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Quel avenir pour le dialogue social ? Par Sandy-David Noisette, Docteur en droit.
Parution : mercredi 22 août 2018
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Les dernières réformes du code du travail ont cherché à favoriser la négociation collective d’entreprise en instituant de nombreuses « innovations » juridiques propices au dialogue social. Si tous les partenaires sociaux sont, sur le principe, favorables à son renforcement, il apparaît que l’application d’un régime qui manquerait de loyauté le fragilise plus qu’il ne le conforte ; cela reviendrait à subroger au nécessaire « dialogue », le seul processus « d’obtention de la norme » d’entreprise.
A défaut de sanction manifeste par le juge de l’irrespect d’un principe de « bonne foi » qui reste d’ordre public [1], seul l’exercice d’une subordination éthique permettra de faire vivre, au cœur de la relation contractuelle, un dialogue social profitable à la performance du contrat.

Instituant de profonds changements normatifs, les réformes successives du Code du travail portées par la loi du 8 août 2018 et les ordonnances du 22 septembre 2017 impactent fortement les modalités d’exercice du dialogue social en entreprise. Ces textes, qui ont permis de consolider l’inversion de la pyramide des normes tout en rendant effective la négociation collective dans les TPE-PME, implantent les conditions d’un dialogue social « institué » adapté à chaque contexte d’entreprise.

Mâtinée par l’ambition de créer les conditions favorables d’un retour de la confiance des entrepreneurs, à même de permettre créations d’emploi et réduction concomitante du chômage de masse, la « performance » des entreprises est directement visée. Si la notion évoque à tout un chacun l’amélioration des indicateurs économiques de l’entreprise, elle souffre de n’être ni définie juridiquement, ni économiquement.

La doctrine de l’économie (sociale) du droit s’accorde cependant à la définir de façon constructiviste. Elle agrégerait l’efficacité juridique (effectivité et efficience des textes) et la satisfaction des parties constituantes de l’entreprise à long terme. Comme facteur transcendant, le principe de consentement serait nodal. Celui-ci ne saurait être forcé au risque de développer des effets d’opportunisme qui, in fine, nuiraient à l’intérêt social.

L’analyse des dispositions et de leur évolution permet indiscutablement de présumer de progrès dans la pratique du dialogue social. Elles allouent une place prépondérante à l’articulation et à la production de normes dont les TPE-PME sont les principales bénéficiaires (I).

Pourtant, si le principe du dialogue social fait consensus, les oppositions apparaissent dès lors que les questions se précisent : de quel dialogue social s’agit-il ? Et pour quoi faire ?

Cette grande réforme semble n’accorder que trop peu de place au processus de négociation. Les premières expérimentations et analyses doctrinales laissent à penser que toutes les pratiques ne sont pas utilisées de « bonne foi » par les employeurs : le « dialogue » est parfois absent alors même que c’est lui qui participe de la performance du processus de négociation collective. Si tel devait être le cas, l’intérêt des parties prenantes serait malmené et entraînerait une dégradation de la qualité du dialogue social. Une autre voie, salvatrice, doit donc se dessiner (II).

I. L’institution du dialogue social.

La négociation collective d’entreprise a bénéficié, ces deux dernières années, d’avancées législatives déterminantes. Si certaines dispositions (l’élévation du seuil électoral conditionnant la validité d’un accord collectif par exemple) interrogent au regard du sens qu’il est permis de donner au verbe « favoriser » (Titre II de la loi du 8 août 2016 « Favoriser une culture du dialogue et de la négociation »), l’élargissement du champ de la négociation collective tout comme les cas de consultation prévus à l’art. L. 2232-12 al. 2 C. trav. poursuivent manifestement un objectif de facilitation de la négociation.

A) Pour l’ensemble des entreprises.

L’efficience du dialogue social voit son champ d’application élargi.

Sur des sujets qui concernent l’organisation de l’entreprise (rémunération, temps de travail, organisation du travail) la réforme pour le renforcement du dialogue social institue des mesures qui accordent aux TPE (moins de 10 salariés) et PME (de 10 à 249 salariés) les mêmes possibilités que pour les plus grandes entreprises. Même si la performance économique des unités essentiellement concernées peut apparaître relative (11% du PIB) les mesures instituées ne sont pas dénuées d’intérêt lorsqu’on observe qu’elles concernent 99,85% des entreprises françaises et 47,2% des salariés [2].

Plus précisément, deux ordonnances du 22 septembre 2017 concernent la négociation collective : l’ordonnance n° 2017-1385 relative au renforcement de la négociation collective ainsi que l’ordonnance n° 2017-1388 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective.
Ces deux textes renforcent un grand mouvement de recul de l’ordre public social qui se construit progressivement : les ordonnances du 16 janvier 1982 et lois du 13 novembre 1982 avaient déjà introduit l’obligation de négocier dans les entreprises dotées d’un délégué syndical, la loi du 4 mai 2004 étendit l’autonomie ouverte par les lois de novembre 1982 et institua la prévalence de la branche avec le « discret » article 45 (selon Nietzsche, le diable est dans les détails…), la loi du 20 août 2008 consacra la subsidiarité de l’accord de branche en matière de temps de travail, d’heures supplémentaires, de compte épargne temps ; enfin la loi du 8 août 2008 institua notamment la prévalence de l’accord d’entreprise sur l’accord d’établissement, celle des accords interentreprises sur les accords d’entreprise et finit par interdire certaines clauses de verrouillage. Postérieurement, les réformes issues de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et des ordonnances du 23 septembre 2017 ratifiées par la loi publiée le 31 mars 2018 (la valeur législative reste acquise à la date de signature des ordonnances, le 22 septembre 2017) ont englobé un certain nombre d’ajustements destinés à modifier, voire compléter les imperfections de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

Ces nouvelles dispositions accordent notamment une place centrale aux conventions d’entreprise par rapport aux autres normes du droit du travail (contrat de travail, accords de branche, loi et règlements). L’article L. 2253-3 (nouv.) institue spécifiquement un domaine d’autonomie des conventions d’entreprise : « Dans les matières autres que celles mentionnées aux articles L. 2253-1 et L. 2253-2, les stipulations de la convention d’entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la convention de branche ou de l’accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large prévalent sur celles ayant le même objet prévues par la convention de branche ou l’accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large. En l’absence d’accord d’entreprise, la convention de branche ou l’accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large s’applique ».

Le changement devient manifestement disruptif avec l’abrogation d’une disposition cachée qui élude la hiérarchie conventionnelle qu’avait même renforcée la loi du 8 août 2016 (dans ses Lettres, Madame de Sévigné aurait volontiers qualifié la clause de verrouillage de « moraille », p. 29). Celle-ci résultait de l’article 45 de la loi du 4 mai 2004 qui disposait que « la valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux conventions et accords conclus avant l’entrée en vigueur de la présente loi demeure opposable aux accords de niveaux inférieurs ».
Cela signifiait qu’un accord d’entreprise ne pouvait déroger aux conventions de rang supérieur, in pejus le cas échéant, que si la branche ne l’interdisait pas. Au mieux, la branche ne tolérait qu’une concurrence in favorem. Le cas échéant, et selon le Pr. Emmanuel Dockès, ladite clause interdisait la destruction des conventions de branche par des conventions d’entreprise. La prégnance du changement est d’autant plus forte que l’article 45 avait fini par paralyser la négociation d’entreprise : deux ans après son institution, aucun accord in pejus n’avait été conclu, sans compter que 30% seulement des accords de branche autorisaient la négociation d’entreprise défavorable aux salariés. Sauf exceptions, de telles clauses sont désormais nulles ; ce soulèvement, qui pour les géologues pourrait être qualifié de « tellurique », permet d’instituer une nouvelle philosophie dans les rôles et les pouvoirs normatifs attribués aux partenaires sociaux ; selon le directeur du Centre de Droit Social d’Aix-en-Provence, il permet de poser une équation nouvelle générant plus d’autonomie et de concours entre les normes [3].

L’efficacité du dialogue social est facilitée par le recours aux referenda.

Dès lors que les conventions d’entreprise priment sur les accords de branche, il convient de passer en revue leurs conditions de validité. Par principe, ces types d’accords sont soumis aux conditions de validité des accords majoritaires (article L. 2232-12 C. trav. al. 1). Si cette condition n’est pas remplie et si l’accord a été signé à la fois par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des élections mentionnées au premier alinéa, quel que soit le nombre de votants, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages disposent d’un délai d’un mois à compter de la signature de l’accord pour indiquer qu’elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l’accord. Au terme de ce délai, l’employeur peut demander l’organisation de cette consultation, en l’absence d’opposition de l’ensemble de ces organisations (art. L. 2232-12 C. trav. al. 2). S’il a pu être contesté, le rajout par les ordonnances de 2017 de l’initiative patronale du référendum permet de rendre l’employeur à nouveau acteur d’un débat à l’origine duquel il se trouve. Par crainte de le voir à l’origine d’un désaveu des syndicats par les salariés, la loi du 8 août 2016 l’en avait exclu, ce qui semble relever de l’absurde au regard du fait que seul lui supporte le risque d’entreprise.
Cette disposition a le mérite de renforcer le lien social entre employeurs et salariés même si d’aucuns y voient une technique de contournement des prérogatives syndicales ; la mesure, que ces derniers peuvent en certains contextes craindre, invite à plus de modération dans les négociations d’un accord initial stricto sensu : moins d’expression de tel ou tel code social et plus de prise en compte de l’intérêt social en tant que boussole d’équité à la disposition des parties prenantes. Les apports du référendum deviennent donc évidents au regard du fait qu’il invite à plus de dialogue au profit d’un intérêt social qui, selon le juge, relève de la « finalité propre » de l’entreprise (Soc., 22 janv. 1992, n° 90-42.517, publié au bulletin) et selon le Doyen Hauriou « transcende les intérêts » individuels et catégoriels.
En présence d’accord collectif imparfait, c’est-à-dire obtenu par la signature de syndicats « minoritaires » (et donc à défaut d’accord majoritaire consensuel), le législateur permet la mise en œuvre du référendum d’entreprise à l’initiative des syndicats minoritaires et/ou de l’employeur. Si la consultation des salariés permet de valider le projet d’accord, celui-ci sera assimilé comme tel par le législateur (art. L. 2232-12 al. 6 C. trav., art. L. 2232-22 al. 1 C. trav.) : la thèse de la fiction retrouve un certain éclat ! Au regard des intérêts juridiques et économiques sa légitimité est en tout cas patente alors même qu’il n’est moralement pas contesté : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu » [4].
Certains n’y voient pas de risque de forçage du consentement : selon le Doyen Franck Petit, on voit mal en tout cas comment un employeur pourrait user d’une technique visant à faire valider par la collectivité du personnel ce que les représentants syndicaux lui ont refusé : les effets sur le climat social présent et à venir seraient dévastateurs.
Parmi les premiers, ce spécialiste reconnu en matière de relations collectives du travail, a proposé de donner à cette consultation le nom de « référendum d’entreprise » ; il a dans le même temps initié un important débat à son propos [5]. Dans de nombreux articles ou séminaires, le Professeur de droit souligne que les critiques qui sont faites au référendum, ainsi que la diversité des cas de recours et des régimes juridiques, ne fait nullement obstacle à leur approche cohérente dans l’entreprise [6]. Le professeur alerte simplement sur leur nature, qui doit avant tout rester subsidiaire. Cette position vient prévenir les risques à propos des référenda d’initiative patronale portant sur des actes indivisibles [7]. Une question reste cependant en suspend : faut-il permettre au personnel de s’exprimer tous collèges confondus ? Outre le problème de savoir si la collectivité du personnel peut se voir reconnaître la personnalité juridique à travers le référendum [8] et tel que le souligne le Pr. Franck Petit, on peut reconnaître qu’une consultation unique présente l’avantage d’unifier le statut collectif sur des questions qui ne peuvent être morcelées (sauvegarde de l’emploi ou délocalisation par exemple).

B) Pour les TPE-PME.

La négociation collective dans les TPE sans délégué syndical

Jusqu’ici, en l’absence de délégué syndical, les TPE devaient se conformer à la loi et aux accords de branche. Aucun dialogue social à portée normative, aucune adaptation de textes au contexte d’entreprise n’étaient possibles alors même que ces entreprises emploient presque 50% des salariés et qu’elles sont au cœur de la création de valeur (les TPE représentent 96% des entreprises françaises). Comme dans les autres types d’institutions, si on désire voir ces entreprises au cœur du processus de création de richesse, en leur sein, le pouvoir doit être par nature multidimensionnel [9]. Ce n’est donc pas sans raison que la stratégie de l’Union européenne en matière d’innovation [10] les place au cœur de son action prospective.
Même si elles souffrent d’une absence de légitimité sociale, les ordonnances du 22 septembre 2017 ont permis d’instituer la négociation de conventions d’entreprises dans les plus petites structures dépourvues de délégué syndical. Le décret 2017-1767 a entériné la possibilité pour un employeur de TPE ou de PME de moins 20 salariés, dépourvue de délégué syndical ou de conseil d’entreprise, de faire valider par la voie du référendum professionnel des accords unilatéraux portant sur tout thème ouvert à la négociation collective d’entreprise. Pour être valide, l’accord bénéficie même d’une majorité renforcée : il doit être approuvé à la majorité des deux tiers du personnel (art. L. 2232-22 al. 1 C. trav.). Si tel n’est pas le cas, le projet d’accord ou d’avenant de révision est abandonné.

La négociation collective dans les PME de moins de 50 salariés sans délégué syndical.

Les entreprises de 21 à 49 salariés devront négocier avec un délégué syndical de l’entreprise s’il existe. Dans celles qui ne disposent pas de représentant syndical, le mandatement syndical est supprimé. L’employeur pourra alors négocier avec un élu sans étiquette ou un élu salarié mandaté par une organisation syndicale.
Dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 et moins de 50 salariés, en l’absence de délégué syndical ou de conseil d’entreprise, les accords d’entreprise ou d’établissement peuvent être négociés de deux manières différentes :
- soit par un ou plusieurs salariés mandatés par un ou plusieurs syndicats représentatifs au niveau de la branche (ou, à défaut, au niveau national et interprofessionnel), ces salariés n’étant pas forcément membres du CSE ;
- soit par un ou plusieurs membres élus du CSE.

L’innovation du comité social et économique (CSE) semble pouvoir faciliter le dialogue social. L’article L. 2311-2 C. trav. (nouv.) dispose qu’un CSE est mis en place dans les entreprises d’au moins onze salariés (al. 1) à la condition que cet effectif soit atteint pendant douze mois consécutifs (al. 2). L’effectif s’entend de façon extensive : il s’agit de l’ensemble des travailleurs au jour de la consultation et non des seuls salariés couverts ou des électeurs inscrits [11]. Si les salariés mis à disposition sont pris en compte, il en est de même pour ceux qui, faisant partie de l’effectif de l’entreprise, mais détachés, pourraient ne pas être présents au jour de la consultation : les clauses les excluant sont de jurisprudence constante réputées non écrites [12].
Le CSE remplace le comité d’entreprise, et n’a pas la capacité de négocier conventions et accords. Afin de faciliter le dialogue social, en application d’un accord de branche étendu (en l’absence de délégué syndical) ou par accord d’entreprise majoritaire, un conseil d’entreprise (CE nouv.) peut être institué. Celui-ci exercera l’ensemble des attributions du CSE et devient seul compétent pour négocier, conclure et réviser les conventions et accords d’entreprise ou d’établissement [13].
L’institution du CSE semble déterminante à plusieurs titres. Il simplifie le dialogue social en éludant l’éparpillement et en assurant l’unité de la représentation du personnel. Bénéficiant de la capacité de négocier conventions et accords grâce au conseil d’entreprise (CE nouv.) il n’entre alors pas en concurrence avec les délégués syndicaux et se révèle plus apte à prendre en compte, en ses lieux et place, l’intérêt social plutôt que les intérêts d’une personne juridique extérieure à l’institution (ceux du syndicat).
Objectivement, l’ensemble de ces dispositions semble pouvoir renforcer le dialogue social au profit de la performance de l’entreprise comme « institution ». Selon la vision constructiviste de la performance, l’efficacité relève de la capacité de la règle de droit à devenir effective (on ne peut en douter lorsque la norme est négociée par ceux qui doivent l’appliquer) et efficiente (elle accroît alors sa capacité à s’inscrire dans une chaîne de causalité). De plus, les avancées législatives permettent de satisfaire à moyen terme l’ensemble des parties constituantes de l’entreprise : le principe de consentement semble manifeste. C’est pourquoi, il semble juste de conclure que le « dialogue social institué » semble à même de satisfaire son dessein de performance.

II. La consolidation du dialogue social.

Si les aspects textuels des nouvelles dispositions facilitent le dialogue social, tout au moins la production de normes d’entreprise, il semblerait bien que des effets d’opportunisme en entachent le bien fondé (A). A ce jour, seule une subordination éthique semble alors pouvoir les éluder (B).

A) Les problèmes posés par les nouvelles dispositions.

Si ces nouvelles dispositions ne présentent pas de problème a priori, il est nécessaire de rester vigilant à l’usage qui en sera fait. Deux types de problèmes se posent : le caractère normatif d’un « accord » qui ne l’est qu’en apparence et les risques de manipulation de la collectivité de travail.

Le référendum d’approbation : l’accord n’est collectif que par détermination de la loi.
Ainsi que le souligne le théoricien du droit Olivier Tholozan, le vocable français de référendum dérive du verbe latin referre. L’une de ses significations renvoie au fait de rapporter une question à une autorité afin qu’elle délibère sur le sujet [14]. Avec la consultation des salariés, l’autorité en question devient la collectivité de travail alors même qu’elle n’est pas personnifiée ; cette carence ne peut, en l’espèce, lui conférer la qualité de partie à l’acte [15]. Sur le fond, l’accord collectif par assimilation de la loi pose deux problèmes.
Le premier est de savoir si la consultation des salariés, d’essence individualiste, peut s’intégrer dans un droit de la négociation sociale de tradition holiste. La question par exemple « de savoir si le fait d’imposer des désavantages à un petit nombre peut être compensé par une plus grande somme d’avantages dont jouiraient les autres » trouve ici toute sa pertinence. Il semblerait que le législateur ait éludé le débat en consacrant la recherche d’une plus grande efficacité économique sur un principe d’équité qui ne bénéficie d’aucune juridicité. Selon lui, le réalisme doit l’emporter : « Aujourd’hui encore objet de droit, l’entreprise doit devenir demain sujet et source de droit » [16]. Le second reste l’absence de dialogue social.
Ce dernier relève de sa légitimité alors même qu’aucun véritable dialogue n’est engagé : s’il vise à ratifier –par exception- les accords imparfaits dans les grandes entreprises, le référendum devient -par principe- le mode ordinaire de production de la norme collective dans les TPE et PME. Bien que le texte évoque un « projet d’accord » présenté par l’employeur, il s’agit davantage d’une mesure patronale rédigée unilatéralement par l’employeur, qu’il est demandé aux salariés de ratifier et que l’exigence de majorité renforcée (deux-tiers du personnel) ne permet pas, selon nous, de compenser. Peut-on voir dans cet imperium une amélioration du dialogue social au service de la performance de l’entreprise ? On rappelle, à ce propos, le principe posnérien de richesse globale qui implique la notion de consensus. Celui-ci relève de la capacité des parties au contrat à devenir de véritables partenaires sociaux ; la négociation collective implique donc une discussion qui doit donc devenir la norme sociale de la négociation. Puisque l’accord relève de la rencontre de deux volontés et de l’assentiment donné à une proposition , il exclut donc toute situation de rapport(s) de forces. L’accord ne peut donc être le résultat que d’une entente engageant les parties à y concourir de bonne foi. A défaut, un accord assimilé qui serait conclu sur la base contestable du consentement forcé relèverait d’une présomption d’assentiment, « d’un nihilisme dans lequel le plus grand des pouvoirs s’accouple avec le plus grand vide » ; c’est alors le vide éthique qu’évoque le philosophe Hans Jonas, qui l’habiterait.

Le risque de manipulation de la collectivité de travail.

L’utilisation de mauvaise foi du référendum en entreprise pose un second type de problème : celui de la manipulation de la collectivité de travail. C’est pourquoi l’objet de la consultation s’avère ensuite déterminant. S’il est global, les salariés peuvent être amenés à valider des stipulations qui ne leur conviennent point. On éclairera le propos en évoquant le cas de Sephora en 2015. Suite à la validation de l’accord imparfait par 92% des salariés, les syndicats opposants dénoncèrent un « mauvais accord », jugeant insuffisantes l’aide pour les frais de garde des enfants (12 euros par heure), la prise en charge des frais de taxis seulement à partir de 23h00, et surtout la majoration des heures de nuit travaillées à 100% (le minimum légal). On peut y voir le résultat de la manipulation que représente la formulation de la question soumise au vote des salariés ; la question posée était : « Êtes-vous favorable à l’ouverture de votre magasin après 21 heures dans les conditions de l’accord de soirée signé le 16 septembre et affiché dans le magasin ? ». Il s’agissait d’un accord global, chaque question ne pouvant être considérée indépendamment des autres. Les salariés consultés peuvent être d’accord avec certaines stipulations, mais pas avec toutes. Cependant, la nécessité de se prononcer sur l’accord global les en empêche. Cette façon de faire a été dénoncée par l’économiste Thibault Gajdos en mettant en évidence le paradoxe d’Ostrogorski. Il conclut son analyse en indiquant que « la prudence exige donc de réserver cette procédure à des questions qui peuvent être considérées, en première approximation, comme indépendantes de toute autre ». Juridiquement, l’acte indivisible pose donc problème.

La composition du CSE pose ensuite problème, dès lors que cette institution devient apte à négocier, conclure et réviser les conventions et accords d’entreprise ou d’établissement (au travers du conseil d’entreprise prévu à l’art. L2321-1 C. trav.). On rappelle que selon les articles L. 2314-1 C. trav. il comprend l’employeur et une délégation du personnel. Outre le fait que la réunification du personnel entraîne une relative confusion entre les missions traditionnelles de la représentation du personnel et des syndicats, cela pose problème au regard de l’égalité des parties dans la mesure où les membres salariés restent sous subordination. Le collectif de travail représenté au CE osera-t-il, à la mesure de la représentation syndicale d’antan, s’exprimer et défendre ses intérêts avec la même autonomie ? La représentation syndicale traditionnelle aurait peut-être gagné à se renouveler (afin de subsister) et ainsi, de rendre plus légitime encore l’exercice d’un pouvoir de direction qui gagne toujours à être mesuré.

B) La qualité de la subordination comme dénouement.

L’efficacité comme conséquence de la confiance.

Rendre le dialogue social effectif et efficace relève probablement plus du climat social que de la finesse des dispositifs juridiques. Au soutien de cette hypothèse on retient que l’économie (comportementale) béhavioriste a permis de prouver qu’environ 70% des décisions des agents relèvent de l’irrationnel ou de l’a-rationalité [17]. Plus récemment, Richard Thaler [18] a montré combien les caractéristiques humaines affectent systématiquement les décisions individuelles. Il y a bientôt un siècle, Keynes évoquait déjà la question des « esprits animaux ».
Le prisme que pose cette doctrine économique émergente et convergente ne peut être ignoré du droit social, surtout quand le choix du recours à certaines techniques juridiques devient ou non possible. Le cas du référendum est à ce titre manifeste. En capacité de forcer le consentement collectif ou d’écarter la représentation syndicale du dialogue social, les nouvelles dispositions finissent par interroger quant au lien direct et certain qu’elles ont avec l’objectif initial de « favorisation » du dialogue social effectif.
C’est pourquoi, en situation de changement de la norme et dans un souci de performance, il convient de veiller à ce que le principe de consentement reste nodal [19]. Concrètement, le recours aux innovations juridiques portées par la loi du 8 août 2016 ou les ordonnances du 22 septembre 2017, doit systématiquement relever de la bonne foi contractuelle ; si l’article L. 1222-1 C. trav. dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi », l’art. 1104 C. civ (nouv.) en élargit aujourd’hui le périmètre d’action en disposant que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ». Seule la bonne foi permet d’installer la réciprocité de la confiance et la mise en place d’un dialogue effectif au service de la performance de l’entreprise. Le problème reste qu’elle ne bénéficie que d’une juridicité relative, le juge ne sanctionnant que les comportements manifestement déloyaux.

La confiance comme conséquence d’une subordination éthique.

La confiance nourrit la productivité du contrat de travail. Selon l’économie béhavioriste, celle-ci est conditionnée par ce que le salarié, en tant que personne physique qui exécute un travail sous le pouvoir de fait ou sous la dépendance d’autrui, « reçoit » de l’employeur en terme de loyauté. L’exercice de la subordination implique alors une responsabilité dont la méconnaissance doit inéluctablement être sanctionnée. Selon le Pr. Alain Supiot « la liberté de l’entreprise ne se confond pas avec la liberté des employeurs de faire ce qu’ils veulent. A la différence de la personne humaine, l’entreprise n’est pas juridiquement appréhendée comme une valeur en soi, mais comme un moyen de soumettre certains faits à l’emprise du droit ».
La justification de cette solution doit être recherchée dans le caractère d’ordre public du droit du travail : la volonté des parties étant inopérante à déposséder l’individu de son statut social [20], par réversibilité, l’autonomie des pouvoirs de l’employeur doit s’envisager comme une liberté sous contraintes (juridiques, économiques, éthiques).
L’engagement de l’employeur reste peu normé. S’il reste contraint par la prégnance d’une gouvernance actionnariale qui se complexifie avec la montée en puissance des investisseurs institutionnels, passifs ou activistes, dont certains confondent la notion de performance avec celle, plus restrictive, de rendement et de cours boursier, l’engagement est surtout fonction de l’exercice d’une rationalité qui reste pénétrée d’émotions et d’anomalies comportementales. Plus il privilégiera la bonne foi contractuelle moins sa rationalité absolue sera forte et meilleur sera le dialogue social. Cette solution se révèle logique dans un système économique post-tayloriste où l’incomplétude du contrat de travail caractérise la relation de travail. Aussi, le « calcul » et/ou les tentatives de manipulation des volontés individuelles, doivent progressivement s’effacer au profit de l’éthique. La performance globale en dépend.

Conclusion.

Les évolutions normatives en matière de dialogue social donnent une place prépondérante aux accords collectifs signés au niveau des entreprises. Comme les précédentes, elles semblent focalisées sur l’obtention de normes et leur articulation. Si ces objectifs sont un socle indispensable, ils n’accordent que trop peu de place au processus de négociation. Le droit interne apparaît ainsi inachevé avec un droit des accords collectifs très développé et un droit de la négociation abandonné. Pourtant, le processus d’obtention de la norme collective est à la source de sa richesse. Parce qu’il installe les conditions d’un dialogue conduit loyalement, il participe de la performance du dialogue social. Ledit processus de négociation entraîne des effets sensibles sur le contenu de l’accord d’entreprise : une négociation déséquilibrée nuit à l’équité et, par voie de conséquence, à la prise en compte réelle, dans l’accord conclu, des intérêts des différents signataires. Une dépréciation du climat social et de la performance, une croissance du contentieux, peuvent en être les conséquences.
Pour favoriser une négociation authentique, « à armes égales », le législateur se fonde sur le principe civiliste de « bonne foi » [21] ; il pose alors une exigence de loyauté, d’ordre public, impliquant des comportements adéquats à adopter. Là où le bas blesse, c’est que la portée de l’obligation de loyauté est limitée par l’absence d’origine contractuelle, ce qui aurait permis d’accentuer sa juridicité. Soulignons que le juge ne sanctionne que les comportements contractuels manifestement déloyaux.
Cette question n’est ni nouvelle, ni spécifique au droit du travail ; elle devient pourtant cruciale au moment où les conventions d’entreprise sont promues comme source essentielle du droit du travail interne. La négociation ne doit pas être un processus abandonné aux seuls « rapports de forces ». La performance du dialogue social relève indiscutablement d’un climat social dont la qualité relève autant de l’ethos de la confiance que de l’ingénierie juridique. A défaut, le consensus « institué » ne relèverait que d’un dialogue de façade. Son effectivité dépend moins d’une fiction juridique que d’une réalité sociale.
Le dialogue ne s’institue donc pas : il ne fait que se révéler progressivement, à la lueur de l’exercice d’une subordination éthique impulsant un dialogue social pragmatique (organisé autour de l’intérêt social) et équilibré (respectueux de l’égalité des parties au contrat) ; son eurythmie relève moins des opportunités juridiques que de l’exercice loyal des multiples responsabilités de l’employeur. C’est pourquoi il est possible de conclure que les dernières lois sociales, une fois de plus, annoncent plus une fondation qu’elles n’organisent une réalité.

Pour aller plus loin :

- BARTHELEMY (J.), Le référendum en droit social, Droit Social, 1993, p. 89.

- BUGADA (A.), « L’articulation des dispositions de branche et d’entreprise : le Rubik’s cube conventionnel », La semaine juridique, édition sociale, n° 6, 13 fév. 2018, 1056.

- COHEN-DONSIMONI (V.), « Le référendum comme mode de validation d’un accord collectif », Droit social, n° 5, mai 2018.

- DOCKES (E.), « Le droit du travail dans l’affrontement des mondes possibles », Droit social, n° 3, mars 2018, pp. 216 et s.

- GAURIAU B., « Le référendum, un préalable nécessaire ? », Droit social, 1998, p. 338

- NOISETTE (S.-D.), « La nature ambivalente du référendum en entreprise », Le Village de la Justice, juin 2018.

- PETIT (F.), « La difficile mise en œuvre des référendums d’entreprise », Droit social, n° 2, févr. 2017, p. 156.

- PETIT (F.) « Le référendum en entreprise comme voie de secours », Droit social, n° 11, nov. 2016, p. 903.

Sandy-David Noisette, Docteur en droit, Agrégé en économie et gestion, Aix Marseille Univ, CDS, Aix-en-Provence, France.

[1Art. 1104 C. civ.

[2INSEE Références 2 mars 2017.

[3BUGADA A., « L’articulation des dispositions de branche et d’entreprise : le Rubik’s cube conventionnel », La Semaine Juridique, éd. Sociale, n°6, 13 fév. 2018.

[4Rousseau, J.-J., Du contrat social (1762), III, 15.

[5Colloque « Le référendum dans l’entreprise, nouvel outil de dialogue social ? », Faculté de droit et de science politique, Aix-en-Provence, AMU, 2 mars 2018 ; BARTHELEMY (J.) et PETIT (F.), « Le droit social comme technique d’organisation de l’entreprise », Conférence-débat, 31 mars 2016, Université d’Avignon (UAPV).

[6PETIT F., « Le référendum en entreprise comme voie de secours », Droit social, n° 11, nov. 2016, p. 903.

[8BARTHELEMY J., Le référendum en droit social, Droit Social, 1993, p. 89.

[9BAUDRY (B.), CHASSAGNON (V.), Les théories économiques de l’entreprise, La Découverte, sept. 2016, p. 93.

[10V. Horizon 2020, programme français pour la recherche et l’innovation.

[11COHEN-DONSIMONI (V.), « Le référendum comme mode de validation d’un accord collectif », Droit social, n°5, mai 2018, p. 423.

[12Soc., 6 juin 2018, n° 17-14.372.

[13C. trav. art. L. 2321-1.

[14THOLOZAN O., « Tradition holiste du droit social et référendum d’entreprise », Droit social, mai 2018, p. 405.

[15GAURIAU B., « Le référendum, un préalable nécessaire ? », Droit social, 1998, p. 338.

[16SUPIOT (A.), Critique du droit du travail, PUF, 2015, p. 172.

[17Akerlof et Schiller, prix Nobel 2001 et 2013

[18Prix Nobel 2017.

[19HARNAY (S.), MARCIANO (A.), Posner : l’analyse économique du droit, Michalon, 2003, pp. 76 et s.

[20Soc. 3 juin 2009, pourvoi n° 08-40.981 ; V. Soc., 20 janv. 2010, pourvoi n° 08-42.207, publié au bulletin.

[21Art. 1104 C. civ.