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Permis de conduire et licenciement : ce qu’il faut savoir. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : mercredi 26 septembre 2018
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Les employeurs attendent de plus en plus souvent un minimum de mobilité de la part de leurs salariés.
Ceux-ci doivent être en mesure de se déplacer dans le cadre de leurs fonctions pour se rendre chez des clients, sur les chantiers ou tout simplement pour prospecter.
Pour cela, il leur est donc nécessaire de pouvoir conduire un véhicule automobile et par conséquent d’être doté d’un permis de conduire valide, c’est-à-dire avec un minimum d’un point.

Quand le permis de conduire est suspendu, voire annulé, le salarié risque de ne plus pouvoir remplir ses fonctions.
La question du maintien de son emploi est donc posée.

Il faut rappeler que le licenciement d’un salarié doit reposer sur un motif valable.

L’employeur doit être en mesure de prouver la pertinence de ce motif.

Le licenciement d’un salarié dont le permis de conduire vient d’être annulé dépendra de deux circonstances tenant au contenu même de son contrat de travail :
- Soit le contrat de travail est muet sur la question du permis de conduire.
- Soit le contrat de travail contient une clause spécifique à ce sujet et tout dépendra donc de ce que celle-ci prévoit.

I. Le contrat de travail ne contient pas de clause relative au permis de conduire.

Les employeurs ne songent pas toujours à aborder la question du permis de conduire en signant un contrat de travail avec un salarié qu’ils viennent de recruter lorsque celui-ci n’a pas besoin d’utiliser un véhicule dans le cadre de ses fonctions.

Quand le contrat de travail est donc muet sur cette question, le licenciement du salarié dont le permis de conduire vient d’être annulé dépendra des circonstances dans lesquelles les faits ayant conduit à cette annulation ont été commis.

1°) Faits commis dans le cadre de la vie personnelle.

Nous sommes là dans l’hypothèse où un salarié a commis des infractions au Code de la route qui ont entraîné des retraits de points puis l’annulation de son permis de conduire.
Ces infractions au Code de la route ont été commises dans le cadre de la vie personnelle du salarié c’est-à-dire en dehors de l’accomplissement de son travail.

Tout dépendra là encore de deux hypothèses distinctes, à savoir :
- le permis de conduire n’est pas nécessaire au salarié pour son travail ;
- le permis de conduire est nécessaire à ce salarié pour son travail ;

a) Le permis de conduire n’est pas nécessaire au salarié pour son travail.

Dans ce cas, son licenciement ne sera pas possible, car les faits commis par ce salarié dans le cadre de sa vie privée ne concernent pas l’employeur.

Si l’employeur devait le licencier malgré tout, il s’exposerait à une condamnation devant le conseil des prud’hommes.

La jurisprudence est constante sur ce point.

b) Le permis de conduire est nécessaire au salarié pour son travail.

Dans ce cas, l’employeur pourra procéder au licenciement de ce salarié, même pour des faits qui concernent sa vie privée, s’il peut démontrer que la perte du permis de conduire entraîne une désorganisation de son entreprise.

L’employeur devra être en mesure de prouver que le salarié effectue des déplacements professionnels et que la privation de son permis de conduire l’empêche donc d’effectuer le travail attendu de lui.

On pourra ici faire observer qu’il eut été plus prudent pour cet employeur de faire figurer une clause spécifique dans le contrat de travail, mais cela ne l’empêchera pas de licencier son salarié si la désorganisation de l’entreprise est réelle.

Tout est alors question d’appréciation.

Il faudra démontrer l’effectivité de ces déplacements professionnels et l’impossibilité de reclasser le salarié à un autre poste durant la période d’annulation ou de suspension de son permis de conduire.

2°) Faits commis dans le cadre de la vie professionnelle.

Nous sommes là dans une hypothèse particulière : le salarié a commis des infractions au Code de la route durant ses heures de travail et donc durant l’accomplissement de celui-ci, ce qui a entraîné l’annulation de son permis de conduire.

Dans ce cas, l’employeur pourra procéder à son licenciement à titre de sanction disciplinaire.

Attention : dans la mesure où le contrat de travail est muet sur la question du permis de conduire, il sera déconseillé à l’employeur de procéder à un licenciement pour faute grave, c’est-à-dire privatif du préavis.
Pour cela, il aurait fallu que le contrat de travail prévoie expressément la possession d’un permis de conduire valide.
L’employeur sera donc plus prudent en licenciant son salarié pour faute simple.

Cependant, un arrêt de la Cour de cassation en date du 28 février 2018 vient au secours de l’employeur en lui permettant de ne pas régler le préavis.

Les faits étaient les suivants : un salarié avait commis des infractions au Code de la route et avait déjà reçu un avertissement de son employeur pour cela.
Il ignore cet avertissement et commet d’autres infractions au Code de la route qui entraînent la suspension de son permis de conduire.
Son employeur le licencie pour cause réelle et sérieuse, mais sans préciser qu’il s’agissait là d’une faute grave.
L’employeur ne paye pas le préavis au motif que le salarié ne pouvait de toute manière pas l’exécuter du fait même de la suspension de son permis de conduire.
Le Conseil des prud’hommes, la cour d’appel et la Cour de cassation lui donnent raison en constatant que l’employeur était dans l’impossibilité de faire exécuter ce préavis en raison du comportement de son salarié.

Il y a là matière à réflexion, et si cette jurisprudence est maintenue, l’employeur pourra dorénavant licencier son salarié sans devoir préciser qu’il s’agit là d’une faute grave, et en s’abstenant de payer le préavis au motif que celui-ci ne peut être exécuté.
La seule condition sera bien entendue de démontrer que le salarié effectuait des déplacements professionnels.

En tout état de cause, il est conseillé à l’employeur d’être extrêmement prudent quant à l’appréciation qu’il portera sur les infractions commises par le salarié dans l’exécution de son contrat de travail.

En effet, toutes les infractions au Code de la route ne se valent pas et certaines sont donc plus graves que d’autres.

Exemple 1 : un chauffeur livreur roule en état d’ébriété et cause un accident de la circulation.
Son permis de conduire lui est bien entendu retiré.
Dans ce cas, l’employeur pourra avoir une appréciation des plus sévères quant aux faits commis par son salarié durant l’accomplissement de ses fonctions et pourra le licencier pour faute grave, c’est-à-dire sans préavis.

Exemple 2 : un salarié commet une infraction "mineure" au Code de la route comme un petit excès de vitesse.
Or, s’il ne lui restait qu’un point sur son permis de conduire, celui-ci lui sera bien entendu retiré.
L’employeur pourra le licencier puisque les faits ont été commis durant l’exercice des fonctions.
Mais la lettre de licenciement qui doit contenir l’exposé précis des griefs sera bien entendu plus délicate à rédiger en raison de la faible gravité de l’infraction commise.
Il sera donc conseillé à cet employeur de procéder au licenciement pour faute simple et non pour faute grave.

II. Le contrat de travail contient une clause relative au permis de conduire.

C’est là pour l’employeur la démarche la plus prudente.

Mais tout dépendra de ce que prévoit exactement la clause :
- soit elle prévoit que le salarié doit simplement informer son employeur de l’annulation ou de la suspension de son permis de conduire.
La clause met donc à la charge du salarié une simple obligation d’information.
- soit elle prévoit que la privation du permis de conduire entrainera le licenciement du salarié.

1°) La clause met à la charge du salarié une simple obligation d’information.

On retrouve assez souvent ce genre de clause qui oblige simplement le salarié à informer son employeur de tout élément qui affecte la validité de son permis de conduire.

Bien entendu, cela ne concerne pas le simple retrait de points qui n’aurait pas d’incidence sur la validité du permis de conduire.

En présence d’une telle clause, tout dépendra du comportement du salarié.

a) Comportement négatif : le salarié n’informe pas son employeur de l’annulation ou de la suspension de son permis de conduire.

Dans ce cas, ce salarié commet une faute professionnelle puisqu’il ne respecte pas la clause contenue dans son contrat.

Peu importe que les infractions aient été commises lors de sa vie privée ou à l’occasion de déplacements professionnels : seul compte le fait qu’il n’a pas respecté le contrat.

On peut craindre qui plus est que si le salarié reste muet quant à l’annulation ou la suspension de son permis de conduire, ce soit précisément parce qu’il veut continuer à conduire alors qu’il n’a plus de permis pour cela.

L’employeur pourra donc le licencier pour faute grave c’est-à-dire immédiatement, la faute grave étant privative du préavis.

b) le salarié informe son employeur de l’annulation ou de la suspension de son permis de conduire.

Dans ce cas, le salarié se conforme à la clause contenue dans son contrat de travail.

Tout dépendra alors des circonstances dans lesquelles les faits ont été commis :
- Soit les infractions au Code de la route ont été commises dans le cadre de la vie privée du salarié et celui-ci ne pourra pas être licencié sauf si l’employeur réussit à démontrer que la privation de son permis de conduire désorganise entreprise.
- Soit les infractions ont été commises dans le cadre de la vie professionnelle du salarié, c’est-à-dire à l’occasion d’un déplacement, et l’employeur pourra le licencier pour faute.

**2°) La clause prévoit que la privation du permis de conduire entraînera la rupture du contrat de travail.

C’est ici que la situation est la plus claire : l’employeur pourra licencier son salarié pour faute.

Il reste ici une dernière question : quel qualificatif attacher à la faute ?
Peut-on retenir une faute grave ou doit-on retenir une faute simple ?

Si le salarié a commis ces infractions au Code de la route lors de sa vie privée, nous conseillerons à l’employeur de retenir la faute simple.

Si le salarié a commis ces infractions lors de déplacements professionnels, l’employeur pourra, selon nous, licencier son salarié pour faute grave.

III. L’intervention possible de la convention collective.

Certaines conventions collectives viennent au secours du salarié même lorsque celui-ci doit être titulaire d’un permis de conduire valide.

Exemple : la convention collective du transport routier oblige l’employeur à négocier avec son salarié pour éviter le licenciement si son permis de conduire a été suspendu ou annulé.
Il devra chercher à le reclasser ou l’inviter à prendre l’ensemble de ses congés payés restant afin de compenser, autant que possible, la période d’annulation de suspension.

Il est donc toujours nécessaire, voire impératif, de consulter ces dispositions conventionnelles qui prévoient parfois l’obligation pour l’employeur de chercher à reclasser son salarié dont le permis de conduire aurait été suspendu ou annulé.

Si l’employeur ne cherche pas à reclasser son salarié, il pourrait alors être condamné devant le conseil des prud’hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Si l’employeur peut reclasser le salarié durant la période de suspension ou d’annulation du permis de conduire, il devra le faire.

Rappelons ici qu’en cas d’annulation du permis de conduire pour perte totale de l’ensemble des points, le salarié ne pourra repasser son permis de conduire qu’après un délai de six mois.
Et ce délai de six mois ne commence à courir qu’à compter du jour où le salarié a rendu son permis de conduire en préfecture.
L’employeur pourra donc conseiller à son salarié de rendre son permis de conduire au plus vite afin de faire courir ledit délai.

Rappelons également que le salarié à la possibilité de contester l’annulation de son permis de conduire devant le tribunal administratif en déposant un recours pour excès de pouvoir.
Dans le même temps, il pourra déposer une requête en référé pour obtenir la suspension provisoire de la décision d’invalidation de son permis de conduire.
Cela lui permettra d’obtenir l’autorisation provisoire de rouler en attendant que le tribunal administratif se prononce sur le fond.
Cette dernière solution pourra contenter tout le monde puisque le salarié continuera à conduire malgré l’annulation de son permis de conduire et évitera ainsi un reclassement à un poste qu’il ne souhaitait pas voire un licenciement.
L’employeur y trouvera aussi son compte puisque son salarié pourra continuer à travailler pour lui dans les conditions habituelles.

Par contre, si aucun poste n’est disponible et si le reclassement est donc impossible, l’employeur pourra procéder au licenciement de son salarié si les conditions telles que décrites plus haut sont remplies.
Mais attention : l’employeur devra conserver toutes les preuves relatives à cette recherche de reclassement.

Conclusion.

Le licenciement d’un salarié venant de perdre son permis de conduire s’apprécie donc en fonction de diverses circonstances qu’il ne faut pas négliger.

Cela est d’autant plus vrai que le droit du travail fait peser sur les employeurs des obligations lourdes et que le moindre faux pas peut conduire à des sanctions tout aussi lourdes.

D’où la nécessité d’être prévoyant : on conseillera donc aux employeurs d’insérer automatiquement des clauses prévoyant le sort réservé au salarié en cas d’annulation ou de suspension de son permis de conduire.

Une telle mesure sera profitable à tous.
Et rien ne vaut la sécurité juridique.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com
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