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Le critière de la distinction entre management autoritaire et harcèlement moral (Cass. crim. 19-6-2018). Par Gabrielle Fingerhut, Avocat.
Parution : jeudi 26 juillet 2018
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Ici, la chambre criminelle [1] se réfère une nouvelle fois à la notion clef de "pouvoir de direction" pour apprécier la qualification de harcèlement moral. De fait, soit les faits allégués entrent dans le champ du pouvoir de direction et peuvent être qualifiés de management autoritaire, ce qui n’est pas délictuel et exclusif du harcèlement moral soit ils en sortent et peuvent parfaitement être qualifié de harcèlement moral, passible de sanctions pénales.

Le management autoritaire d’un chef cuisinier peut-il constituer un harcèlement moral, c’est la question posée aux juges du tribunal correctionnel, puis à la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Pour mémoire, la jurisprudence de la cour de cassation en matière pénale est subtile sur la caractérisation ou non de l’intention dans le cadre du harcèlement moral, notion complexe et parfois difficile à qualifier in concreto.

Pour ce faire, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation se réfère, concernant des faits en lien avec le supérieur hiérarchique du plaignant, à la notion de pouvoir de direction.

Ainsi, la frontière est claire : tout ce qui relève du pouvoir de direction est exclusif de harcèlement moral.

C’est dans ces conditions que l’exercice du pouvoir de direction, même de manière autoritaire et même générant un important voir préjudiciable stress au travail... n’est pas systématiquement constitutif du délit de harcèlement moral. [2]

De fait, lorsqu’ils sont le fait du supérieur hiérarchique, les agissements doivent avoir excédé les limites du pouvoir de direction pour être qualifiés de harcèlement moral. [3]

Tel est le cas, à titre d’exemple, lorsque des critiques ont été formulées à l’encontre d’un subordonné d’une manière désobligeante, vexatoire et humiliante. [4] En ce point, le juge pénal rejoint le juge civil.

En outre, l’appréciation du caractère abusif de l’exercice du pouvoir de direction doit par ailleurs prendre en considération le comportement de la victime, par un examen comparé du comportement du harceleur et du harcelé, critère d’analyse particulier au droit pénal [5]

L’indifférence du contexte professionnel en droit pénal.

Dans cette affaire récemment soumise à la chambre criminelle de la Cour de cassation, pour relaxer le prévenu du chef de harcèlement moral, les juges d’appel avaient relevé que la manière dont ce dernier s’adressait au personnel était autoritaire, dans la mesure où il claquait des doigts et criait, mais que ce comportement, inadapté en terme de management du personnel, ne caractérisait pas suffisamment des faits de harcèlement moral, dès lors que ces propos, gestes et attitudes étaient tenus à l’égard de tout le personnel dans le contexte particulier du travail en cuisine.

Pour la chambre criminelle, une telle motivation n’était pas suffisante. En effet, il résultait des constatations de la cour d’appel que le prévenu s’était livré à des faits répétés au sens de l’article 222-33-2 du Code pénal, propres à caractériser l’élément matériel du harcèlement moral.

Les juges du fond avaient, ainsi, qualifié les agissements du prévenu de discours « trop directifs (...) trop exigeant (...) trop abrupt, à la limite de l’acceptable », de « propos désobligeants » et d’« attitudes et gestes inadaptés ».

Compte tenu de ces constatations, la cour d’appel ne pouvait prononcer la relaxe qu’à la condition de constater que les faits poursuivis n’outrepassaient pas les limites du fameux pouvoir de direction du prévenu au regard de l’attitude de la partie civile, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.

La chambre criminelle casse l’arrêt pour avoir omis d’effectuer une telle recherche et précise que celle-ci était nécessaire, quelle qu’ait été l’attitude de la partie civile.

Ainsi, le critère à retenir n’est ni la particularité du milieu professionnel, ni les fonctions de la parie civile, mais celui du pouvoir de direction du prévenu. Claquer des doigts, humilier, et discours "trop directifs" font -il partie inhérente du pouvoir de direction ?

Cette solution s’imposait d’autant plus que le harcèlement moral n’implique pas, selon la Haute Juridiction, que les agissements aient nécessairement pour objet la dégradation des conditions de travail, ni que soit caractérisée l’intention de nuire du prévenu. [6]

De fait, il sera utilement rappelé qu’en matière de harcèlement moral, l’intention de nuire n’est pas nécessaire pour qualifier le délit.

Ainsi, cette décision apporte un critère objectif ... mais est-il encore suffisant pour déterminer la qualification d’un harcèlement moral dès lors que le management autoritaire est une notion si proche ....?

Gabrielle FINGERHUT Avocat à la Cour Droit du travail - Droit pénal - Droit pénal du travail - Droit de la famille Ancien secrétaire de la Conférence http://www.cabinetfingerhut-avocat.com/ gf@cabinetfingerhut-avocat.com

[1Cass. crim. 19-6-2018 n° 17-82.649 F-D

[2Cass. crim. 21-6-2005 n° 04 86.936 F-PF.

[3Cass. crim. 8-6-2010 n° 10-80.570 ; Cass. crim. 27-5-2015 n° 14 81.489 FS-PB ; Cass. crim. 25-4-2017 n° 16-81.180 F-D.

[4Cass. crim. 27-5-2015 précité.

[5Cass. crim. 27-5-2015, précité.

[6Cass. crim. 24-5-2011 n° 10-87.100 F-D ; Cass. crim. 22-10-2013 n° 12-84.320.