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Le cadre juridique fixé par l’Organisation des nations unies en matière de non-prolifération des armes de destruction massive. Par Alexis Deprau, Docteur en droit.
Parution : lundi 3 septembre 2018
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L’Organisation des nations unies (ONU) a fixé un cadre juridique d’interdiction de la prolifération nucléaire et de la prolifération des armes chimiques et biologiques. Néanmoins, il s’avère que cette interdiction est tempérée en matière nucléaire par la Cour internationale de justice.

Début 2018, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU souhaitait donner un nouvel élan au programme de désarmement mondial concernant les armes de destruction massive, en estimant qu’il incombait à l’Organisation des nations unies d’assurer ce rôle- [1], motif pour lequel le Conseil de sécurité veut réexaminer la résolution 1540 (2004) touchant à la prolifération de ces armes, même si pour l’heure, cela ne reste qu’un débat [2].

I. La lutte contre la prolifération nucléaire formulée par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU.

L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le 26 octobre 1979, la Convention sur la protection physique des matières nucléaires qui a pour but d’interdire l’utilisation des matières nucléaires, ainsi que leur cession illégale ou leur vol [3].

Le 28 avril 2004, le Conseil de sécurité des Nations Unies a pris la résolution 1540 (2004) touchant à la prolifération d’armes nucléaires, chimiques et biologiques. Par cette résolution, le Conseil de sécurité a demandé aux États de ne pas aider et/ou soutenir un groupe ou acteur non étatique, dans le but d’éviter que celui-ci ou ceux-ci puissent se procurer, fabriquer, posséder, transférer ou utiliser des armes nucléaires, chimiques ou biologiques [4].
Cette résolution encourage par ailleurs les États à mettre en place des dispositifs législatifs nationaux en vue de l’interdiction, de la possession, de la fabrique d’armes nucléaires ou de matières fissiles [5]. Dans le même ordre d’idées, la résolution 1540 (2004) insiste sur la coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques pour la lutte contre les armes de destruction massive [6].

Après les nombreuses conventions contre le terrorisme, l’Assemblée générale des Nations unies a elle aussi adopté la Convention contre le terrorisme nucléaire, le 13 avril 2005 [7], qui touche non seulement aux actes de terrorisme nucléaire, mais aussi aux menaces et tentatives d’actes de terrorisme nucléaire.

II. La lutte contre la prolifération chimique et biologique au sein de l’ONU.

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé de créer une Commission sur le désarmement avec la résolution 502 (VI) du 11 janvier 1952 [8]. La suite historique de cette Commission est la première session extraordinaire de l’Assemblée générale sur la question du désarmement, qui a vu la mise en place de la Conférence sur le désarmement, en 1979, celle-ci émettant des avis et des analyses, mais devant aussi rendre un rapport annuel sur les questions de désarmement (nucléaire, bactériologique et chimique) à l’Assemblée générale [9].

Lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies a édicté la résolution 687 (1991), il l’a prise à la fois pour les armes nucléaires irakiennes mais aussi pour les armes biologiques et chimiques qui ont été contrôlées par la Commission spéciale des Nations unies (UNSCOM) dans le cadre de son travail d’inspection [10].

Par ailleurs, la résolution 1540 (2004) du 28 avril 2004 est intervenue non seulement pour la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, mais aussi pour les armes chimiques et biologiques, dans l’idée d’interdire à un État d’aider ou de soutenir un groupe ou acteur étatique, avec le souhait que les États mettent en place des dispositifs législatifs nationaux en vue d’interdire contre cette forme de prolifération [11].

III. Une interdiction tempérée par la Cour internationale de justice dans le domaine nucléaire.

Si les instances délibératives de l’Organisation des Nations unies ont logiquement conclu à une interdiction de la prolifération nucléaire, la Cour internationale de justice est intervenue pour apporter un éclairage concernant l’interdiction d’une telle prolifération. En effet, l’avis de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996 sur la licéité de l’utilisation d’armes nucléaires ne se fixa que sur des questions de santé publique eu égard aux conséquences d’une arme nucléaire [12] tout en reconnaissant « qu’il n’existe aucune règle générale de droit international proscrivant spécifiquement les armes nucléaires » [13].
Plus exactement, l’érosion de la prolifération multilatérale au regard de la position de la Cour internationale de justice s’explique par le fait que le juge estime que, non seulement aucune règle coutumière en droit international ne prohibe l’usage d’armes nucléaires, mais encore que les résolutions du Conseil de sécurité « n’établissent pas encore l’existence d’une opinio juris quant à l’illicéité de l’emploi de ces armes » [14].

A plus forte raison et, au soutien de la position de la Cour internationale de justice, cette érosion de la lutte contre la prolifération peut enfin s’observer avec le chapitre VII de la Charte des Nations Unies posant le droit à la légitime défense de chaque État, ce qui n’exclut pas l’usage de l’arme nucléaire dans la situation où la survie de l’État serait engagée car, la Cour n’a vu dans le droit international aucune position « suffisamment univoque » concernant l’interdiction de l’usage d’une telle arme [15].

L’absence d’interdiction n’est pas non plus à considérer comme une autorisation, mais la Cour estime que la survie d’un État fait apparaître une « variante qualifiée du droit de légitime défense » [16], laissant ainsi une marge d’interprétation assez grande (et critiquable) sur la prohibition des armes nucléaires.

Alexis Deprau, Docteur en droit, élève-avocat à l'EFB

[3Convention sur la protection physique des matières nucléaires, n° 24 631, adoptée à Vienne le 26 octobre 1979 et ouverte à la signature à Vienne et New York le 3 mars 1980, p. 205.

[4Rés. 1540 (2004), 28 avril 2004, S/RES/1540 (2004), 1.

[5Ibid., 3.

[6Ibid., 8 c.

[7Conv. internationale du 13 avril 2005 pour la répression des actes de terrorisme nucléaire.

[8Rés. 502 (VI) du 11 janvier 1952 sur la réglementation, limitation, et réduction équilibrée de toutes les forces armées et de tous les armements ; contrôle international de l’énergie atomique.

[10Rés. 687 (1991) du 3 avril 1991, S/RES/687 (1991), § 8 i).

[11Rés. 1540 (2004) du 28 avril 2004, S/RES/1540 (2004).

[12CIJ, avis consultatif, 8 juillet 1996, Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, Rec. 1996, p. 66.

[13COUSSIRAT-COUSTERE (V.), « La licéité des armes nucléaires en question », pp. 93-110, in Serge SUR (dir.), Le droit international des armes nucléaires, Société française pour le droit international, Ed. A. Pedone, Paris, p. 94.

[14TCHIKAYA (B.), « Les récentes leçons de la Cour internationale de justice sur les armes de destruction massive », pp. 113-132, in MEHDI (R.) (dir.), Les Nations Unies face aux armes de destruction massive, Éditions PEDONE, Paris, 2011, p. 118.

[15ASCENSIO (H.), « Le chapitre VII de la Charte des Nations Unies à l’épreuve de la prolifération », pp. 133-145, in MEDHI (R.) (dir.), op. cit., 2011, p. 138.

[16COUSSIRAT-COUSTERE (V.), op. cit., 1998, p. 105.