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Managers trop proches de leurs équipes et lien de subordination juridique : Gare au risque de licenciement ! Par Christophe M. Courtau, Juriste.
Parution : mercredi 15 août 2018
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La trop grande proximité et familiarité d’un manager envers ses équipes peuvent-elles constituer une faute grave justifiant son licenciement ?

Oui, ont répondu les magistrats de la chambre sociale de la Cour de Cassation, dans un arrêt de cassation au visa de l’article L. 1232-6 du code du travail [1] rendu, le 4 juillet 2018, au motif qu’un « comportement extrêmement familier du salarié avec ses équipes le mettant notamment dans l’impossibilité de sanctionner les erreurs et manquements professionnels de celles-ci, constituait un motif de licenciement matériellement vérifiable pouvant être précisé et discuté devant les juges du fond » [2].

Rappelons les faits de l’espèce, mais aussi la notion de lien de subordination juridique, élément constitutif du contrat de travail afin de tenter de mieux préciser la portée de cette décision.

1/ Sur le rappel des faits et de la procédure.

La société Ematherm a embauché sous contrat de travail à durée indéterminée, le 1er décembre 2008, un collaborateur en qualité d’ingénieur chargé de la direction de l’entreprise qu’elle a licencié pour faute grave, le 18 mars 2013, invoquant un comportement familier envers ses équipes le plaçant notamment dans l’impossibilité de sanctionner les erreurs et manquements professionnels de ces dernières.

Que le salarié a contesté son licenciement pour absence de cause réelle et sérieuse devant le conseil de prud’hommes qui a fait droit à sa demande.

Que l’employeur a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Lyon qui, dans un arrêt rendu, le 3 juin 2016, l’a confirmé aux motifs que par leur imprécision et généralité, les faits invoqués par l’employeur et mentionnés dans la lettre de licenciement, ne sauraient fonder un licenciement pour faute grave, dès lors que la lettre de licenciement fixe seule les limites du litige et ne contient pas de telles précisions.

L’employeur a déféré cet arrêt devant la chambre sociale de la Cour de Cassation qui a rendu, le 4 juillet 2018, une décision de cassation au visa de l’article L. 1232-6 du code du travail aux motifs que le comportement trop familier du salarié l’empêchait d’exercer son pouvoir disciplinaire à l’égard de son équipe ce qui constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement précise et vérifiable.

Ce n’est pas la proximité, voir la familiarité ou même le bienveillance du manager envers ses collaborateurs subordonnés établie par l’échange de plusieurs mails invoqués par l’employeur qui justifie, à elle seule, son licenciement pour faute grave mais sa conséquence relevée par l’arrêt de cassation, savoir la difficulté voir l’impossibilité pour le supérieur hiérarchique de sanctionner les éventuels manquements et insuffisances de ses collaborateurs placés sous son autorité.

Les juges de la chambre sociale ne font que rappeler, à bon droit, le lien de subordination juridique ou lien d’autorité entre un supérieur et ses subordonnés, critère essentiel qualifiant la réalisation d’une prestation de service pour autrui, de contrat de travail.

2/ Sur le critère essentiel du contrat de travail : l’existence d’un lien de subordination juridique : un management fondé en droit sur l’autorité.

« En droit civil, la volonté s’engage ; En droit du travail, elle se soumet. » André de Laubadère.

A. La notion de lien de subordination : l’autorité de l’employeur et managers intermédiaires sur leurs équipes.

Le code du travail ne définit pas le contrat de travail qui est soumis au droit commun des contrats fixé par le code civil pour sa conclusion et son exécution (notamment aux art. 1101 à 1104 et 1130 à 1131) mais aussi par des règles spécifiques du code du travail pour les cas de rupture (démission, licenciement, rupture conventionnelle) et par des règles jurisprudentielles notamment relativement à la validité de ses clauses spécifiques (non concurrence, essai, dédit formation…).
La doctrine a défini le contrat de travail comme étant « une convention par laquelle une personne, le salarié, s’engage à mettre son activité au service d’une autre, l’employeur, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération » [3]

Le critère essentiel du contrat de travail permettant de le distinguer d’autres contrats ayant pour objet l’exercice d’une activité pour le compte d’autrui (mandat, courtage, auto entreprenariat…..) se fonde donc sur le lien de subordination juridique du salarié collaborateur envers son manager intermédiaire (n+1), ce dernier étant également subordonné à son supérieur directe sur délégation d’autorité du chef d’entreprise, employeur de tous ses collaborateurs. La jurisprudence a défini les contours de ce lien de subordination juridique à partir de l’existence d’un faisceau d’indices comme la soumission à des horaires de travail, le respect de directives, d’instructions ou d’ordres écrits ou oraux, un contrôle sur le travail effectué et de recadrage du subordonné mais aussi un pouvoir de sanction disciplinaire du salarié subordonné y compris son licenciement.

Le collaborateur subordonné se trouve donc placé, de droit, par la signature d’un contrat de travail, sous l’autorité de son employeur, ce dernier ayant pu déléguer tout ou partie de son pouvoir de direction à un cadre intermédiaire, autorité qu’il a acceptée selon le principe de l’autonomie de la volonté et de son corollaire, la liberté contractuelle.

B. La conciliation entre liberté de management du cadre de ses équipes et exercice son pouvoir de direction.

C’est la question posée devant la Cour de Cassation : En effet, elle sanctionne l’arrêt d’appel au motif que le management bienveillant et familier du cadre licencié envers ses subordonnés, l’empêchait d’exercer son pouvoir d’autorité et de sanction des éventuels manquements ou insuffisances professionnelles de ses derniers ce qui le privait de tout pouvoir de direction sur ses équipes.

De facto, le comportement du manager licencié suspendait le lien de subordination juridique qui doit exister entre le salarié et son manager, pourtant critère essentiel du contrat de travail et pour les juges de cassation, ce comportement constituait « un motif de licenciement matériellement vérifiable pouvant être précisé et discuté devant les juges du fond ».

On peut également considérer que ce salarié a fait preuve d’inaptitude professionnelle dans l’exercice de son management et donc de son pouvoir de direction, pouvant justifier une cause réelle et sérieuse de licenciement reconnue par la jurisprudence [4]

Certains commentateurs de cette décision ont fait valoir qu’elle traduisait une vision passéiste du management : « C’est vraiment curieux de faire ce rapprochement entre familiarité et manque d’autorité. La Cour garde une vision du manager qui doit être craint plutôt que respecté, à une époque où l’on met plutôt en avant l’entreprise libérée » [5].
Mais qu’elle est la portée exacte de cette décision d’espèce ?

3/ Sur la portée de l’arrêt de cassation : une remise en causes des nouvelles formes de management ?

Il paraît excessif, à partir de cet arrêt d’espèce et non de principe, d’y voir une remise en cause voir une condamnation des nouvelles formes de management qualifiées de bienveillant ou collaboratif qui en soi, ne sont souvent que des mots et/ou des postures de certaines entreprises et de leurs DRH « surfant » sur la mode d’une gestion apaisée, humaniste des relations individuelles de travail alors que la réalité, au quotidien, est bien souvent tout autre notamment lorsqu’il s’agit pour un employeur de recadrer voir de sanctionner son subordonné en se fondant, à bon droit, sur son autorité et les règles du code du travail.

La Cour de Cassation vient tout simplement rappeler, ce qui peu surprendre tous ceux qui souhaitent un management apaisé voir joyeux dans l’entreprise, sans hiérarchie ni contrainte, le droit positif en matière de contrat de travail, savoir l’existence de ce lien d’autorité entre tout employeur ou ses cadres dirigeants et leurs collaborateurs subordonnés, lien parfois pesant, contraignant, voir humiliant avec des risques sur la santé des salariés (harcèlement moral/burn out) entre tout employeur ou ses cadres dirigeants et leurs collaborateurs subordonnés.

Cela n’exonère nullement les cadres dirigeants ou intermédiaires de leur devoir de respect l’intégrité psychique et physique de leurs équipe lors de l’exercice de leur autorité ni n’empêche nullement une certaine empathie et bienveillance à l’égard de ces dernières.

Enfin, tout salarié doit toujours garder à l’esprit que les relations conviviales voir familières mises en place dans son entreprise (tutoiement, bises du matin, cafés, pots d’arrivée et de départ, séminaires d’intégration et de motivation…), n’ont d’autre but que de les fédérer afin de les rendre plus productif et qu’en cas de manquement du salarié à ses obligations, il sera sanctionné « sans tambour ni trompette » ni soutien de « ses chers collègues… », comme dans l’arrêt étudié…

Christophe M. COURTAU, Diplômé d'études supérieures en droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Conciliateur de Justice près le Tribunal d'Instance de Versailles.

[1L. 1232-6 du code du travail : « Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l’entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué. »

[2Cass.soc. du 4 juillet 2018 (N° de pourvoi 16-21737).

[3Gérard Lyon-Caen.

[4Cass. Soc. 23 septembre 2003 (N° de pourvoi 01-43595).

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