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Une politique de renouvellement systématique des périodes d’essai est un détournement abusif censuré par les juges. Par Mathieu Lajoinie, Avocat.
Parution : vendredi 10 août 2018
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Une société prolonge la période d’essai d’une cadre puis met fin à son contrat de travail. La salariée rapporte la preuve que la société a une politique systématique de renouvellement des périodes d’essai. La Cour de cassation censure cette pratique. La rupture du contrat est alors requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Selon les dispositions du code du travail, le contrat de travail d’un salarié peut prévoir que celui-ci débutera par une période d’essai dont l’objet est de permettre à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié et à ce dernier d’apprécier si ses fonctions lui conviennent.

La période d’essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas. Elles doivent être prévues dès le début par le contrat de travail. La période d’essai peut être renouvelée une fois à condition que cette possibilité soit expressément prévue par un accord de branche étendu et le contrat de travail.

Certaines entreprises ont une politique de renouvellement systématique des périodes d’essai. La Cour de cassation dans un arrêt du 27 juin 2018 censure fermement une telle pratique qui constitue un détournement abusif de la finalité de la période d’essai. [1].

Ainsi, la société Derichebourg embauche, à compter du 1er septembre 2010, une chargée de mission, statut de cadre de la convention collective. Son contrat de travail prévoit une période d’essai de trois mois renouvelable une fois. Le 15 novembre 2010, la période d’essai est renouvelée à compter du 1er décembre 2010 avec l’accord exprès de la salariée. Le 28 février 2011 l’employeur rompt le contrat de travail.

La salariée saisit le conseil de prud’hommes. Elle soutient que le renouvellement de la période d’essai est abusif car il n’a pas pour objet d’apprécier ses compétences mais est systématiquement pratiqué par l’entreprise.

Selon les dispositions conventionnelles applicables, « la période d’essai peut être renouvelée une fois en cas de nécessité technique et après accord exprès des parties spécifié par écrit ». La société fait valoir que le renouvellement était nécessaire en raison de la technicité des missions confiées à la salariée. Cette dernière figurait en effet parmi les collaborateurs ayant le niveau de qualification le plus élevé de l’entreprise.

La salariée produit cependant un courrier du 28 décembre 2010 de la DRH adressé à sa supérieure hiérarchique en contradiction avec le motif invoqué par l’employeur. Il est en effet indiqué : « Je vous confirme qu’il ne s’agit que d’une procédure standard qui ne remet absolument pas en cause la qualité de vos collaborateurs, il s’agit uniquement de se donner une latitude de 6 mois, ce qui est un minimum pour un collaborateur cadre ».

La cadre transmet également aux juges un courriel du 24 février 2011 du dirigeant de la société Derichebourg dans lequel il confirme : « Nous avons dans le groupe une procédure qui est de renouveler comme vous le savez toutes les promesses d’embauche. Certaines arrivent à échéance et je vais vous en faire part ».

La Cour d’appel considère que ces courriers établissent le caractère coutumier du renouvellement des périodes d’essai. Les juges retiennent également qu’à une période concomitante ou proche, 7 salariés ont vu leur période d’essai renouvelée dans des termes identiques à ceux figurant dans la correspondance adressée à la salariée par l’employeur.

La Cour de cassation confirme cette analyse. La cour d’appel ayant relevé que le renouvellement de la période d’essai de la salariée n’avait pas eu pour objet d’apprécier ses compétences et avait été détourné de sa finalité, a ainsi légalement justifié sa décision. Le pourvoi de la société est rejeté.

Mathieu Lajoinie Avocat au barreau de Paris www.avocat-lajoinie.fr contact@avocat-lajoinie.fr

[1Cass. soc., 27 juin 2018, n° 16-28.515, non publié