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Le salarié qui doit laisser en permanence son portable allumé pour répondre aux appels d’urgence est en astreinte. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : lundi 3 septembre 2018
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Dans l’arrêt du 12 juillet 2018 (C. cass. 12/07/2018, n°17-13029), la Cour de cassation affirme que doit être payée, une astreinte consistant pour un salarié « sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, le fait d’avoir l’obligation de rester en permanence disponible avec son téléphone portable pour répondre à d’éventuels besoins et se tenir prêt à intervenir en cas de besoin ».

1) Rappel du droit des astreintes.

1.1) Les textes.

Aux termes de l’article L 3121-9 du Code du Travail (loi n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)) : « Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif. La période d’astreinte fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos. Les salariés concernés par des périodes d’astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable ». https://www.legifrance.gouv.fr/affi...

Auparavant, la législation applicable aux faits de l’espèce ci-dessous prévoyait qu’« Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, a l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif ». [1]

Par ailleurs, en application de l’article L 3121-11 du Code du Travail « Une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut mettre en place les astreintes. Cette convention ou cet accord fixe le mode d’organisation des astreintes, les modalités d’information et les délais de prévenance des salariés concernés ainsi que la compensation sous forme financière ou sous forme de repos à laquelle elles donnent lieu ». https://www.legifrance.gouv.fr/affi...

1.2) La jurisprudence.

La Cour de cassation a jugé que « constitue une astreinte le fait de devoir rester à domicile, à proximité du téléphone, pour faire face à une éventuelle urgence. » [2]

Elle a, à plusieurs reprises, réitérée sa position concernant le temps d’astreinte : il s’agit d’une sujétion qui doit être rémunérée. [3].

La Cour de cassation dans un arrêt du 12 octobre 1999 a décidé aussi que « Le défaut de paiement au salarié des indemnités d’astreinte auxquelles il aurait pu prétendre constituerait pour l’employeur un manquement à ses obligations lui rendant imputable la rupture du contrat de travail. » [4]

2) L’arrêt du 12 juillet 2018 : l’obligation de rester disponible en permanence avec son portable allumé pour répondre à d’éventuels besoins et se tenir prêt à intervenir en cas de besoin, constitue une astreinte qui doit être payée par l’entreprise.

M. Y, engagé par la société Rentokil Initial, à compter du 14 janvier 2008, a été promu directeur d’agence le 1er janvier 2009 et s’est vu adjoindre les fonctions de directeur régional du Pôle Sud Ouest le 1er avril 2010.

Licencié le 12 décembre 2011, il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.

La société était soumise à la Convention collective nationale des entreprises de désinfection, désinsectisation, dératisation.

Dans son arrêt du 14 décembre 2016, la Cour d’appel de Montpellier a condamné la société à payer au salarié de lui payer une certaine somme de 60.688 euros à titre de rappel d’indemnité d’astreinte.

La société s’est pourvue en cassation ; toutefois, dans l’arrêt du 12 juillet 2018 [5], la Cour de cassation rejette le pourvoi de la société.

Elle affirme « qu’ayant relevé qu’en application d’un document intitulé “procédure de gestion des appels d’urgence”, les coordonnées des directeurs d’agence étaient communiquées à la société en charge des appels d’urgence et que ces directeurs d’agence devaient en cas d’appel prendre les mesures adéquates, et qu’à partir du moment où le salarié a été promu directeur d’agence, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, il avait l’obligation de rester en permanence disponible à l’aide de son téléphone portable pour répondre à d’éventuels besoins et se tenir prêt à intervenir en cas de besoin, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».

Cette jurisprudence doit être approuvée et est conforme à la jurisprudence constante.

A cet égard, dans un arrêt du 2 mars 2016, [6], la Cour de cassation avait condamné une société à payer des astreintes à un salarié aux motifs que « le salarié était tenu durant les périodes litigieuses de pouvoir être joint téléphoniquement en vue de répondre à un appel de l’employeur pour effectuer un travail urgent au service de l’entreprise ».https://www.legifrance.gouv.fr/affi...

3) Arrêt du 12 juillet 2018, astreintes et droit à la déconnexion ?

Rappelons que l’article L. 2242-17 7° du code du travail sur le droit à la déconnexion dispose que « La négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail porte sur : (…)
7° Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale.
A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité social et économique. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques
 ».

Certains commentateurs ont considéré que l’arrêt du 12 juillet 2018 était la première décision suivant la mise en œuvre des dispositions sur le droit à la déconnexion qui est applicable depuis le 1er janvier 2017.

Nous ne partageons pas cette analyse car l’arrêt du 12 juillet 2018 concerne un litige qui s’est déroulé avant 2011 alors que les dispositions sur le droit à la déconnexion n’étaient pas applicables [7]. https://www.legifrance.gouv.fr/affi...

Néanmoins, si le litige s’était déroulé postérieurement à la mise en œuvre des dispositions sur le droit à la déconnexion, le salarié aurait pu demander, le cas échéant, des dommages intérêts pour non-respect des dispositions sur le droit à la déconnexion.

Concernant le droit à la déconnexion, vous pouvez vous reporter à nos 2 articles :
- Droit à la déconnexion des salariés à partir du 1er janvier 2017 : comment le mettre en place ?
- Droit à la déconnexion : modèles d’accord collectif pour les entreprises et syndicats.

Cour cass. 12 juillet 2018 n°17-13029 - pdf ci-dessous

Décision commentée en PDF
Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Art. L. 3121-5 ancien du code du travail.

[2Cass soc. 9 déc 1998. n°96-44.789.

[3Cass soc. 9 décembre 1998 n°96-44.789 ; Cass soc. 23 novembre 2011, n°10-23.406

[4Cass soc 12 octobre 1999, n°97-42.143.

[5N°17-13029

[6N°14-14919

[7Article L. 2242-17 du code du travail