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Droit des intermittents : Requalification des 500 CDDU d’une assistante de production en CDI et licenciement sans cause. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : mardi 24 juillet 2018
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Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 juin 2018 [1] est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation sur les CDD d’usage en cas de requalification en CDI. L’assistante de production, intermittente du spectacle obtient aussi un rappel d’heures supplémentaires.

1) Faits et procédure.

Par un jugement de départage du 23 juin 2017, le conseil de prud’hommes de Bobigny a :
- requalifié la relation contractuelle à durée déterminée ayant lié les parties en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 10 février 1997, et dit que la rupture de celui-ci s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné en conséquence la Sasu Euro Media France à régler à Madame X : 14.194,32 € d’indemnité légale de licenciement ;
6.206,52 € d’indemnité compensatrice légale de préavis (deux mois de salaires) et 620,65 € de congés payés afférents lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2014 ;
18.619,56 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (six mois de salaires), avec intérêts au taux légal partant de son prononcé ; 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Madame X a interjeté appel de ce jugement par une déclaration reçue au greffe le
17 juillet 2017 et sollicitait de la Cour :
- la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a requalifié les contrats de travail à durée déterminée successifs en un contrat à durée indéterminée avec effet au 10 février 2017, ainsi que sur les indemnités légales de rupture
- son infirmation pour le surplus et, statuant à nouveau, après fixation de sa rémunération en moyenne en équivalent temps plein à 3 120,26 € bruts mensuels, la condamnation de la Sasu Euro Media France à lui payer les autres sommes de : 19.908,52 € de rappel de salaires au titre des périodes interstitielles sur la période du 13 novembre 2009 au 28 novembre 2014, et 1.990,85 € de congés payés afférents ; 10.000 € d’indemnité légale de requalification en application de l’article L. 1245-2 du code du travail ; 56.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (18 mois de salaires) - 3 103,26 € de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ; 2 322,23 € de rappel d’heures supplémentaires, et 232,22 € de congés payés afférents ; 18 319,56 € d’indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé ;
- la condamnation de la Sasu Euro Media France à lui payer la somme de 4 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
- d’assortir des intérêts au taux légal partant du 13 novembre 2014, date de saisine du conseil de prud’hommes, les sommes lui revenant au titre des indemnités de rupture, et à compter de la notification de l’arrêt à intervenir pour les autres indemnités ;
- d’ordonner la remise par la Sasu Euro Media France d’un bulletin de paie, d’une attestation Pôle emploi et d’un certificat de travail rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard.

2) Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 juin 2018.

Madame X a été recrutée par la Sasu Euro Media France, anciennement la Société Française de Production (SFP), dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée dits d’usage sur la période du 10 février 1997 au 28 novembre 2014, pour y occuper les fonctions d’« ouvrier de plateau », avant d’accéder à compter du 1er avril 1998 aux fonctions d’assistante et secrétaire de production.

Dans l’arrêt du 27 juin 2018, la Cour d’appel de Paris :
- confirme le jugement sauf en ses dispositions sur l’indemnité légale de requalification et le rappel d’heures supplémentaires ;
- condamne la Sasu Euro Media France à régler à Madame X les sommes de : 6.206,52 € d’indemnité légale de requalification des CDD en un contrat de travail à durée indéterminée, avec intérêts au taux légal partant du 8 décembre 2014 ; 2.322,23 € de rappel d’heures supplémentaires et 232,22 € d’incidence congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2014 ; 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.

2.1) Requalification des 500 CDDU en 17 ans de l’assistante de production en CDI.

Les parties ont conclu au total un peu plus de 500 contrats de travail à durée déterminée dits d’usage.

La Sasu Euro Media France relève de la convention collective de branche des entreprises techniques au service de la création et de l’événement, laquelle a été étendue par un arrêté du 21 octobre 2008.

Pour s’opposer à la demande de requalification en un contrat de travail à durée indéterminée, la Sasu Euro Media France, qui conclut à la licéité de l’ensemble des contrats à durée déterminée concernés, rappelle qu’elle fait partie d’un secteur d’activité autorisant le recours aux contrats à durée déterminée d’usage au visa des articles L. 1242-2 du code du travail et 4.3 de la convention collective précitée, précise que son secteur d’activité connaît un usage constant d’y recourir s’agissant des fonctions d’assistante de production, et considère que « le caractère temporaire du poste de Madame X est incontestable » dès lors que les missions d’assistante de production présentent un caractère « aléatoire », que Madame X n’a pas toujours travaillé à titre exclusif et en continu pour son compte, et qu’en tout état de cause ses demandes sont incompatibles avec son statut d’intermittent.

S’il est d’usage dans certains secteurs d’activité de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en application de l’article L. 1242-2 du code du travail, secteurs pouvant être fixés par décret ou par voie de convention collective étendue, et si la possibilité de conclure un contrat à durée déterminée doit résulter d’un usage constant dans un secteur d’activité de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée pour l’emploi concerné, toutefois, en application de la clause 5.1 de l’accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée, accord mis en œuvre par la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999, il importe en cas de litige de vérifier que le recours à des contrats à durée déterminée successifs, comme en l’espèce, est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi en cause.

La Cour d’appel adopte que le premier juge a requalifié ab initio, à compter du 10 février 1997, la relation entre les parties en un contrat à durée indéterminée après avoir relevé que Madame X a conclu avec la société intimée un peu plus de 500 contrats à durée déterminée sur une période de 17 années, qu’elle a travaillé pour le compte de cette dernière en moyenne 157 jours par an avec sur les cinq dernières années (2010/2014) une durée moyenne supérieure à 200 jours, que l’emploi d’assistante de production correspond à une fonction permanente au sein de cette entreprise, et que l’employeur ne justifie pas par des éléments objectifs ce recours à autant de contrats successifs ni ne démontre le caractère par nature temporaire des emplois ayant été occupés en son sein par l’appelante.

2.2) Sur le quantum des demandes suite à la requalification en CDI.

Sur le quantum de l’indemnité de requalification que prévoit l’article L. 1245-2, alinéa 2, du code du travail, laquelle est d’un montant minimum d’un mois de salaire, eu égard au nombre de contrats successifs sur une période de 17 années, infirmant le jugement déféré sur ce point, la Sasu Euro Media France sera condamnée par la Cour d’appel à payer à Madame X la somme à ce titre de 6.206,52 € représentant deux mois de salaires (2 x 3.103,26 €), avec intérêts au taux légal partant du 8 décembre 2014, date de réception par l’employeur de sa convocation directe en bureau de jugement.

Comme le rappelle le texte précité, la sanction indemnitaire consécutive à une requalification judiciaire « s ’applique sans préjudice de l’application des dispositions (…) relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée », ce qui conduit la cour à confirmer tout autant la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la Sasu Euro Media France à payer à l’appelante les indemnités légales de rupture non discutées dans leur mode de calcul avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2014, ainsi que la somme de 18.619,56 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au visa de l’article L. 1235-3 du code du travail - salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise occupant habituellement au moins 11 salariés -, soit l’équivalent de six mois de salaires eu égard à son ancienneté et à son âge à la fin de la relation contractuelle de travail intervenue le 28 novembre 2014, avec intérêts au taux légal partant de son prononcé.

2.3) Sur les heures supplémentaires.

Sur la demande de rappel d’heures supplémentaires, Madame X étaye suffisamment sa demande de ce chef en produisant aux débats ses tableaux d’heures travaillées sur la période concernée de novembre 2010 à octobre 2014 avec un décompte précis et crédible du point de vue des dépassements récurrents d’horaires - ses pièces 1 à 6, 41 et 44 -, l’employeur se limitant à répondre que les tableaux récapitulatifs de l’appelante sont établis pour les besoins de la cause avec un mode de calcul « théorique, forfaitaire et confus », mais sans lui-même fournir à la cour les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par cette dernière, de sorte qu’après infirmation du jugement querellé la société intimée sera condamnée à lui payer la somme à ce titre qu’il convient d’évaluer à 2.322,23 € ainsi que 232,22 € d’incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 8 décembre 2014.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

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