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10 conseils pour réussir la mise en place du CSE dans votre entreprise. Par Magali Baré, Consultante.
Parution : jeudi 20 septembre 2018
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La date des élections du futur Comité Social et Économique (CSE) approche. Une telle opportunité de changement se présente rarement. C’est maintenant que vous allez bâtir le dialogue social que vous souhaitez, et ce pour de nombreuses années. Quelles sont les bonnes pratiques pour réussir cette étape importante ?

1) Prenez le temps de mesurer les impacts de la réforme dans votre entreprise.

Maîtriser le contenu de la réforme est indispensable : ce qu’elle impose (la fusion obligatoire de toutes les instances) et ce qu’elle permet (une adaptation assez fine du dispositif de représentation du personnel à l’entreprise par le biais de la négociation). Les ouvrages sont généralement bien faits. En revanche, la possibilité que vous avez d’y consacrer un temps suffisant et sans interruption (réunions, consultation de mails urgents, ...) est plus hasardeuse. C’est pourquoi il est utile de prendre le temps de passer au moins une journée en formation, deux si vous pouvez, pour décortiquer tous les aspects des nouveaux textes et leurs implications concrètes.

Au-delà des questions techniques, vous pourrez surtout réfléchir au rôle du dialogue social dans votre entreprise : celle-ci génère forcément des tensions internes. Le management, souvent écrasé de responsabilités contradictoires, ne peut suffire à les gérer. Maîtriser le climat social, avoir les bons relais pour comprendre et pour échanger, c’est indispensable pour bien diriger. Et cela s’apprend.

2) Préparez un état des lieux.

Évolution du nombre d’élus, de leurs crédits d’heures, fin de la présence des suppléants aux réunions, … Les nouvelles règles sont généralement perçues par les élus comme des régressions de leur droits antérieurs et un risque de saper leur capacité à agir.

En faisant un bilan, on constate parfois qu’en réalité les crédits d’heures sont loin d’être consommés en totalité, que les suppléants viennent aux réunions uniquement lorsqu’un titulaire est absent pour ne pas désorganiser leur service (c’est le cas dans les sites de petite taille) et surtout qu’on retrouve déjà les mêmes élus dans toutes les instances.

Disposer de ces éléments vous sera précieux pour mesurer précisément les conséquences de l’application des nouvelles règles et ensuite envisager les aménagements possibles. Ils vous permettront aussi (parfois) de dédramatiser auprès des élus la mise en place du CSE et surtout de discuter sur la base d’éléments précis et concrets.

Même dans les cas dans lesquels la réforme conduit à une baisse drastique des moyens, ce chiffrage pourra servir de base de discussion pour faire ressortir, si c’est le cas, les avancées que vous êtes prêts à faire. Ainsi, chez Bouygues Telecom, l’application stricte de la loi devait conduire à une baisse des mandats d’au moins 50 %. A l’issue des négociations ou chaque partie a fait des concessions, les syndicats ont obtenu une réduction de 30 % des mandats chez l’opérateur des télécoms.

3) Clarifiez vos objectifs.

Une instance unique, c’est moins de temps passé en réunion, la fin des consultations distinctes sur les mêmes projets, la possibilité d’avoir des interlocuteurs moins nombreux, peut-être mieux au fait de la globalité de la vie de l’entreprise. Mais cette réforme comporte aussi des risques car les instances distinctes avaient des attributions spécifiques qui constituaient des repères. La fusion des instances peut avoir comme conséquence la confusion des échanges avec des réunions longues et sans valeur ajoutée, des représentants moins pertinents et une perte de qualité du dialogue. [1]

Pour éviter ces écueils, prenez le temps de formuler vos objectifs : simplifier le fonctionnement des instances, c’est tentant mais il ne peut s’agir que de simplifier la vie des employeurs et des DRH par moins d’élections et moins de mandats. Rendre le dialogue plus efficace pour l’entreprise et toutes ses parties prenantes ? C’est déjà mieux [2]

4) Oubliez tout ce que vous savez sur les relations sociales dans votre entreprise.

Le fonctionnement des instances, les relations avec les élus sont chargées d’une histoire, d’un passif, ayant conduit à un enchevêtrement de règles et de pratiques complexes. Pour réfléchir au dispositif adapté à votre situation, vous avez intérêt à mettre de côté les habitudes, les personnalités de chacun et les relations entretenues avec les uns et les autres pour réfléchir aux possibilités ouvertes par la réforme.

La tentation peut être grande de rester sur un statu quo plus facile à première vue. Ayez en tête que la négociation que vous allez engager est libérée automatiquement des règles qui ont été négociées antérieurement puisqu’une ordonnance « balai » a prévu la caducité des clauses des accords d’entreprise relatifs aux anciennes instances (DP, CE, CHSCT, DUP, instance unique) à compter de la date du 1er tour des élections des membres de la délégation du personnel du CSE [3]

5) Intéressez-vous aux besoins de vos interlocuteurs syndicaux.

Quelle est l’audience électorale de chacune des organisations syndicales présentes dans l’entreprise et dans les différents établissements ? Quel est l’enjeu pour chacune d’entre elles dans les différents scénarios possibles ? A-t-elle intérêt à une représentation centralisée ou au contraire à tenter de conserver des représentants sur certains sites ?

Avoir une idée claire de la situation de chaque organisation syndicale demande d’y consacrer du temps mais c’est une source d’informations irremplaçable pour préparer et conduire les négociations. Quels sont les craintes probables de l’organisation majoritaire au niveau de l’entreprise ? Quelles sont ses chevaux de bataille habituels (santé/sécurité, problématiques DP, etc.) ?

6) Identifiez vos points durs ... et réfléchissez aux moyens de les assouplir !

Il s’agit maintenant de déterminer les points sur lesquels vous ne souhaitez en aucun cas faire évoluer votre position et ceux pour lesquels vous êtes prêts à bouger au cours de la négociation.

Pour les premiers, prenez le temps de vous interroger sur le pourquoi de votre position. Vérifiez que votre motivation est corroborée par l’état des lieux que vous avez sous les yeux pour éviter les réflexes conservateurs et ayez en tête que vos relations sociales se construisent sur le long terme avec vos interlocuteurs, quels qu’ils soient. Vous pouvez avoir intérêt à rechercher des moyens d’alimenter les négociations avec les syndicats.

Ainsi, vous ne souhaitez pas augmenter le nombre d’élus et les crédits d’heures légaux car vous estimez qu’ils sont suffisants et votre état des lieux démontre que les élus consomment aujourd’hui moins que ce qu’ils auront dans le cadre du CSE ? Mettez cela en avant et proposez un bilan 6 mois ou un an après les élections pour voir ce que ça donne. Cette solution que nous avons déjà proposé à nos clients évite de bloquer les discussions sans fermer la porte à un ajustement des moyens si un réel besoin se faisait sentir.

Sur le sujet hautement sensible des crédits d’heures, vous pouvez accorder un crédit d’heures spécifique pour une réunion préparatoire la veille de chaque réunion du CSE, qui permet de garantir aux élus du temps d’échange (entre une demi-journée et une journée entière selon les entreprises) et à l’employeur du temps dont le volume est maitrisé et qui permette d’améliorer la qualité des réunions plénières.

7) Soyez créatifs !

Quoi qu’on pense de cette réforme, on peut reconnaître qu’elle permet de faire du sur-mesure pour dessiner l’instance la plus adéquate à la configuration de votre entreprise et à sa culture.

Par exemple, vous pensez que les délégués du personnel sont des rouages importants de régulation sociale sur les sites de l’entreprise et que la suppression de cet échelon serait préjudiciable au climat : vous pouvez utiliser les nouveaux représentants de proximité car leur rôle n’est pas défini par les textes. Ainsi chez Etam, les représentants de proximité « auront pour mission de présenter à l’employeur les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l’application du Code du travail et des autres dispositions légales concernant notamment la protection sociale, ainsi que des conventions ou accords applicables dans l’entreprise ». Si dans vos établissements vous estimez que ce lien quotidien doit aussi porter sur les questions de santé et sécurité, vous pouvez comme chez Total prévoir que « les représentants de proximité peuvent faire des propositions au responsable du site concernant le contenu des programmes d’amélioration à la sécurité et les mesures adaptées à la suite de l’analyse d’un accident, les améliorations dans l’organisation du travail du site et les aménagements des postes de travail ».

Autre illustration avec la question épineuse de la présence des suppléants aux réunions. Imaginons que vous ne souhaitez pas la systématiser mais que vous entendez néanmoins la nécessité avancée par vos interlocuteurs d’avoir des remplaçants qui soient familiarisés avec le fonctionnement de l’instance, dans un contexte où le turn-over est important, surtout avec des mandats de 4 ans. Vous pouvez vous inspirer du dispositif imaginé par la société Canon dans lequel chaque organisation syndicale peut faire participer un suppléant de son choix ou par Etam, pour son établissement « magasins », dans lequel, compte tenu de la dispersion géographique et de l’éloignement de ses membres, il est prévu que des suppléants (pas tous) puissent être convoqués.

8) Inspirez-vous des autres.

La presse spécialisée est évidemment un bon moyen d’avoir ces informations. Cependant, elle relaie surtout les démarches des grandes entreprises, dont les problématiques sont spécifiques, et souvent les mêmes, c’est-à-dire celles qui ont des moyens très importants et une communication RH développée. Vous pouvez maintenant accéder à de nombreux exemples d’accords collectifs, sur toutes les thématiques, en allant consulter la base de données nationales qui recense des accords de branche et d’entreprise conclus depuis le 1er septembre 2017.

9) Proposez un « Service après-vente » pour les anciens élus.

II est probable qu’à l’issue des élections, des anciens élus ne soient pas reconduits dans leurs fonctions et doivent réintégrer leur poste à temps plein. Pour ceux d’entre eux qui étaient fortement mobilisés sur leurs mandats, la transition peut être redoutée. Imaginez avec les organisations syndicales un parcours qui permette à ceux qui le souhaitent d’engager une démarche, pour identifier les besoins en formation et accompagnement qui leur permettront de reprendre leur poste ou un autre emploi plus adapté aux compétences qu’ils ont pu acquérir, et ce dans les meilleures conditions.

C’est un enjeu important à court terme mais aussi de manière durable pour montrer que prendre un mandat ne signifie en aucun cas renoncer définitivement à reprendre un parcours professionnel à temps plein après quelques années. Lever cette inquiétude est un des leviers pour favoriser l’émergence d’une nouvelle génération de représentants du personnel.

En complément, des entreprises ont imaginé ouvrir les postes de représentants de proximité à des non élus pour permettre à des anciens représentants du personnel de continuer à être associés à certains travaux, par exemple avec des anciens membres du CHSCT ayant une forte expertise.

10) Embarquez salariés et managers dans le dialogue social.

Combien de salariés savent que les élections ne servent pas seulement à choisir qui va distribuer les tickets de cinéma et organiser l’arbre de Noël ? Vos collaborateurs savent-ils que les résultats des élections permettent de choisir qui sera à la table des négociations quand il s’agira de rediscuter de l’aménagement du temps de travail et qui pourra conclure ou pas un nouveau texte ? Nous le constatons sans exception pendant nos formations, très peu de salariés et de managers connaissent les enjeux des élections.

Pour y remédier, donnez-leur davantage la vision du rôle et du travail de ce que les instances sont capable de produire, pour eux et en leur nom. Expliquez (brièvement) la réforme, l’importance d’aller voter, et même comme le font de plus en plus d’entreprises, faites savoir que la direction a besoin de représentants et invite tous ceux qui sont intéressés à se présenter aux élections. C’est le meilleur moyen d’avoir des élus avec la plus grande légitimité possible et qui soient proches des aspirations de leurs mandants.

Magali Baré Consultante

[1Voir l’article de Frédéric Périn : « Comment réussir la fusion des instances »