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L’expression du mensonge au sein du délit d’escroquerie. Par Soufian Nouali, Etudiant.
Parution : vendredi 17 août 2018
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L’expression du mensonge caractérisé dans le délit d’escroquerie, l’escroc cherche à créer une confusion dans l’esprit de la victime en imitant une vraie entreprise (A), un pouvoir ou crédit imaginaire (B), ou un événement chimérique (C).

A. Fausses entreprises.

L’expression, qui vise sans équivoque le domaine des affaires, doit être largement entendue. Par entreprise, il faut comprendre toute exploitation commerciale ou industrielle, quelle que soit la forme juridique utilisée. En outre, la Cour de cassation précise que l’escroquerie est également constituée lorsqu’une société « ayant quelque réalité sur certains points, présente dans d’autres des parties essentielles qui la composent des circonstances entièrement fausse » [1].

Dès leur constitution, il existe en effet des sociétés de pure façade : les personnes qui les dirigent se contentent de choisir une raison sociale, d’ouvrir un bureau, d’y recevoir des clients ainsi que des fonds.
Outre ces procédés, ils constituent aussi sans aucune apparence de réalité, des « sociétés-taxis », dans le seul but de simuler une exportation, afin d’obtenir remboursement d’une partie des sommes versées au titre de la TVA » [2].

La Cour de cassation a condamné un dirigeant d’une société dès lors qu’il a organisé par le biais d’une entreprise fictivement créée, un circuit fictif de facturation, afin d’obtenir un crédit d’impôts pour les prétendues sommes versées au titre de la TVA [3].

Après leur constitution, certaines entreprises deviennent fausses lorsque leurs dirigeants, de bonne foi à l’origine, et malgré des difficultés financières, ne cessent de prolonger leur activité, et ont recours, dans cette perspective, à des procédés frauduleux.

L’entreprise devient fausse à partir du moment où les manœuvres utilisées pour la maintenir en activité lui donnent apparence fictive. L’entreprise peut aussi devenir fausse plus tard, lorsque, bien qu’ayant une existence réelle, elle ne poursuit ses opérations que par des moyens frauduleux [4].

En pratique, il semble que souvent la notion d’entreprise fausse soit la plus proche de la réalité des affaires.

Le fondateur d’une entreprise considérée comme fictive, est responsable pénalement du délit d’escroquerie, d’une manière continue même après un certain temps, la Haute Cour a indiqué dans ce cas d’espèce que : « Le fondateur et premier gérant d’une société fictive constituée pour persuader l’existence d’une entreprise qui était fausse, est responsable pénalement même des escroqueries qui ont été commises après la cessation de ses fonctions de gérant, dès lors qu’il résulte des constatations des juges du fond que toutes les escroqueries s’enchaînent les unes aux autres comme procédant de la manœuvre frauduleuse initiale conçue, et voulue par lui dans toutes ses conséquences » [5].

Selon la Professeure Delmas-Marty, le juge devant ces circonstances a deux choix : retenir l’escroquerie après la constitution de l’entreprise, celle-ci devenant entièrement fausse en cours d’activité ; ou faire remonter l’infraction dès la constitution, relevant alors la création d’une entreprise partiellement fausse, la seconde formule permettant, le cas échéant, la poursuite des premiers dirigeants qui auraient démissionné ultérieurement [6].

B. Pouvoir ou crédit imaginaire.

Le pouvoir imaginaire se trouve caractérisé, lorsque l’escroc prétend faussement posséder une autorité ou disposer d’une influence lui permettant d’obtenir le résultat souhaité par la victime, ce qui inspire la confiance de celle-ci. C’est par exemple, le cas de l’individu qui se fait remettre des sommes d’argent en promettant à sa dupe de lui procurer un avantage déterminé [7].

Ainsi, le délit d’escroquerie a été retenu à l’encontre d’un individu (ancien prêtre rendu à l’état laïc) qui pour persuader de l’existence d’un crédit imaginaire et faire naître la crainte d’un événement chimérique, fait état de révélations divines et de la mission qui lui avait été confiée par la Providence, célèbre au domicile de ses victimes des offices religieux sur des autels portatifs et organise ainsi une mise en scène en vue d’obtenir des fonds alors même que ces fonds ont été remis à titre de prêt [8].

Parfois, les manœuvres frauduleuses tendent à persuader d’un crédit imaginaire, dont fait usage l’escroc, en laissant croire à la victime qu’il est propriétaire des biens d’une certaine valeur ou jouit d’une situation financière importante.

Ainsi, dans une affaire où, la gérante de deux sociétés en difficultés financières, a tiré des effets de commerce non causés sur une autre société, dont le directeur commercial les a remis à l’escompte auprès de plusieurs établissements bancaires.

La Cour les a déclaré coupable d’escroquerie, et les condamné in solidum, tout en estimant que : « les quatre organismes bancaires ont été victimes d’escroquerie par un mécanisme de traites de complaisance mis au point par la gérante et le directeur commercial, destinés à faire croire à un crédit imaginaire, alors que l’émission de lettres de change non causées sur un bref délai de cinq mois […], constitue une des caractéristique de la cavalerie et d’une intention délibérée, d’esquiver des vérifications bancaires dans les relations commerciales marquées par la nécessité d’une réactivité importante » [9].

Tel est le cas aussi, de ceux qui se font consentir un prêt, après avoir induit en erreur les prêteurs en leur faisant croire qu’ils étaient en relation avec un cabinet d’affaires spécialisé [10].

On peut encore invoquer l’exemple des dirigeants d’une société de construction de maisons individuelles qui ont procédé à une compagne publicitaire en faisant valoir que ladite société bénéficiait d’une garantie bancaire de bonne exécution et de bonne fin, alors que la banque leur avait refusé une telle garantie.

C. L’espérance ou la crainte d’un événement chimérique.

Le but recherché par l’escroc, peut, enfin, consister à provoquer chez la victime soit l’espérance d’un succès ou de tout autre événement chimérique, soit la crainte d’un accident.
Le caractère chimérique de l’événement est une question de fait qui relève de la compétence exclusive des juges du fond : « la détermination du caractère chimérique du succès ou de l’accident ou de l’évènement de la réalité desquels on a convaincu la dupe est une question de fait dont l’appréciation entre dans les pouvoirs souverains du juge du fond » [11].

Pour apprécier un tel caractère, ces derniers doivent se situer au moment des manœuvres frauduleuses [12].

L’escroquerie par événement chimérique ne pourrait être retenue que si ledit événement n’était pas réalisable au moment et dans les conditions où il a été proposé par l’escroc.

Aussi bien, les juges du fond, se montrent parfois trop exigeants, dans le cas où, ils ont considéré comme escroc celui qui avait fait croire à une personne qu’il lui donnait en location un appartement dont il n’était pas propriétaire, mais que la victime a, par la suite, pu obtenir du vrai propriétaire [13].

Les manœuvres frauduleuses peuvent, en outre, avoir pour but de faire naître chez la victime la crainte d’un accident ou une maladie [14].

Entre également dans cette hypothèse la crainte d’une surenchère que l’escroc a provoqué chez l’adjudicataire d’un immeuble, auquel il s’est présenté comme éventuel acquéreur et s’est fait remettre des fonds pour ne pas surenchérir, alors qu’en réalité, il n’avait ni l’intention ni la possibilité de procéder à un tel achat [15].

Sans oublier aussi le scandale célèbre, celui du Panama [16].

Avocat stagiaire

[1Cass. crim. fr., 25 juillet 1978, pourvoi n° : 77-93582.

[2DELMAS-MARTY Mireille, Droit pénal des affaires : les infractions, 3ème éd., PUF, Paris, 1979, p. 15.

[3Cass. crim. fr., 15 mars 2016, pourvoi n° : 70-92124.

[4Cass. crim. fr., 14 mars 1979, pourvoi n° : 78-91112.

[5Cass. crim. fr., 9 janvier 1978, pourvoi n° : 77-92241.

[6Mireille DELMAS-MARTY, op. cit., p. 17.

[7ROBERT Jacques-Henri ; MATSOPOULOU Haritini, « Traité de droit pénal des affaires », 1ère éd., PUF, Paris, 2004, p. 52. « à propos d’une personne qui se faisait remettre des sommes d’argent en prétendant les distribuer aux juges, pour obtenir la mise en liberté de détenus ou la remise d’amendes ».

[8Cass. crim. fr., 11 octobre 1966, pourvoi n° : 66-90520.

[9Cass. crim. fr., 7 décembre 2016, pourvoi n° : 15-84954.

[10Cass. crim. fr., 14 mars 1967, pourvoi n° : 66-92369.

[11Cass. crim. fr., 16 avril 1975, pourvoi n° : 74-91418.

[12Jacques-Henri ROBERT ; Haritini MATSOPOULOU, op. cit., p. 54.

[13Cass. crim. fr., 11 octobre 1966, pourvoi n° : 65-93403.

[14Cass. crim. fr., 16 octobre 2016, pourvoi n° : 12-81532. Il s’agit en fait : « Le fait d’user de manœuvres frauduleuses consistant à proposer un test de personnalité, sans valeur scientifique, conçu pour donner de mauvais résultats, suivi de propositions de vente de services et d’ouvrages censés résoudre les difficultés décelées, et en incitant les victimes, par des pratiques particulièrement offensives, à remettre des sommes d’argent importantes, constitue une escroquerie ».

[15Jacques-Henri ROBERT ; Haritini MATSOPOULOU, op. cit., p. 55.

[16JEANDIDIER Wilfrid, « Droit pénal des affaires », 6ème éd., Dalloz, Paris, 2005, pp. 10-11.