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Dessaisissement du débiteur en cas de reprise de liquidation judiciaire. Par Laurent Latapie, Avocat.
Parution : lundi 17 septembre 2018
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Qu’en est-il du dessaisissement du débiteur en cas de reprise d’une liquidation judiciaire initialement clôturée pour insuffisance d’actif ? Que peux faire la banque en cas d’impayés sur un prêt le temps de la reprise ? Le débiteur peut-il opposer ce dessaisissement à l’établissement bancaire ?

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en mars dernier qui vient aborder la problématique des effets d’une reprise de liquidation judiciaire sur le dessaisissement général du débiteur alors que celle-ci avait été initialement clôturée pour insuffisances d’actifs.

L’arrêt est intéressant car il précise que si la reprise de la liquidation judiciaire a un effet rétroactif, cet effet est limité à la saisie et la réalisation des actifs et l’exercice des actions qui ont été omis dans la procédure clôturée.

La reprise de la procédure n’emporte donc pas à nouveau le dessaisissement général du débiteur, qui reste libre de contracter et d’engager des biens qui n’avaient jamais été compris dans la liquidation.

Ceci est d’autant plus important qu’il n’est pas rare de constater que certaines reprises de liquidation judiciaire interviennent parfois plusieurs années après la clôture de la liquidation judiciaire initiale, alors même que les débiteurs ont refait leur vie.

Ceci est d’autant plus salutaire qu’il n’est pas rare de voir certaines procédures collectives s’inscrire dans la longueur, voire de se rouvrir ou de reprendre plusieurs années après au motif d’un actif qui aurait été oublié.

En effet, celles-ci s’accompagnent dans un premier temps de la réalisation des actifs et dans un deuxième temps du désintéressement des créanciers à travers un état de collocation qui vient impacter le débiteur qui se trouve un liquidation judiciaire pendant un certain temps. Cela empêche le débiteur de contracter, de créer une nouvelle société ou de reprendre une nouvelle activité.

Dans cette affaire Monsieur Y exerçait l’activité de négoce de vins et spiritueux immatriculé au registre du commerce pour cette activité le 24 février 1986.

Par jugement du 12 juin 1987, Monsieur Y a fait l’objet de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire et par un jugement du 24 juin 1998, le même tribunal a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, dite liquidation judiciaire entrainant le dessaisissement général du débiteur.

Par jugement du 26 janvier 2000, le Tribunal de commerce a clôturé les opérations de liquidation judiciaire.

Cependant, par jugement du 7 octobre 2003, la réouverture des opérations de liquidation judiciaire a été ordonnée au motif pris que certains actifs n’avaient pas été réalisés convenablement.

La difficulté rencontrée est que Monsieur Y avait contracté un prêt en 2004, soit le temps de la liquidation judiciaire et s’était trouvé défaillant de telle sorte que la banque l’avait poursuivi en paiement.

La banque avait obtenu sa condamnation au paiement de la somme de 7 733,47 euros dont 7 683,47 euros avec intérêts au taux contractuel de 13,635% à compter du 14 décembre 2011, date de la déchéance du terme, et la somme de 50 euros au taux légal à compter de cette même date ; or le débiteur contestait cette condamnation en paiement puisqu’il considérait que le prêt avait été contracté alors même qu’il était encore en liquidation judiciaire et qu’il faisait l’objet d’un dessaisissement.

Il se fondait notamment sur l’article L 641-du Code de Commerce qui précise : « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée ; les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. »

La procédure de liquidation judiciaire emporte donc dessaisissement du débiteur, dessaisissement général du débiteur, qui ne peut durant cette procédure contracter de nouveaux emprunts.

Le débiteur considérait que le prêt ne pouvait être que nul et que la banque ne pouvait donc pas le poursuivre en paiement, celui-ci faisant l’objet d’un dessaisissement.

La réouverture de la liquidation judiciaire est strictement prévue par les dispositions de l’article 643-13 du Code de Commerce qui précise : « Si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d’actif et qu’il apparaît que des actifs n’ont pas été réalisés ou que des actions dans l’intérêt des créanciers n’ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise.
Le tribunal est saisi par le liquidateur précédemment désigné, par le ministère public ou par tout créancier intéressé. S’il est saisi par un créancier, ce dernier doit justifier avoir consigné au greffe du tribunal les fonds nécessaires aux frais des opérations. Le montant des frais consignés lui est remboursé par priorité sur les sommes recouvrées à la suite de la reprise de la procédure.
La reprise de la procédure produit ses effets rétroactivement pour tous les actifs du débiteur que le liquidateur aurait dû réaliser avant la clôture de la procédure de liquidation judiciaire
 ».

La reprise de la procédure n’emporte donc pas à nouveau dessaisissement général du débiteur, qui reste libre de contracter et d’engager des biens qui n’avaient jamais été compris dans la liquidation.

Le dessaisissement n’est pas total et le débiteur de trouve donc libre de contracter au besoin de nouveaux engagements bancaires.

Malheureusement dans le cas d’espèce, le débiteur a rencontré de nouvelles difficultés économiques et s’est trouvé poursuivi par la banque.

Ce dernier a essayé d’opposer le dessaisissement mais cela n’a pas trompé la Cour de Cassation qui précise que si la reprise de la liquidation judiciaire a un effet rétroactif, cet effet est limité à la saisie et la réalisation des actifs et à l’exercice des actions qui ont été omis dans la procédure clôturée.

Cet arrêt est important car la pratique montre bien qu’il n’est pas rare de constater que la reprise de la liquidation judiciaire, amène souvent l’ensemble des partenaires du débiteur, établissement bancaire compris à tirer tous les effets d’une liquidation judiciaire avec un dessaisissement général qui amène le débiteur à subir dans le cadre de cette reprise la clôture des comptes du débiteur et parfois même à subir la déchéance du terme de l’ensemble des prêts.

Laurent Latapie, Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit, Barreau de Draguignan www.laurent-latapie-avocat.fr