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Action en justice contre les pollueurs : où en est la réparation du préjudice écologique ? Par Hélène Leleu, Avocat.
Parution : jeudi 16 août 2018
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La loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages avait créé plusieurs articles dans le Code civil, afin de créer une action en justice contre les pollueurs, et solliciter auprès d’eux la réparation d’un préjudice écologique.

Deux ans plus tard, le bilan reste mitigé.

I – Le pollueur.

L’article 1246 du Code civil pose le principe selon lequel « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ».

Le terme « toute personne » inclut aussi bien des personnes physiques que morales, et donc aussi bien les entreprises, les administrations, ou les particuliers. Il n’y a pas de renvoi, comme la responsabilité environnementale instituée par le Code de l’environnement, à une activité professionnelle.

Ainsi, il suffit d’être responsable d’un préjudice écologique pour pouvoir être caractérisé de pollueur au sens du Code civil.

II – Le préjudice écologique.

Mais les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de définir le fondement de l’action : le préjudice écologique.

Ce dernier consiste en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. Ainsi, n’importe quelle atteinte à l’environnement ne constitue pas une cause de procès, mais il faut que cette atteinte présente une certaine gravité.

Le seuil de gravité à dépasser n’est pas défini. Il reviendra à la jurisprudence – peu abondante à ce jour - de le définir au cas par cas. Une atteinte durable, irréversible à l’environnement devrait permettre de le caractériser. Mais l’on connaît les limites pratiques (rapports scientifiques opposés, timidité des cabinets d’études…) pour démontrer ces atteintes.

La définition du préjudice écologique était nouvelle en 2016, puisque jusqu’alors, la jurisprudence retenait une « atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction » (Cass. Crim., 22 mars 2016, n°13-87650).

La gravité à caractériser est malheureusement susceptibles de freiner le développement de cette voie de droit.

III – Les personnes pouvant intenter l’action.

Là encore, le législateur a entendu bien encadrer les choses.

L’action ne peut être intentée que par des personnes qui justifient d’un intérêt à agir.

Et l’article 1248 du Code civil précise que c’est le cas de l’Etat, de l’Agence française pour la biodiversité, des collectivités territoriales et leurs groupements (dont le territoire est concerné), ainsi que des établissements publics.

Concernant les associations, il faut qu’elles soient agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.

Il y a donc une condition d’ancienneté pour les associations, condition qui ne paraît pas justifiée et est de nature à limiter les initiatives contentieuses dans ce domaine.

A l’heure du réchauffement climatique, et alors que les nombreuses atteintes à l’environnement et à la santé humaine sont un sujet brulant d’actualité, ces restrictions paraissent beaucoup trop importantes.

IV – La condamnation du pollueur.

Quelle condamnation peut-on obtenir si le procès aboutit ? La réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature, assène l’article 1249 du Code civil.

En d’autres termes, le pollueur devra être condamné à supprimer le dommage grave qui a été causé à l’environnement.

Il faudra donc tenter de dépolluer le site, ou de le remettre en état.

Et en cas d’impossibilité de droit ou de fait ou d’insuffisance des mesures de réparation, le juge condamnera le responsable à verser des dommages et intérêts, sur le principe du pollueur-payeur.

Ces dommages et intérêts ne pourront qu’être affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l’Etat.

Ainsi, il ne s’agit pas d’obtenir des sommes d’argent comme tout procès classique, mais d’affecter les sommes recueillies à l’environnement.

L’évaluation du préjudice devra tenir compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues.

Il est précisé que les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, pour éviter son aggravation ou pour en réduire les conséquences constituent un préjudice réparable (article 1251 du Code civil).

Sachant qu’en vertu de l’article 1252 du Code civil, le juge, saisi d’une demande en ce sens, dispose de pouvoirs pour prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage écologique.

V – La prescription de l’action.

L’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice écologique (article 2226-1 du Code civil).

VI – L’action du préjudice écologique, en parallèle de l’action environnementale.

Cette action en justice a été créée en parallèle de l’action fondée sur les articles L 160-1 et suivants du Code de l’environnement, prévoyant la réparation des dommages causés à l’environnement par l’activité d’un exploitant professionnel.

En effet, la loi n°2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement avait déjà inséré dans le Code de l’environnement un régime de responsabilité environnementale applicable à certains dommages subis par l’environnement.

Dans ce régime de l’action environnementale, le pollueur est forcément un « exploitant », notion bien moins large que celle prévue par l’action du préjudice écologique, puisqu’il s’agit de toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui exerce ou contrôle effectivement, à titre professionnel, une activité économique lucrative ou non lucrative.

Autre différence significative : la responsabilité environnementale prévue par les articles L 160-1 et suivants du Code de l’environnement est une responsabilité engagée devant l’Administration. La responsabilité environnementale ne peut être mise en œuvre que par une autorité administrative. L’initiative privée est donc encouragée par la responsabilité liée au préjudice écologique visé dans le Code civil.

Le Code de l’environnement est plus précis sur le champ d’application en fixant limitativement les atteintes à l’environnement susceptibles de constituer un dommage environnemental, et le seuil de gravité est mieux défini.

VII – Conclusion.

Nous avons des voies de droit pour lutter contre les différentes nuisances à l’environnement (certes, présentant un certain degré de gravité), il faut les utiliser.

Le pouvoir judiciaire n’est en effet pas à négliger, le récent procès aux Etats-Unis de Mosanto, suite à l’action d’un jardinier Dewayne Johnson en phase terminale d’un cancer, suite à l’utilisation de l’herbicide Roundup, en a démontré la grande force d’action.

A défaut d’obtenir une protection satisfaisante par le pouvoir normatif, espérons que cet outil de lutte contre les pollueurs sera plus utilisé dans le futur…

Hélène LELEU, avocat au barreau de Lyon [->leleu@chanon-leleu.fr] [->https://consultation.avocat.fr/blog/helene-leleu/presentation.php] 45 rue de la République, 69002 LYON
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