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Barème Macron aux prud’hommes : comment échapper au plafonnement des indemnités de licenciement ? Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.
Parution : samedi 25 août 2018
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Le plafonnement des indemnités prud’homales accordées en cas de licenciement abusif / sans cause réelle et sérieuse a grandement restreint le montant des sommes auxquelles peut prétendre un salarié qui saisit les prud’hommes à la suite de son licenciement (Cf. notre précédent article « Ordonnances Macron : ce qui change pour les salariés avec le plafonnement des indemnités de licenciement prud’homales »).
Fortement décrié, ce barème a pourtant été validé par le Conseil constitutionnel (décision n°2018-761 du 21 Mars 2018) et s’applique à tous les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017.

Il existe toutefois plusieurs moyens d’échapper à son application.

1) Les cas d’exclusion du barème Macron des indemnités prud’homales.

Tout d’abord, le Code du travail lui-même prévoit plusieurs hypothèses que le plafonnement est exclu (Cf. notre précédent article « Salariés, cadres, cadres dirigeants : 4 conseils pour échapper au plafonnement des indemnités prud’homales prévu par l’Ordonnance Macron »)

Ensuite, en dehors de ces hypothèses limitativement énumérées, il est possible d’obtenir des prud’hommes qu’ils écartent l’application du barème du fait de sa contrariété avec des normes internationales qui lui sont hiérarchiquement supérieures.

En effet, de sérieux doutes demeurent quant à la conformité de ces dispositions avec plusieurs normes internationales.

2) La possibilité pour les Conseils de prud’hommes d’écarter l’application du barème Macron du fait de son inconventionnalité.

Il relève du pouvoir du Conseil de prud’hommes d’écarter l’application des dispositions du Code du travail qu’il estimerait inconventionnelles c’est-à-dire contraires au droit international.

En effet, chaque norme juridique doit être compatible avec l’ensemble des règles qui lui sont supérieures dans la hiérarchie des normes.

S’agissant plus précisément des règles du droit international, l’article 55 de la Constitution française dispose que : « Les Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois […] »

Le juge français peut donc être amené, lors de l’examen d’un litige, à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale dans la résolution du litige.

Cette possibilité a d’ailleurs été mise en œuvre par juge prud’homal à l’occasion des contentieux relatifs au contrat nouvelles embauches (CNE), jugé contraire à la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). (Voir notamment Conseil de prud’hommes de Longjumeau, 28 avril 2006, De Wee c/ Philippe Samzun ; n° 06/00316 ; Cour d’appel de Paris, 18ème E, 6 juillet 2007, n° S06/06992).

Or, le barème prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail est en contradiction avec plusieurs normes internationales.

2.1) La contrariété du barème Macron de l’article L. 1235-3 du Code du travail avec l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT.

Pour que le Conseil de prud’hommes écarte l’application du barème des indemnités prud’homales édicté par l’article L. 1235-3 du Code du travail, il est en premier lieu possible de soutenir que ce barème est contraire à l’article 10 de la convention n°158 OIT.

En effet, la convention n°158 de l’OIT qui a trait au licenciement dispose, en son article 10, que les juges qui constatent doivent « être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

L’existence d’un plafond relatif à l’indemnité attribuée en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse serait donc contraire à ce principe de réparation appropriée.

Or, cette convention a été ratifiée par la France le 16 mars 1989 et le Conseil d’Etat a confirmé que ses dispositions étaient d’effet direct (CE Sect., 19 octobre 2005, CGT et a., n° 283471).

2.2) La contrariété du barème Macron de l’article L. 1235-3 du Code du travail avec l’article 24 de la Charte sociale européenne.

En second lieu, l’inconventionnalité du barème des indemnités prud’homales peut être recherchée au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999 et dont l’effet direct a également été reconnu par le Conseil d’Etat. (CE, 10 février 2014, M. Fischer, n° 359892)

Cet article 24 dispose en effet que :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…) :

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. »

A cet égard, le Comité européen des droits sociaux a précisé qu’une réparation appropriée supposait « le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours, la possibilité de réintégration et des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ». (Décision du 8 septembre 2016, Finish Society of Social Rights c. Finlande, n°106/2014)

Or, le Comité européen des droits sociaux a pris le soin de préciser, dans cette décision du 8 septembre 2016, que « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte ».

Le comité a ainsi censuré la loi finlandaise qui prévoyait que le juge fixe l’indemnité pour licenciement injustifié en fonction de l’ancienneté, de l’âge du salarié, de ses perspectives de retrouver un emploi équivalent, de la durée de son inactivité, et de la situation générale du salarié et de l’employeur mais avec un plancher à hauteur de 3 mois de salaire et un plafond à hauteur de 24 mois.

A fortiori, il est donc possible de soutenir que le barème fixé par l’article L.1235-3 du Code du travail et qui prévoit un plafonnement encore inférieur (1 à 20 mois selon l’ancienneté), est contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne telle qu’interprétée par le Comité européen des droits sociaux.

De surcroit, pour les salariés dont l’ancienneté est moindre, le montant de l’indemnité plafond est si faible que l’objectif dissuasif qu’elle est censée remplir aux termes de l’article 24 de la Charte est réduit à néant.

Il est donc parfaitement légitime de soutenir que le barème de l’article L. 1235-3 du Code du travail viole à double égard l’article 24 de la Charte sociale européenne.

***

A notre connaissance, il n’existe à ce jour encore aucune décision d’un Conseil de prud’hommes qui aurait écarté le barème en raison de sa contrariété aux normes internationales.

Toutefois, il relève de la responsabilité de tous les défenseurs des salariés de soulever cette inconventionnalité de manière systématique dans l’espoir d’obtenir des juges prud’homaux une invalidation de ce barème qui limite drastiquement l’indemnisation des licenciements abusifs/sans cause réelle et sérieuse.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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