaine de prévalence de la négociation collective, la convention de branche définit, en particulier, les garanties qui sont applicables aux salariés, au rang desquelles figurent en bonne place la mutualisation des fonds de la formation professionnelle (C. trav. art. L. 2253-1, al. 4) ainsi que les garanties collectives complémentaires (C. trav. art. L. 2253-1, al. 5).

De la même manière, tout employeur qui en éprouve la nécessité peut définir avec les représentants du personnel les modalités d’accompagnement des salariés ainsi que l’abondement du compte personnel de formation (CPF) au-delà du montant minimal défini par décret (C. trav. art. L. 2254-2, II. 4°). Il est à ce jour espéré que la fusion des instances représentatives du personnel que permet l’institution du Comité Social et Économique (C. trav. art. L. 2311-2) donnera, en matière de formation professionnelle, toute l’unité représentative nécessaire à la consolidation des droits des salariés. Comme en matière de délégation unique du personnel (DUP), le Doyen Franck Petit y voit en tout cas un renforcement de son autonomie d’action et de l’unité de représentation, jouant ainsi contre les conséquences de l’éparpillement de la représentation traditionnelle. La possibilité de négocier des accords par le conseil d’entreprise (C. trav. art. L. 2321-1) y donnera encore plus d’ampleur.

Employeurs et représentants des salariés doivent donc désormais investir ce nouveau champ de négociation, déterminant pour les travailleurs concernés ainsi que pour la légitimation future des décisions entrepreneuriales. Au-dessus des intérêts partisans, il y a un intérêt social qui les supplante. C’est celui qu’il faut mettre en exergue car il agrège l’intérêt de toutes les parties au contrat. La sécurisation des parcours professionnels sert manifestement l’intérêt de toutes les parties prenantes au profit de celui de l’entreprise comme institution. Dans le même temps, elle permet d’améliorer la fluidité du marché du travail. Puisqu’elle est non appropriable par l’une ou l’autre des parties et que sa gouvernance est partagée, elle se révèle enfin comme un nouveau bien commun de la négociation collective.

Conclusion.

Du point du vue individuel, l’engagement des entreprises pour l’employabilité et la sécurisation des parcours relève, sinon de l’exécution de bonne foi du contrat de travail (C. trav. art. L. 1222-1), en tout cas d’une juste contrepartie des pouvoirs de l’employeur qui s’exercent au travers du concept de subordination. A l’échelle collective, cette volonté consacre deux visions doctrinales complémentaires.

La première, économique, est celle portée depuis deux décennies par le Pr. Bernard Gazier. Cet auteur ne voit pas l’emploi « soutenable » comme une incantation. Il le voit comme une réalité accessible, conséquence rationnelle d’une vision ambitieuse et redéfinie de la flexicurité. Celle-ci devient acceptable si elle s’organise autour d’un marché du travail adaptable, promouvant les transitions, au sens où il ne s’agit plus simplement de la facilité avec laquelle les employeurs peuvent embaucher et licencier mais d’organiser les mobilités au sein de marchés du travail à l’essence transitionnelle (MTT).

La seconde, juridique, est celle portée depuis de nombreuses années par le Pr. Alain Supiot. La formation telle qu’elle est envisagée par la réforme Pénicaud permet de considérer le travail comme une liberté partagée. Grâce à l’évolution professionnelle en emploi ainsi qu’à l’accroissement des capacités de changer de travail, la réforme de la formation nourrit la perspective d’une libération qui fait sens pour les salariés. Parce qu’elle permet à l’employeur de recourir plus facilement à la flexibilité (mobilité fonctionnelle et employabilité accrues) elle développe son dessein économique. Au final, la réforme proposée nourrit cette liberté partagée qu’appelle de ses vœux le Pr. au Collège de France.

En s’appuyant sur la conviction que le chômage n’est pas un mal immuable, les propositions portées par Mme la Ministre Pénicaud relèvent du « pragmatisme éclairé » : elles adaptent les droits sociaux à la réalité du fonctionnement du marché du travail. Si la mondialisation ne permet plus de réguler les choix entrepreneuriaux, la réforme en cours, au demeurant consensuelle, s’y adapte sans dégrader les capacités de droit et de fait des individus. Cependant, si l’analyse permet de présumer de sa pertinence, il reste nécessaire de rester clairvoyant.

A quels salariés s’adressent des formations valorisables de 500 ou 800 euros par an ? Un simple certificat de qualification professionnelle destiné à des travailleurs non qualifiés peut coûter jusqu’à cinq à dix années d’abondement du compte personnel de formation (CPF). Si les mesures permettent de prévenir certaines ruptures imposées ou conventionnelles du contrat de travail, si elles tentent d’accompagner les transitions des travailleurs les plus défavorisés, elles n’éluderont pas la triste dualité du marché du travail qui contribue à asservir, toujours plus, les demandeurs d’emploi et travailleurs précaires aux forces du marché. Seule la célérité des transitions au cœur de ce marché des outsiders paraît au final renforcée. La segmentation du marché du travail mise en évidence en 1989 par A. Lindbeck et L. Snower ne semble donc point obsolète. Si la réforme Pénicaud va indéniablement dans le bon sens, elle ne fait œuvre que de simple présomption de justice sociale, l’effectivité individuelle prenant le pas sur l’efficacité globale.

Sandy-David Noisette Docteur en droit, Agrégé en économie et gestion, Aix Marseille Univ, CDS, Aix-en-Provence, France.