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La réponse juridique complétée par la vérification des stocks d’armes de destruction massive. Par Alexis Deprau, Docteur en droit.
Parution : jeudi 13 septembre 2018
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Après la fixation d’un cadre juridique de contre-prolifération au niveau international, les vérifications permettent de s’assurer que les stocks d’armes nucléaires ou biologiques et chimiques ne mettent pas en danger la sécurité des États.

I. La vérification du stock d’armes nucléaires.

La vérification du stock d’armes nucléaires est assurée par l’Agence internationale pour l’énergie atomique, avec pour exemples les vérifications des stocks irakiens et iraniens.

1/ Une vérification effectuée par l’Agence internationale pour l’énergie atomique.

A la fin de la Seconde guerre mondiale et face au danger que représente l’arme nucléaire comme l’ont montré les effets d’Hiroshima et de Nagasaki, la communauté internationale a décidé de créer une Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), le 23 octobre 1956. L’objectif initial de cette Agence était la promotion du nucléaire civil ainsi que le prévoit son Statut, puisqu’« elle s’assure, dans la mesure de ses moyens, que l’aide fournie par elle-même ou à sa demande ou sous sa direction ou sous son contrôle n’est pas utilisée de manière à servir à des fins militaires » [1].

Dès 1957, les États ont consenti à accorder de nombreuses prérogatives à cette Agence afin de rendre son travail plus efficace : ils ont tout d’abord demandé l’arrêt des essais nucléaires et la mise en œuvre d’un système de libre inspection [2].

L’Agence internationale de l’énergie atomique a pu ensuite demander des avis consultatifs auprès de la Cour internationale de justice [3]. Enfin, elle est reconnue comme organisation internationale et remet un rapport annuel sur ses activités [4].

Cette organisation est ainsi internationalement reconnue pour émettre des rapports, mais elle vérifie et inspecte aussi les sites qui sont suspectés de produire ou de stocker des armes nucléaires en violation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, à l’aide de son corps d’inspecteurs [5]. Pour autant, le travail de l’AIEA ainsi que de la communauté internationale est encore insuffisant, même si pour le moment, il n’y a pas à déplorer de dégâts majeurs dus aux lacunes de sécurité, comme par exemple l’avion stoppé in extremis par les Russes, en octobre 1992, qui partait pour la Corée du Nord avec à son bord une quarantaine de scientifiques Russes spécialisés dans le domaine nucléaire [6].

L’AIEA est intervenue avec l’aide des États-Unis en Corée du Nord, en 1992, afin d’inspecter leurs installations. Le rapport formel que les inspecteurs ont fourni a conclu que les données que la Corée du Nord avait fournies étaient faussées quant aux activités que les Nord-Coréens menaient [7]. Face à cette situation, les États-Unis et la Corée du Nord ont conclu un accord, en octobre 1994, eu égard aux obligations du TNP [8], même si la Corée du Nord a dénoncé ce Traité le 11 janvier 2003.

Après la guerre en Irak, en 2003, la Libye a été vérifiée par une équipe d’experts britanniques et agents du MI-6 et de la CIA, sous la férule de Mike O’Brien, secrétaire d’État au Foreign Office. Ils purent inspecter les sites d’armes de destruction massive et conclure qu’« il apparaissait clairement que si la Libye n’avait pas encore acquis d’armement nucléaire, elle en était bien plus proche que nous le pensions. Elle travaillait également sur divers systèmes de livraison, dont des missiles balistiques d’une portée suffisante pour frapper n’importe quelle grande ville européenne. En vérité, Khadafi représentait une bien plus grande menace militaire que Saddam » [9].

2/ La vérification irakienne.

Une illustration historique de vérification irakienne a trait à la résolution 687 (1991) du 3 avril 1991 [10].
Après l’invasion du Koweït par l’Irak, le Conseil de sécurité de l’ONU a pris cette résolution en réaffirmant non seulement l’indépendance politique et la souveraineté du Koweït, mais a aussi affirmé son souhait de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive. Le Conseil de sécurité rappela impérativement à l’Irak de ne pas acquérir d’armes nucléaires, et elle créa en outre, une Commission spéciale qui, en coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique aurait pour but d’inspecter les « capacités nucléaires de l’Irak » [11]. Cette commission spéciale des Nations unies (UNSCOM) a eu pour tâche de vérifier s’il n’y avait des installations clandestines en Irak. Cette dernière a bien découvert des installations clandestines en violation du Traité de non-prolifération des armes nucléaires auquel l’Irak a adhéré, pendant que l’Agence internationale de l’énergie atomique veillait à la destruction complète des installations officielles [12].

Alors que les Irakiens niaient toute forme d’activité en vue d’un programme nucléaire militaire, le Conseil de sécurité a pris la résolution 707 (1991) du 15 août 1991, dans le but de rappeler l’interdiction du nucléaire (sauf applications médicales, industrielles ou agricoles), et de fournir un vrai rapport détaillé [13]. Le contrôle à long terme des dispositifs nucléaires, chimiques et bactériologiques a ensuite été adopté par le Conseil de sécurité, le 11 octobre 1991 [14].
La résolution du 27 mars 1996 vient compléter la résolution 715, en décrivant les mécanismes possibles d’importation et d’exportation après la levée de l’embargo [15]. Après le refus de Saddam Hussein de revoir les inspecteurs de l’Agence internationale, il a fallu attendre la résolution 1441 (2002) du 8 novembre 2002 [16] du Conseil de sécurité et, l’insistance des États-Unis, pour que soit exigé le retour des inspecteurs en vue de contrôler si les installations n’avaient pas été reconstruites, et de prendre potentiellement les mesures adéquates en cas de découverte d’une telle installation.
L’insistance des États-Unis s’est observée avec l’ancien vice-président Dick Cheney, qui déclara devant la Convention nationale des vétérans en août 2002, qu’« il ne fait aucun doute à présent que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive. Beaucoup d’entre nous sont convaincus qu’il possédera des armes nucléaires dans un avenir très proche. Quand précisément ? Nous ne pouvons le dire, car le renseignement est par nature une activité incertaine, même dans les meilleures circonstances. C’est particulièrement vrai lorsque l’on a affaire à un régime totalitaire qui a fait de la tromperie, une science » [17].

Malgré les interventions de l’Organisation des Nations unies et, malgré les missions de vérification, le dénouement intervint le 15 juillet 2003, quand le docteur David Kelly fut auditionné par la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des communes, après que la chaîne d’information BBC rendit public le fait que le dossier sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein avait été gonflé et revu par l’administration de Tony Blair, dans le but de justifier l’intervention britannique en Irak. Cette affaire fut mondialement connue après le décès du docteur Kelly, qui eut lieu trois jours après son audition. Cette révélation fut problématique pour le Gouvernement britannique, dans la mesure où le docteur Kelly était un spécialiste mondialement reconnu en matière d’armement biologique travaillant au centre de recherche biologique britannique de Porton Down et, qui était régulièrement consulté par des spécialistes de contre-prolifération, ainsi que des agents de la CIA, du MI-5, du MI-6 et du Mossad en raison de ses compétences et de sa fiabilité [18]. Après la seconde guerre en Irak et, sur demande des services américains et britanniques, le docteur Kelly se rendit plusieurs fois en Irak sans jamais trouver de nouvelles armes de destruction massive [19]. Il a fallu attendre dix ans pour que l’ancien secrétaire d’État américain Colin Powell – qui avait lui-même annoncé au sein de l’Organisation des Nations unies que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive – se rétracte et avoue que « les preuves étaient fausses ». De même, il s’est avéré que l’affirmation de Tony Blair selon laquelle il y avait des armes de destruction massive en Irak était bel et bien fausse.
La commission parlementaire Chilcot ayant mis en cause l’ancien Premier ministre britannique qui a justifié son mensonge pour soutenir l’intervention militaire américaine.

C’est la raison pour laquelle Hans Blix, l’ex-chef des inspecteurs de l’Organisation des Nations unies mandaté pour vérifier les installations en Iran, a appelé à ne pas user de cette basse manœuvre pour une intervention militaire en Iran.

3/ La vérification iranienne.

L’actualité en matière de vérification nucléaire concerne la République islamique d’Iran. Par la résolution 2231 (2015) du 20 juillet 2015 [20], le Conseil de sécurité de l’ONU a pris une longue résolution (114 pages avec les annexes) sur le contrôle de la non-prolifération nucléaire en Iran. En vertu de cette résolution, l’Agence internationale de l’énergie atomique a pour mission d’inspecter les sites iraniens suspectés d’enrichir de l’uranium. Il s’agit ici en fait de faire respecter par l’Iran ses engagements, à savoir que le nucléaire militaire lui est totalement prohibé. L’avancée notable a été le Plan d’action global commun signé à Vienne le 14 juillet 2015 [21] en Annexe de la résolution 2231 (2015) et dont l’inspection est la contrepartie [22]. Le Plan d’action global commun permet officiellement au niveau de la communauté internationale que l’Iran puisse développer son nucléaire civil. Autre avancée majeure, ce Plan d’action global prévoit aussi la levée des sanctions prises par le Conseil de sécurité et l’Union européenne à l’encontre de l’Iran [23]. Cependant, cette avancée doit être aujourd’hui minimisée, au regard de la position américaine, et le retrait « avec pertes et fracas » de l’accord.

II. La vérification du stock d’armes chimiques et biologiques.

La Convention de Paris du 13 janvier 1993 sur l’interdiction des armes chimiques a institué un régime général de vérification des installations chimiques [24], défini dans les Annexes de la Convention. Ce mécanisme classique repose sur la bonne foi des États signataires, dans la mesure où la vérification se fait après déclaration de l’État concerné sur les armes qu’il détient et les installations présentes sur son territoire [25].

En sus du régime classique de vérification, la Convention prévoit aussi à l’article IX-8, une vérification par mise en demeure d’un État partie qui suspecterait le non-respect de la Convention par l’autre État partie visé [26], tout en sachant que cette prérogative appartient seulement aux États signataires, mais pas à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques. Sur la mise en place du mécanisme de mise en demeure, le Directeur général ainsi que le Conseil exécutif de cette Organisation doivent être prévenus par l’État requérant. Par la suite, les inspecteurs dépêchés doivent en principe inspecter les sites concernés. Cependant, l’État concerné peut essayer de négocier pour retarder l’inspection, mais il peut aussi protéger ses informations sensibles à travers la procédure de « l’accès réglementé », comme par exemple, retirer les documents sensibles ou, éteindre les ordinateurs contenant les informations qu’il estime ne pas être concernées par le mandat d’inspection [27]. Autre procédure spéciale permise à l’État inspecté, celle de « l’accès sélectif » qui lui permet d’instaurer un pourcentage de sites ou installations pouvant être inspectés [28].

Par les résolutions 687 (1991) [29], 949 (1994) [30] et 1441 (2002) [31] du Conseil de sécurité de Nations unies, la consigne a été donnée à l’Irak une inspection internationale sur les armes nucléaires et l’obligation de coopération avec la Commission spéciale, comportant aussi un pan sur le contrôle des armes chimiques et bactériologiques que possédait l’Irak. Ainsi, de 1991 à 1998, la Commission spéciale de l’ONU (UNSCOM), puis de 2002 à 2003, la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection Nations Unies (COCOVINU ou UNMOVIC en anglais) multiplièrent les contrôles et inspections : le stock d’armes à agents neurotoxiques avec en grande partie du gaz sarin dont « une trentaine de missiles Scud modifiés et 12 000 roquettes de 122 mm » a été totalement détruit entre 1991 et 1994, après les nombreuses inspections [32].

Est-ce à dire qu’il n’existerait plus d’armes de destruction massive aujourd’hui ? Il est sage de ne pas répondre de manière catégorique. Cependant, il est observable deux choses : le mécanisme de vérification est efficace, et permet d’avoir un contrôle approfondi tout en évitant une escalade potentielle fondée sur des suppositions. Enfin, il est clair aujourd’hui que l’alibi des armes de destruction massive peut aussi, sans de réelles preuves, justifier une intervention militaire. Mais ici, la frontière entre droit et géopolitique est rapidement franchie.

Alexis Deprau, Docteur en droit, élève-avocat à l\'EFB

[1Statut du 23 octobre 1956 de l’Agence internationale de l’énergie atomique, art. II.

[2Rés. 1148 (XII) du 14 novembre 1957 relatif à la réglementation, limitation et réduction équilibrée de toutes les forces armées et de tous les armements ; conclusion d’une Convention internationale (ou d’un traité international) concernant la réduction des armements et l’interdiction de l’arme atomique, de l’arme à hydrogène et des autres types d’engins de destruction massive.

[3Rés. 1146 (XII) du 14 novembre 1957 relatif à l’autorisation habilitant l’Agence internationale de l’énergie atomique à demander des avis consultatifs à la Cour internationale de justice.

[4Rés. 1145 (XII) du 14 novembre 1957 relatif à l’accord régissant les relations entre l’Organisation des Nations Unies et l’Agence internationale de l’énergie atomique.

[5Statut du 23 octobre 1956 de l’Agence internationale de l’énergie atomique, art. XII C.

[6LE GUELTE (G.), Terrorisme nucléaire. Risque majeur, fantasme ou épouvantail ?, IRIS, PUF, Paris, 2003, p. 77.

[7Ibid., p. 112.

[8Traité de non-prolifération des armes nucléaires, ouvert à la signature à Londres, Moscou et Washington le 1er juillet 1968, n°10 485.

[9THOMAS (G.), Mossad : les nouveaux défis, Nouveau Monde éd., Paris, 2006, p. 37.

[10Rés. 687 (1991) du 3 avril 1991 du Conseil de sécurité.

[11Ibid., § 13.

[12LE GUELTE (G.), op. cit., 2003, p. 37-38.

[13Rés. 707 (1991) du 15 août 1991 du Conseil de sécurité, S/RES/707 (1991).

[14Rés. 715 (1991) du 11 octobre 991 du Conseil de sécurité, S/RES/715 (1991).

[15Rés. 1051 (1996) du 27 mars 1996 du Conseil de sécurité, S/RES/1051 (1996).

[16Rés. 1441 (2002) du 8 novembre 2002 du Conseil de sécurité, S/RES/1441 (2002).

[17DANINOS (F.), CIA. Une histoire politique : 1947 à nos jours, Éd. Tallandier, Paris, 2011, p. 391.

[18THOMAS (G.), op. cit., 2006, p. 130.

[19Ibid., p. 131.

[20Rés. 2231 (2015) du 20 juillet 2015 du Conseil de sécurité, S/RES/2231 (2015).

[21Lettre datée du 16 juillet 2015, adressée au Président du Conseil de sécurité par la Représentante permanente des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations Unies, S/2015/544.

[22Rés. 2231 (2015) du 20 juillet 2015 du Conseil de sécurité, S/RES/2231 (2015), Annexe A.

[23Ibid., Annexe A § 18 et § 19.

[24Convention de Paris du 13 janvier 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et leur destruction, art. VI.

[25Ibid., art. III et annexe 2.

[26Ibid., art. IX-8.

[27MEYER (C.) et LEGLU (D.), Menace chimique et bactériologique, Ellipses, Paris, 2003, p. 95.

[28Ibid.

[29Rés. 687 (1991) du 3 avril 1991, S/RES/687 (1991).

[30Rés. 949 (1994) du 15 octobre 1994 du Conseil de sécurité, S/RES/94 (1994).

[31Rés. 1441 (2002) du 8 novembre 2002 du Conseil de sécurité, S/RES/1441 (2002).

[32MEYER (C.) et LEGLU (D.), op. cit., 2003 , p. 109.