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La lettre de licenciement : contenu et mode d’emploi. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : jeudi 9 août 2018
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Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 ont profondément modifié le code du travail dans un sens jamais vu jusque-là. Parmi les nouveautés figurent, en premier lieu, la possibilité pour l’employeur de se référer à des modèles de lettres de licenciement, et, en second lieu, la possibilité de motiver a posteriori la lettre de licenciement. État des lieux et explications.

I. Instauration de modèles de lettres de licenciement.

Jusqu’à présent, l’employeur était seul pour rédiger la lettre de licenciement sans aucun soutien légal.

Or, la rédaction d’un tel courrier peut être extrêmement technique et juridique, de telle sorte que l’employeur pouvait facilement tomber dans des pièges d’ordre procédural.

Les employeurs, soucieux d’éviter de telles difficultés, confiaient parfois la rédaction de ce type de courrier à des cabinets de conseils juridiques ou d’avocats.

Mais, pour autant, beaucoup ne le faisaient pas, car ils n’en avaient pas les moyens ou ignoraient tout simplement cette possibilité et rédigeaient eux-mêmes la lettre de licenciement au risque de mal le faire.

Les ordonnances Macron viennent au secours de l’employeur puisque le décret du 29 décembre 2017 pris pour leur application instaure des modèles types de lettres de licenciement.

L’employeur pourra donc s’y référer en adaptant bien sûr la lettre de licenciement qu’il envoie à son salarié en fonction du contexte.

Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un soutien précieux pour tous les employeurs à qui l’on ne pourra donc pas reprocher la rédaction d’une lettre de licenciement si celle-ci se calque au décret précité, à condition que les griefs, s’il y en a, soient correctement formulés.

Il s’agit donc là d’une première.

Jusque-là, le code du travail était plutôt perçu comme venant en aide aux salariés.

Aujourd’hui, un rééquilibrage est amorcé puisqu’il vient également en aide aux employeurs.

II. La motivation de la lettre de licenciement ou l’énoncé des griefs.

Avant l’entrée en vigueur des ordonnances MACRON, l’employeur était soumis à un régime juridique très strict lorsqu’il entendait licencier l’un de ses salariés.

La lettre de licenciement devait être motivée de façon précise et détaillée et cela, dès le départ, c’est à dire au stade même de la lettre de licenciement.

Il n’était pas permis de rectifier par la suite une lettre de licenciement.

Cela signifiait concrètement que l’employeur devait énumérer dans la lettre de licenciement chaque motif ou chaque grief formulé contre son salarié, en précisant où et quand la faute avait été commise, quelles en avaient été les répercussions pour l’entreprise et en quoi cette faute, en fonction de sa nature, justifiait l’éviction du salarié pour faute simple, grave ou lourde.

Si l’une des précisions quant à la date, au lieu et aux conséquences de la faute manquait dans la lettre de licenciement, l’employeur était immanquablement condamné par le conseil des prud’hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les conseils des prud’hommes vérifiaient, en effet, l’exactitude des griefs contenus dans ce courrier en exigeant de l’employeur qu’il puisse en apporter toutes les preuves nécessaires.

Le code du travail précise même que la charge de la preuve pèse sur l’employeur et que si un doute persiste, celui-ci bénéficie aux salariés.

On assistait là à une forme de présomption d’innocence en faveur des salariés qui a coûté cher à bon nombre d’entreprises.

La situation était très délicate car beaucoup d’employeurs ignoraient cette règle ou ne savaient pas l’appliquer, en se contentant de rédiger des lettres de licenciement qui manquaient de précision.

Il y a eu ainsi des affaires où l’on devinait parfaitement que l’employeur avait des motifs valables de licencier son salarié, mais que pour une simple question de formulation, le licenciement prononcé était sans cause réelle et sérieuse.

Cette situation était vécue comme une injustice par les employeurs qui dénonçaient ici un privilège de forme alloué aux salariés.

En réalité, la situation est plus complexe et il est tout à fait normal qu’une lettre de licenciement énumère avec précision les motifs pour lesquels un salarié est licencié.

Mais il fallait un peu de souplesse afin de contrecarrer une situation qui se révélait être un frein à l’embauche.

Les ordonnances Macron tentent d’apporter cet équilibre.

La pratique montrera ce qu’il en est car les conseils de prud’hommes resteront, bien entendu, saisis dans les mêmes proportions de litiges dans lesquels les salariés contesteront les motifs contenus dans leur lettre de licenciement.

Mais la principale nouveauté de ce nouveau régime juridique est que la lettre de licenciement peut être précisée a posteriori.

Avant cela, l’employeur ne pouvait plus préciser la lettre de licenciement une fois que celle-ci avait été notifiée à son salarié.

Son contenu devenait immuable.

On disait alors que la lettre de licenciement fixait l’étendue du litige.
C’est cette lettre-là qui allait donner le ton au litige si un conseil des prud’hommes était saisi.

En pareille hypothèse, le conseil des prud’hommes partait de la lettre de licenciement et de rien d’autre.
Elle était, en quelque sorte, le socle fondamental du dossier.

À présent, la lettre de licenciement ne fixe plus à elle seule l’étendue du litige puisqu’elle peut être précisée après son envoi.

En effet, les motifs contenus dans la lettre de licenciement peuvent désormais être précisés après la notification de ce courrier, soit à l’initiative de l’employeur, soit à l’initiative du salarié.

Lorsque le salarié reçoit le courrier l’informant de la rupture de son contrat de travail pour faute simple, grave ou lourde, il a désormais 15 jours pour demander à son employeur de préciser les motifs qui sont contenus dans la lettre de licenciement.

Il devra le faire par courrier en recommandé avec accusé de réception ou par courrier remis à son employeur contre récépissé.

L’employeur aura alors un délai de 15 jours pour apporter, s’il entend répondre à la demande de son salarié, les précisions nécessaires.

Il devra le faire selon les mêmes formes, c’est-à-dire soit par courrier en recommandé avec accusé de réception, soit par lettre remise en main propre contre décharge.
À noter que l’employeur n’est pas obligé de répondre à la demande de précision formulée par son salarié mais il est tout de même déconseillé, en pareille hypothèse, de ne pas réagir…

En effet, le silence gardé par l’employeur à une demande de précisions qui est légalement prévue, serait assez mal perçu par les conseils de prud’hommes.

L’employeur peut également, de lui-même, préciser les motifs contenus dans la lettre de licenciement par courrier qu’il enverra en recommandé avec accusé de réception à son salarié ou qu’il lui remettra contre décharge.
L’employeur disposera pour cela d’un délai de 15 jours à compter de la réception de la lettre de licenciement.

L’étendue du litige, autrefois fixée par la seule lettre de licenciement, est aujourd’hui fixée, quant à la pertinence des griefs, de la manière suivante :
- par la lettre de licenciement, si aucune précision n’a été apportée par l’employeur, de sa propre initiative ou à la demande de son salarié ;
- par la lettre de licenciement et la lettre de précisions envoyée par la suite à l’initiative de l’employeur ou à la demande du salarié.

L’employeur dispose donc d’une "seconde chance" si la lettre de licenciement envoyée initialement n’est pas suffisamment précise.

Mais attention : préciser n’est pas rajouter ! Autrement dit, l’employeur ne peut faire figurer dans son second courrier des motifs de licenciement qui ne figuraient pas dans le premier courrier, c’est-à-dire dans la lettre de licenciement.

III. Quelles sanctions en cas d’erreur dans la motivation de la lettre de licenciement ou l’énoncé des griefs ?

L’employeur bénéficie aujourd’hui de deux "jokers", à savoir :
- des modèles de lettres de licenciement qui lui sont fournis par le décret du 29 décembre 2017 et qu’il lui suffira de recopier en adaptant la lettre de licenciement aux circonstances de l’espèce ;
- La possibilité de préciser, dans un second temps, la lettre de licenciement si celle-ci était insuffisamment motivée au départ.

Pour autant, la question de la validité et de la pertinence de la lettre de licenciement pourra encore être posée devant les conseils des prud’hommes.

Rappelons qu’avant l’entrée en vigueur des ordonnances, une lettre de licenciement qui n’était pas suffisamment motivée conduisait à la condamnation de l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les montants auxquels l’employeur pouvait être condamné étaient parfois très importants.

Aujourd’hui, une lettre de licenciement insuffisamment motivée ne suffit plus à dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Tout dépendra de l’hypothèse dans laquelle on se trouve.

Hypothèse 1 :
Le salarié n’a pas formulé de demande de précisions de la lettre de licenciement qu’il a reçue.
Si le conseil de prud’hommes estime que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, cela n’entraînera plus la condamnation de l’employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il s’agit là d’un changement radical par rapport à ce qui se pratiquait avant l’entrée en vigueur des ordonnances MACRON.
Dans cette hypothèse, cette irrégularité de pure forme donnera droit au salarié à une indemnité qui ne pourra excéder un mois de salaire.

Hypothèse 2 :
Si le licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse (ce qui suppose que les griefs contenus dans la lettre de licenciement ne sont pas pertinents), le salarié aura droit à une indemnité fixée selon un barème contenu à l’article L 1235-3 du code du travail et qui tiendra compte de son ancienneté et des effectifs de l’entreprise.

Il existe deux hypothèses oubliées par le code du travail :

Hypothèse oubliée 1 :

La lettre de licenciement a été suivie d’une seconde lettre de précisions, soit à l’initiative de l’employeur soit sur demande du salarié.
Si le conseil de prud’hommes devait estimer que les motifs contenus dans ces deux courriers ne justifient pas un licenciement, on retombe dans l’hypothèse 2 prévue par le code du travail qui est celle où le licenciement est apprécié au regard de la seule lettre de licenciement.

Hypothèse oubliée 2 :
Si le salarié a demandé des précisions après avoir reçu sa lettre de licenciement et que l’employeur n’a pas répondu !

Il appartiendra à la jurisprudence de dire ce qu’elle en pense... mais celle-ci devra normalement et logiquement partir de la lettre de licenciement, comme avant l’entrée en vigueur des ordonnances Macron, pour voir si les griefs retenus sont pertinents ou non.
S’ils sont pertinents, le licenciement sera validé.

S’ils ne sont pas pertinents, on retombe là encore dans l’hypothèse 2 où le contexte est apprécié au regard de la seule lettre de licenciement.

Mais les conseillers prud’homaux perdraient ici tout pouvoir de sanction complémentaire puisque le montant de l’indemnisation est dorénavant prévu par un barème fixé en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise.
Si ce barème n’avait pas existé, les conseillers prud’homaux auraient pu définir eux-mêmes le montant des dommages et intérêts qu’ils n’auraient pas manqué d’augmenter en raison du silence gardé par l’employeur à une demande de précisions formulée par son salarié.

Les ordonnances Macron ont donc encadré et verrouillé le contentieux du licenciement.

L’employeur est donc libre aujourd’hui de rédiger une lettre de licenciement en se référant à des modèles.
Il est également libre de préciser a posteriori le contenu de la lettre de licenciement.

Et lorsqu’un litige survient, l’indemnisation à laquelle pourrait prétendre le salarié est aujourd’hui encadrée par un barème, alors qu’avant elle était laissée à l’appréciation plus ou moins discrétionnaire des conseils de prud’hommes.

La jurisprudence, toujours très évolutive en droit du travail, saura nous dire si une application à la lettre de ces ordonnances sera la seule voie dorénavant possible ou si des exceptions pourront être remontées à la surface.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com