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"La robe m’a tuer" : réforme du code de procédure pénale et de la loi organisant la profession d’avocat au Maroc. Par Mourad El Ajouti, Avocat.
Parution : vendredi 21 septembre 2018
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L’on fera toutefois remarquer que l’avocat et le parquet doivent se situer à équidistance du magistrat du jugement, en commençant par corriger l’erreur de menuiserie allouant au procureur de se situer en dessus de l’avocat lors de l’audience. L’équilibre entre parquet et défense passe également par l’instauration d’un système d’admissibilité de preuves qui permet à l’avocat de valider les moyens de preuves dont il dispose et qui ne sont pas pris en compte parfois par la magistrature assise, contrairement au dossier transmis par l’autorité d’inculpation, qui fait foi de preuve principale.

*Une analyse à la lumière du nouveau code de procédure pénale au Maroc et de la réforme de la loi organisant l’exercice de la profession d’avocat

La robe sans l’avocat. “Ce serait beau, l’honnêteté d’un avocat qui demanderait la condamnation de son client” [1]. Nul doute qu’un procès dans lequel l’avocat n’existerait simplement pas, serait beaucoup plus « relaxant » pour les magistrats du siège, souvent lassés d’entendre « les tirades de la défense », essayant de faire acquitter des prévenus, qui ont déjà avoué tous les faits inscrits aux procès verbaux.
Le procès pénal, lourd de sens et dans lequel le sort des citoyens est en jeu, devient de plus en plus pénible à la fois pour les juges et pour les avocats. Les juges s’écroulant devant le nombre abominant de dossiers, n’expriment plus la même sympathie envers les longues plaidoiries, ni le même engouement à l’égard des questions émanant des avocats lors de l’audience. Les avocats quant à eux, se sentent désarmés devant des dossiers dont le sort est souvent scellé avant même le début du procès, les prévenus ayant déjà été entendus par la police judiciaire et lors de leur comparution devant le procureur du Roi.
En effet, si le législateur marocain a « autorisé »[2] l’avocat à assister son client lors de sa comparution devant le procureur du Roi, à demander une expertise médicale, présenter des documents en son nom et requérir sa libération sous-caution, il ne l’a cependant pas habilité à assister son client lors de son interrogatoire et ne dispose que de 30 minutes aux fins de le contacter après que ce dernier ait passé 24 heures en garde à vue [3], L’avocat se retrouve lui-même « condamné » au mutisme devant son client lors de l’interrogatoire, sans pouvoir émettre une quelconque remarque ou observation, et à ce stade, souvent la police avait déjà recueilli les déclarations du prévenu et le procès verbal avait été bouclé. A l’issue de cette procédure, la présence de l’avocat se trouve dénuée de toute incidence sur le procès verbal final. Il ne s’en infère pas pour autant que le ministère public ne respecte pas ses prérogatives ou enfreigne la loi mais que les circonstances dans lesquelles se déroulent les différentes procédures devant les juridictions répressives portent à croire que la présence de l’avocat est uniquement « tolérée », plus particulièrement au niveau de l’enquête préliminaire. En d’autres termes, l’on veut bien de la Robe mais pas de l’Avocat.
Du côté des prévenus, les détenus en garde à vue se voient systématiquement refuser la liberté provisoire. Cette situation suscite un débat d’une grande ampleur où la confusion la plus totale prospère en l’absence de critères précis conditionnant son octroi ou son refus. A l’heure où les différents rapports du ministère de justice révèlent l’augmentation du taux de détention, les magistrats s’abstiennent d’accorder la liberté provisoire et ce, malgré les multitudes demandes formulées par les avocats accompagnées des garanties présentées par les prévenus.
Malgré les manquements auxquelles le système judiciaire doit encore faire face, il n’en demeure pas moins que le pouvoir judiciaire au Maroc a connu, en octobre dernier, une avancée majeure avec le transfert, par le ministre de la Justice, de la présidence du Ministère public au Procureur général du Roi près la Cour de Cassation. Désormais, le ministère public marocain jouit d’une indépendance totale à l’égard du pouvoir exécutif, ressemblant de plus en plus à son homologue anglais[4] , qui dispose de prérogatives importantes pour la poursuite des affaires. Or, cette transformation anglo-saxonne du ministère public n’a pas pris en considération l’approche romano-germanique qui domine encore les tribunaux marocains s’inspirant de la particularité française du système du « procureur judiciarisé ».

Soulignons d’emblée que les prérogatives étendues attribuées au parquet ne dérangent en aucun cas la défense. En effet le parquet doit disposer des moyens nécessaires aux fins de bien mener sa mission. mais en revanche, le statut de l’avocat quant à lui doit accompagner ce changement en autorisant la présence effective des avocats tout au long de la procédure pénale et ce, dès le début de l’instruction préparatoire, ce qu’a tenté de consacré très timidement le projet du code de procédure pénale.[6] L’on fera toutefois remarquer que l’avocat et le parquet doivent se situés à équidistance du magistrat du jugement, en commençant par corriger l’erreur de menuiserie allouant au procureur de se situer en dessus de l’avocat lors de l’audience[7] . L’équilibre entre parquet et défense passe également par l’instauration d’un système d’admissibilité de preuves qui permet à l’avocat de valider les moyens de preuves dont il dispose et qui ne sont pas pris en compte parfois par la magistrature assise, contrairement au dossier transmis par l’autorité d’inculpation, qui fait foi de preuve principale.

Ces avocats sans robe. Une situation particulière préoccupe les avocats et concerne l’implantation de cabinets étrangers, dont les associés ne sont pas forcément inscrits à l’un des barreaux du Royaume, au Maroc. La rude concurrence opposant les cabinets d’avocats étrangers aux cabinets nationaux crée un débat houleux parmi les acteurs de la profession. D’emblée, les hostilités sont lancées. En premier lieu, les cabinets d’avocats nationaux reprochent le déséquilibre et la disparité dont ils sont victimes en raison du mode d’implantation des cabinets étrangers qui revêtent très souvent l’aspect d’une structure commerciale. En effet, la loi organisant la profession ne permet pas aux cabinets marocains de revêtir la forme de société commerciale mais celle de société civile professionnelle. Ensuite, l’exercice de la profession au Maroc est tiraillé entre deux concepts. D’un côté, le concept traditionnel national de l’exercice de la profession, très soucieux de l’intégrité de l’avocat au point d’interdire tout déplacement de l’avocat chez ses clients sous réserve d’aviser le bâtonnier, de l’autre une approche « moderne » qui privilégie davantage de souplesse et de célérité dans l’exercice des fonctions de l’avocat aux fins de répondre aux besoins des acteurs du droit en tant que marché.

Une autre problématique de taille mobilise l’association des barreaux du Maroc et a fait l’objet de plusieurs circulaires émis par le Bâtonnier de Casablanca. Il s’agit de l’empiétement des prérogatives d’avocats par les sociétés de recouvrement et les autres professions juridiques exerçant les compétences d’avocats sans aucun scrupule. A titre d’exemple, aussi surprenant que cela puisse paraître, le conseil juridique ne relève pas de l’exclusivité des avocats. Ce vide juridique permet à tout un chacun de s’improviser conseiller juridique, sans même nécessairement avoir les qualifications nécessaires, échappant par là à tout contrôle. Face à la prolifération de ces cabinets de conseils, l’intervention du barreau et du ministère de la justice en tant qu’autorités de régulation est plus que souhaitable, il en va de la sécurité juridique tant des personnes privés que des entreprises. L’on pourrait songer par exemple à créer une commission chargée de valider les compétences des avocats au sein de chaque barreau tout en leur conférant l’exclusivité pour exercer le conseil juridique et autoriser à titre exceptionnel des intervenants externes après validation des acquis. Enfin, il ne fait nul doute qu’octroyer l’exclusivité du conseil juridique aux avocats pourrait ostensiblement augmenter leurs chiffres d’affaires, les experts comptables ayant déjà souligné que le conseil juridique représentait entre 70 % et 80% de leurs chiffres d’affaires[7] .

Notre profession est au carrefour des défis et les attaques proviennent de tous les azimuts. Une réforme de la profession figure parmi les plus grandes priorités des bâtonniers des différents barreaux auxquels appartient la prérogative de porter la parole des avocats. A cet égard, l’association des barreaux du Maroc et les bâtonniers des dix-sept barreaux du Maroc élaborent plusieurs projets de loi en étroite collaboration avec le ministère de la justice. Une commission de réforme du code de la profession composée de bâtonniers et membres de l’association des barreaux du Maroc a été créée et a commencé ses réunions le 26 juillet 2018. L’issue de ces projets retient le souffle des porteurs de la robe noire qui, jour après jour, peinent à exploiter tout le potentiel que leur confère l’exercice de leur profession. Il ne s’agit pas uniquement d’améliorer les conditions de travail des avocats puisque de toute évidence, parvenir à une élémentaire justice et à une sécurité juridique est impérativement subordonné à la réforme du statut de l’avocat.

— 
* En référence à la célèbre phrase d’accusation « Omar m’a tuer »
[1]Jules Renard
[2]Article 74 du code de procédure pénale marocain
[3]Article 80 du code de procédure pénale marocain
[4]L’Angleterre est le pays de l’habeas corpus, cette loi qui a énoncé une liberté fondamentale dès
1679, celle de ne pas être emprisonné sans jugement.
[5] Le projet de code de procédure pénale marocain a autorisé l’Avocat a assister son client lors de
son audition devant la police judiciaire seulement s’il n’est pas en garde à vue.
[6] Cette expression a été utilisé par Me Eric Dupond Moretti lors de son interview avec l’EST
Républicain publié le 06/03/2015 pour qualifier cette situation d’infériorité de l’avocat, il rétorque « 
Le procureur et le président, dans une cour d’assises, sont à la même hauteur. L’avocat, lui, est tout
en bas. Pourquoi ? Il est moins important ? Ce doit être une erreur de menuiserie… Le procureur et
le président ont le même uniforme. Il n’y a pas un seul sport où l’arbitre porte le même maillot qu’un
des joueurs »
[7] EL ARIF, Hassan (31 Janvier, 2017). « Conseil juridique : Les avocats veulent le monopole »,
L’Economiste.

Me Mourad El Ajouti Membre du Barreau de Casablanca Doctorant à l'Université Hassan II