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Période d’essai : licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de renouvellement systématique. Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.
Parution : mardi 4 septembre 2018
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Par un arrêt rendu le 27 juin 2018 (Cass. Soc., 27 juin 2018, n°16-28.515), la Chambre sociale de la Cour de cassation a adopté une position particulièrement sévère à l’égard des entreprises qui pratiquent une politique de renouvellement systématique des périodes d’essais.

En effet, la Chambre sociale a estimé que la rupture de la période d’essai d’une salariée devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que le renouvellement de celle-ci n’avait pas été justifié par la nécessité d’apprécier les compétences professionnelles de la salariée mais résultait d’une politique de renouvellement automatique des périodes d’essai par l’employeur.

Si elle s’avère assez sévère à l’égard des employeurs, cette décision est en revanche très favorable aux salariés et ouvre la voie à un contentieux très nourris relatif aux ruptures de période d’essai.

I) Faits et procédure.

Dans l’affaire qui lui était soumise, il s’agissait d’une salariée employée comme chargée de mission dont la période d’essai avait été renouvelée avec son accord exprès puis rompue à l’initiative de l’employeur.

La salariée, qui demandait à ce que la rupture de sa période d’essai produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du caractère abusif du renouvellement dont elle avait fait l’objet, avait obtenu gain de cause devant la Cour d’appel.

La société s’était donc pourvue en cassation.

II) Rappels sur la période d’essai et son renouvellement.

Rappelons que la période d’essai est définie par l’article L. 1221-20 du Code du travail qui lui attache une finalité particulière : « La période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent. »

Elle ne peut être renouvelée qu’une fois à condition que cette possibilité de renouvellement soit prévue par l’accord collectif de branche étendu applicable à l’entreprise et expressément indiquée dans la lettre d’engagement ou le contrat de travail.

En outre, le renouvellement doit être expressément accepté par le salarié avant la fin de la période d’essai initiale.

Surtout, le renouvellement doit être justifié au regard de la finalité qu’attache le Code du travail à la période d’essai.

III) Thèse des parties.

Pour justifier le renouvellement, la société soutenait notamment, à l’appui de son pourvoi, le fait que la salariée occupait un emploi technique et qu’elle figurait parmi les collaborateurs ayant le niveau de qualification le plus élevé de l’entreprise de sorte que le renouvellement était nécessaire pour s’assurer de son aptitude à occuper son poste.

A l’inverse, la salariée démontrait que le renouvellement de sa période d’essai ne résultait pas du moindre besoin de poursuivre son évaluation mais uniquement d’une pratique systématique de l’entreprise.

Au soutien de cette affirmation, la salariée versait aux débats deux courriels dans lesquels des dirigeants de la société faisaient expressément référence à cette pratique systématique et démontrait que sept autres de ses collègues avaient également vu leur période d’essai renouvelée sans justification objective.

IV) Solution.

Se fondant sur les éléments rapportés par la salariée, la Cour d’appel avait jugé que le renouvellement par la société ne répondait pas à la finalité de la période d’essai

Elle en a ensuite tiré toutes les conséquences juridiques classiques : le renouvellement n’étant pas valable, la salariée était en CDI et la rupture s’analyse donc en un licenciement nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse ouvrant droit aux indemnités afférentes (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).

La Cour de cassation a intégralement validé la décision rendue par la Cour d’appel et a donc rejeté le pourvoi formé par la société.

V) Ce qu’il faut retenir de cette décision.

La Cour de cassation a jugé que « la cour d’appel a relevé, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, hors toute dénaturation, que le renouvellement de la période d’essai de la salariée n’avait pas eu pour objet d’apprécier ses compétences et avait été détourné de sa finalité, et a ainsi légalement justifié sa décision ».

Cet arrêt, bien que non publié au bulletin, mérite d’être souligné puisqu’il peut se révéler lourd de conséquences pour les entreprises qui ont pour habitude de renouveler automatiquement les périodes d’essai sans pour autant être en mesure de justifier avoir besoin de temps supplémentaire pour apprécier la capacité du salarié concerné à occuper le poste de travail pour lequel il a été embauché.

Le salarié dont la période d’essai a été renouvelée abusivement avant d’être rompu pourra en effet se prévaloir de cette jurisprudence pour réclamer l’ensemble des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum