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Le principe d’unicité du permis de conduire. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : jeudi 23 août 2018
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Le principe d’unicité du permis de conduire signifie que l’on ne peut avoir qu’un seul permis de conduire en cours de validité.
Là dessus tout le monde est d’accord.
Par contre, la question du nombre de points affectés à votre unique permis de conduire alimente régulièrement la jurisprudence.
En effet, si l’on ne peut avoir qu’un seul permis de conduire en même temps, on peut cependant avoir plusieurs permis de conduire successivement.
Autrement dit, les points affectés à l’un peuvent-ils être reportés sur un autre ? Les points acquis par l’automobiliste constituent-ils un droit qui le suit d’un permis de conduire à l’autre ?
La jurisprudence n’a pas toujours eu la même réponse.

État des lieux.

Jusqu’à récemment, la jurisprudence répondait en faveur de l’automobiliste en lui permettant de cumuler les points de deux permis de conduire sur un seul.

En ce sens, un arrêt particulièrement emblématique avait été rendu par la Cour Administrative d’appel de Versailles le 18 février 2010.

En l’espèce, les magistrats qui ne s’étaient pas pliés à la volonté de l’Administration qui entendait porter un coup d’arrêt au principe du cumul des points.
De son côté, le conducteur avait fait preuve d’une persévérance particulière en étant allé jusqu’au bout des procédures alors que d’autres auraient abandonné tout effort, de guerre lasse.

Pour bien comprendre le problème, rappelons les faits.

1. Les faits.

Un conducteur obtient son permis de conduire en 1999.
Suite à diverses infractions, il reçoit en février 2005, un courrier l’informant de l’invalidation de son permis de conduire.
Le capital de ses points était tombé à zéro !

Celui-ci saisit le Tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir afin de faire annuler cette décision en contestant la légalité des retraits de points opérés sur son permis de conduire.

En attendant la décision du tribunal (qui interviendra en juin 2007), il repasse son permis de conduire au terme du délai d’attente de 6 mois.

Il obtient donc un second permis de conduire en décembre 2005, crédité de 6 points puisqu’il s’agit donc là d’un permis probatoire.

Il commet de nouvelles infractions entrainant des retraits de points pour un total de 7 points.

En mars 2007, il reçoit donc un nouveau courrier l’informant de l’invalidation de son second permis de conduire.

Son capital de points était à nouveau tombé à zero.
En effet, partant d’un permis de conduire probatoire à 6 points, la perte de 7 points lui était donc fatale !

Or, en juin 2007, le Tribunal administratif de Versailles annule la 1ère décision d’invalidation.

Le tribunal estime que sur le capital de 12 points portés sur le premier permis de conduire de cet automobiliste, 7 points ont été retirés irrégulièrement.

Un total de 7 points est donc crédité au capital du permis de conduire obtenu en 1999.

Conséquence logique : le permis de conduire de 1999 n’était donc pas nul en février 2005.

Le Ministère de l’Intérieur demande à cet automobiliste de choisir entre le 1er permis de conduire (obtenu en 1999) et le 2nd permis (obtenu en décembre 2005).

Cela est logique, car on ne peut avoir deux permis de conduire en même temps en application du principe d’unicité du permis de conduire.

Le conducteur opte pour le 1er permis (obtenu en 1999), ce qui se comprend puisque le 2nd venait d’être annulé en mars 2007.

2. La question juridique : le cumul de points de deux permis de conduire est-il possible ?

Mais l’administration l’attendait au tournant et décide de retirer du permis obtenu en 1999 les points consécutifs aux infractions commises avec le second permis de conduire obtenu en décembre 2005.
L’administration opère le calcul suivant : 7-7 = 0.

Celle-ci retire les 7 points, relatifs aux infractions commises avec le permis obtenu en décembre 2005, du nombre total de points affectés au 1er permis de conduire et sur lequel le Tribunal administratif avait précisément réaffecté 7 points.

Comme les choses s’emboitent parfaitement !

L’administration envoie donc au conducteur un nouveau courrier l’informant de l’invalidation de son permis de conduire.

Celui-ci saisit à nouveau le Tribunal administratif afin de contester la légalité de cette nouvelle décision.

En juin 2008, le Tribunal administratif rejette le recours de cet automobiliste.

Ce dernier fait appel devant la Cour administrative d’appel.

La question posée en l’espèce était la suivante : combien de points restait-il à cet automobiliste ? Pouvait-il cumuler les points des deux permis de conduire ?

3. Les choix possibles.

Les choix possibles étaient les suivants :
- soit on considère que celui-ci bénéficiait d’un permis de conduire avec 7 points, à savoir ceux qui lui avaient été restitués par le Tribunal Administratif en juin 2007.
Dans ce cas, son solde de points était effectivement nul puisque ce conducteur avait commis depuis décembre 2005 des infractions pour un total de 7 points, et dans ce cas 7-7 = 0.
- soit on considère que cet automobiliste bénéficiait d’un total de 12 points (on ne peut pas avoir plus que 12 points sur son permis), à savoir les 7 points réaffectés à son permis obtenu en 1999 et restitués en juin 2007, et 5 des 6 points affectés au permis de conduire obtenu en décembre 2005.
Dans ce cas, le solde de point du permis de conduire de l’automobiliste n’était plus de 0, mais de 5 points (12-7 = 5)

Soulignons immédiatement que le principe d’unicité n’est en rien affecté par l’une ou l’autre de ses hypothèses puisque dans l’une et l’autre, l’automobiliste n’a toujours qu’un seul permis de conduire !

4. La solution retenue par la Cour administrative d’appel de Versailles.

La Cour commence par rappeler ce que l’on savait déjà : le principe d’unicité du permis de conduire commande que l’on ne peut être titulaire que d’un seul permis de conduire et non de deux.

Dont acte.

Et la Cour administrative d’appel pose pour principe que l’on peut cumuler sur son seul permis de conduire les points obtenus sur un autre permis de conduire.

Le cumul de points de deux permis de conduire est donc possible.

Finalement, le Ministère de l’Intérieur s’est pris à son propre jeu puisque celui-ci souhaitait retirer sur le 1er permis de conduire de l’intéressé les points affectés sur le second.

Pourquoi pas ? Mais alors il faut jouer le jeu jusqu’au bout !

Si l’on permet ainsi de retirer des points sur un seul et même permis, il faut aussi admettre que les points obtenus doivent être crédités sur ce même permis et pas un autre !

La seule limite à ce décompte sera le plafond des 12 points du fait que l’on ne peut de toute façon avoir plus que 12 points sur son permis de conduire.

L’automobiliste a donc pu repartir avec un capital de 5 points et non 6 points, car ses deux permis de conduire (celui de 1999 et celui de 2005) l’ont mené à un total de 12 et non 13 points.

L’intérêt de cette courageuse décision était évident : Si vous perdez l’ensemble de vos points et que vous recevez donc la lettre 48 SI qui vous en informe, vous pouvez attaquer cette décision devant le Tribunal.
En attendant, vous repassez un permis de conduire probatoire.
Si le juge administratif vous restitue certains points, ceux-ci s’additionneront avec ceux que vous aurez obtenus entre temps dans le cadre de votre permis probatoire.
Vous repartirez donc avec un permis de conduire au capital renforcé, car vous aurez ainsi non seulement les 6 points issus du nouveau permis probatoire plus les points que le Tribunal aura décidé de vous rendre.

5. Un principe appliqué en jurisprudence.

Les juridictions administratives ne se sont pas privées d’appliquer ce principe et la jurisprudence est riche de décisions en la matière qui ont fait une application mathématique du cumul de points.

La motivation juridique que l’on retrouve dans ces décisions mérite d’être citée :

Ainsi celle rendue par la Cour administrative d’appel de Versailles dans la décision commentée plus haut :
"Considérant, d’autre part, que, dans le cas où la décision du ministre de l’intérieur ayant constaté qu’un permis affecté d’un nombre de points nul a perdu sa validité est annulée par le juge administratif à une date à laquelle le titulaire de ce permis avait, entre-temps, obtenu un nouveau permis de conduire, à caractère probatoire, la validité du permis initial recouvrée à la date de la décision ministérielle, qui résulte de la rétroactivité de l’annulation prononcée par le juge, a pour conséquence que l’intéressé doit être regardé comme n’ayant pas cessé d’être titulaire du permis initial à la date à laquelle le nouveau permis lui avait été délivré ;
Considérant qu’il suit de là qu’en vertu du principe d’unicité du permis de conduire ci-dessus énoncé, l’annulation, par le juge administratif, de la décision par laquelle l’autorité compétente avait invalidé le permis de conduire initial fait disparaître, rétroactivement, le nouveau permis obtenu postérieurement à celui-ci ; que, cependant, il ne résulte ni du principe d’unicité du permis de conduire, ni de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision de justice relative au permis de conduire initial, ni d’aucune disposition législative ou réglementaire dont se prévaudrait le ministre de l’intérieur, qu’une telle annulation aurait pour effet de priver l’intéressé du bénéfice des points qui avaient été affectés au nouveau permis rétroactivement disparu, sous réserve, toutefois, que soient respectées à tout moment, rétroactivement, les règles fixées aux articles L. 223-1 et R. 223-1 du code de la route relatives au nombre maximal de points du permis de conduire ; que, par suite, il appartient dans ce cas à l’autorité compétente, pour l’application des dispositions de l’article L. 225-1 du code de la route, de procéder à l’enregistrement de toute modification du nombre de points affectés au permis de conduire initial, en particulier, d’une part, à celui de l’ensemble des dotations de points dont le bénéfice a été reconnu à l’intéressé du fait de la délivrance du permis initial puis du nouveau permis, qu’il convient, eu égard à la disparition rétroactive de celui-ci, de prendre en compte dans le cadre du système de reconstitution de points mentionné à l’article L. 223-6 du code précité, et d’autre part, à celui de l’ensemble des retraits de points opérés à la suite des infractions commises postérieurement à la date de la délivrance du permis initial et non annulés, tout en assurant de façon rétroactive le respect des dispositions des articles L. 223-1 et R. 223-1 de ce code relatives au nombre maximal de points susceptibles d’être affectés à tout moment au permis de conduire ;
Considérant, en l’espèce, que l’annulation par le jugement du 5 juin 2007 du Tribunal administratif de Versailles de la décision du ministre de l’intérieur du 3 février 2005 invalidant le permis de conduire délivré le 24 juin 1999 à M. A et des retraits de trois et quatre points opérés à la suite des infractions commises les 30 mai 2003 et 5 octobre 2003, si elle a fait disparaître rétroactivement le permis de conduire probatoire délivré le 21 décembre 2005, ne saurait avoir eu pour effet de priver le requérant du bénéfice des six points dont avait été affecté ledit permis probatoire ; que, par suite, M. A est fondé à soutenir que le ministre de l’intérieur a commis une erreur de droit en se prévalant du principe d’unicité du permis de conduire pour refuser de lui reconnaître le bénéfice de ces six points ;
"

Ou encore celle du Tribunal administratif de Lille dans un jugement du 21 octobre 2014 :

"...Dans le cas où la décision du Ministre de l’intérieur ayant constaté qu’un permis affecté d’un nombre de points nul a perdu sa validité est annulée par le juge administratif à une date à laquelle le titulaire de ce permis avait, entre-temps, obtenu un nouveau permis de conduire, à caractère probatoire, la validité du permis initial recouvrée à la date de la décision ministérielle, qui résulte de la rétroactivité de l’annulation prononcée par le juge, a pour conséquence que l’intéressé doit être regardé comme n’ayant pas cessé d’être titulaire du permis initial à la date à laquelle le nouveau permis lui avait été délivré ; qu’il suit de là qu’en vertu du principe d’unicité du permis de conduire, l’annulation, par le juge administratif, de la décision par laquelle l’autorité compétente avait invalidé le permis de conduire initial fait disparaître, rétroactivement, le nouveau permis obtenu postérieurement à celui-ci ; que, cependant, il ne résulte ni du principe d’unicité du permis de conduire, ni de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision de justice relative au permis de conduire initial, qu’une telle annulation aurait pour effet de priver l’intéressé du bénéfice des points qui avaient été affectés au nouveau permis rétroactivement disparu...".

Dans le même sens, le tribunal administratif de Toulon, dans un jugement n° 1402408 du 30 septembre 2015, avait également appliqué le principe du cumul des points entre deux permis de conduire successifs.

Sous des formulations très ressemblantes, la solution était donc la meme d’une juridiction à l’autre.

6. Un principe remis en question sans la moindre logique.

Contre toute attente, le Conseil d’état a remis en cause le principe du cumul de points.

Celui-ci a été saisi du jugement n° 1402408 rendu par le tribunal administratif de Toulon le 30 septembre 2015,

Et le Conseil d’état énonce sèchement :

" 3. Considérant que, lorsque la décision du ministre de l’Intérieur constatant la perte de validité d’un permis de conduire pour solde de points nul est annulée par le juge administratif, cette décision est réputée n’être jamais intervenue ; que, pour déterminer si l’intéressé peut, en exécution du jugement, prétendre à la restitution du permis par l’administration, il y a lieu de vérifier que son solde de points n’est pas nul ; que le solde doit être calculé en tenant compte, en premier lieu, des retraits de points sur lesquels reposait la décision annulée qui n’ont pas été regardés comme illégaux par le juge, en deuxième lieu, des retraits justifiés par des infractions qui n’avaient pas été prises en compte par cette décision, y compris celles que l’intéressé a pu commettre en conduisant avec un nouveau permis obtenu dans les conditions prévues au II précité de l’article L. 223-5 du code de la route, et, enfin, des reconstitutions de points prévues par les dispositions applicables au permis illégalement retiré ;

4. Considérant qu’une même personne ne saurait disposer de plus d’un permis de conduire ; que, par suite, le requérant qui obtient l’annulation d’une décision constatant la perte de validité de son permis alors qu’il s’est vu délivrer un nouveau permis ne peut prétendre à la restitution par l’administration de son permis initial, sous réserve que son solde de points, calculé comme indiqué au point 3, ne soit pas nul, qu’à la condition que lui-même restitue le nouveau permis ; que, s’il lui est loisible de renoncer au bénéfice de son permis initial et de conserver son nouveau permis, il ne saurait prétendre, en cas de récupération de son permis initial, au transfert sur ce permis des points dont le nouveau permis était doté ; "

En clair, cela signifie que le Conseil d’état s’oppose au principe du cumul de points entre deux permis de conduire successifs.

Mais cette décision est illogique et l’on sent bien que le Conseil d’état s’est pris les pieds dans le tapis.

Il suffit pour cela de relire attentivement la motivation retenue.

Le Conseil d’état commence par rappeler qu’une décision annulée est censée n’avoir jamais existé.
" 3. Considérant que, lorsque la décision du ministre de l’intérieur constatant la perte de validité d’un permis de conduire pour solde de points nul est annulée par le juge administratif, cette décision est réputée n’être jamais intervenue"

Jusque là, on est d’accord.

Puis le Conseil d’état nous livre la recette pour calculer le solde de points du permis de conduire dont l’invalidation a été annulée :
- que, pour déterminer si l’intéressé peut, en exécution du jugement, prétendre à la restitution du permis par l’administration, il y a lieu de vérifier que son solde de points n’est pas nul ;
- que le solde doit être calculé en tenant compte, en premier lieu, des retraits de points sur lesquels reposait la décision annulée qui n’ont pas été regardés comme illégaux par le juge, en deuxième lieu, des retraits justifiés par des infractions qui n’avaient pas été prises en compte par cette décision, y compris celles que l’intéressé a pu commettre en conduisant avec un nouveau permis obtenu dans les conditions prévues au II précité de l’article L. 223-5 du code de la route, et, enfin, des reconstitutions de points prévues par les dispositions applicables au permis illégalement retiré ;
(...)
il ne saurait prétendre, en cas de récupération de son permis initial, au transfert sur ce permis des points dont le nouveau permis était doté ; "

Et là, la méthode de calcul est très partisane car le Conseil d’état :
- recrédite les points illégalement retirés. Ceci est parfaitement logique.
- tient compte des points légalement retirés sur le premier permis. Là encore, on est d’accord.
- tient également compte des points perdus avec le permis probatoire. Et là, on tombe dans le cynisme absolu.

En effet, le Conseil d’état retient finalement les points perdus avec le permis probatoire, mais pas ceux obtenus avec ce même permis !

Il y a là une position plus partisane que juridique.

Car, si l’on se sert des points perdus à l’occasion d’infractions commises avec le second permis, c’est à dire le permis probatoire, il faut aussi admettre que les 6 points obtenus lors de l’obtention de ce permis entrent dans le décompte.

7. Que penser de cette nouvelle solution ?

De toute évidence, la solution retenue, fondée sur le principe d’unicité du permis de conduire, n’est juridiquement pas adéquate.

En effet, le principe d’unicité du permis de conduire signifie simplement que l’on ne peut avoir qu’un seul permis de conduire en cours de validité.

Jamais personne n’a protesté contre cela.

Mais la question du nombre de points est tout autre car les points s’acquièrent à l’occasion de stages, de passages de permis ou tout simplement à l’aide de reconstitutions lorsque l’automobiliste ne commet pas d’infractions pendant un temps donné.

Ces points constituent un droit différent de l’obtention du permis de conduire et qui devrait suivre l’automobiliste quelque soit son permis en cours de validité.

Il y a là une ambiguïté juridique que le législateur devrait combler dans un sens ou dans l’autre.

Lorsque l’on sait que les tribunaux administratifs, et les cours administratives d’appel avant que la procédure d’appel ne soit supprimée par un ancien Garde des Sceaux, font parfois de la résistance judiciaire au regard des décisions du Conseil d’État, on peut encore espérer que les décisions rendues sur le fond aillent dans le sens de l’automobiliste.

Il y a donc là une jurisprudence à suivre de très près.

Le nombre de points sur le permis de conduire est une question essentielle : d’où la nécessité d’y veiller et d’inviter les justiciables à faire valoir leurs droits.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com