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L’utilisation de drone à usage professionnel. Par Franck Delamer, Katia Pouilly-Riou CPI et Aleksandra Thélot, Juriste.
Parution : mercredi 3 octobre 2018
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Utilisés pour la surveillance d’événements majeurs, de manifestations et rassemblements sur la voie publique ou encore pour des missions de gestion de crise, les drones originairement créés à des fins militaires se sont développés dans tous les domaines et sont à présent accessibles au plus grand nombre.

Les drones sont omniprésents dans de nombreux secteurs professionnels : surveillance de chantiers/de réseaux (électriques, ferroviaires), maintenance d’infrastructures, transport de charges, industrie audiovisuelle (…). Dans le cadre de l’utilisation d’un drone à titre professionnel : quelles sont les règles respecter ?

Il convient de considérer que la personne (physique ou morale) responsable de l’activité est identifiée comme « l’exploitant ».

Celui-ci se doit de mettre en œuvre toutes les mesures de sécurité nécessaires pour assurer i) la sécurité des tiers ii) le respect des réglementations applicables aux drones et au télépilote.

La captation d’images aériennes implique notamment i) le respect de l’espace aérien ii) le droit à l’image et iii) la réglementation sur la protection des données à caractère personnel.

1. L’espace aérien.

L’utilisation en extérieur d’engins volants est considérée comme une activité aérienne et relève donc de la réglementation applicable à l’aviation civile [1].

Un drone est un aéronef circulant sans personne à bord qui peut voler suivant un plan de vol programmé à l’avance ou à travers un contrôle à distance par le télépilote.

Les drones connaissent trois statuts différents :
- Lorsque cette utilisation est limitée au loisir (y compris la compétition), on parle « d’aéromodélisme » ;
- Pour les vols de développement ou de mise au point de l’aéronef télépiloté ou de son système de commande, on parle « d’expérimentation » ;
- Pour toutes les autres utilisations, on parle alors « d’activités particulières » (au cœur de notre sujet).

En cas d’utilisation d’un drone à des fins professionnelles, l’exploitant doit obtenir les autorisations nécessaires au titre de l’activité aérienne (Article L.6214-2 du Code des transports), procéder à des déclarations auprès de la Direction Générale de l’Aviation Civile, tenir un manuel d’activités particulières (…).

Outre ces prérequis, s’ajoutent d’autres règles juridiques à respecter en cas de captation d’images et de collecte de données.

2. Droit à l’image.

L’utilisation des drones soulève des enjeux importants en matière de libertés individuelles et de respect de la vie privée. En effet, en fonction des caractéristiques techniques du drone, les photos et les vidéos captées peuvent permettre de distinguer et identifier des personnes physiques ou des biens.

Par ailleurs, se posera inévitablement la question des droits d’auteurs sur les prises de vues.

Droit à l’image des personnes.

Chaque personne dispose d’un droit sur son image et peut en interdire son exploitation et sa diffusion (Art 9 du Code Civil, respect au droit à la vie privée). Aussi, toute utilisation (captation, exploitation, diffusion...) de cette image nécessite l’obtention d’une autorisation expresse et non équivoque.

Droit à l’image des biens.

La reproduction de l’image (photo, vidéo, dessin animé...), d’immeuble (Château, propriété, maison, devanture d’une Société...) et/ou de meuble (mobilier urbain, mobilier classique...) nécessite l’obtention d’autorisation(s) du titulaire des droits d’auteur (photographes, auteurs, designers, architectes…) et, dans certaines hypothèses, celle du propriétaire (ou du gestionnaire) du bien.

Titulaire des droits d’auteurs.

Tout auteur de prises de vues/vidéos jouit sur ses œuvres, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous (droits moraux et patrimoniaux).

Il conviendra donc d’obtenir son autorisation s’agissant de la reproduction, adaptation et/ou représentation de ses photos/vidéos captées par un drone.
Notons que la jurisprudence diverge quant à la reconnaissance de droits d’auteur lorsque la captation d’images à lieu par le biais d’un dispositif automatique.

3. Données à caractère personnel.

On entend par « donnée à caractère personnel » tout type d’information concernant une personne physique identifiée ou identifiable.
Est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement.

Grâce à ses composants, l’utilisation d’un drone permet de collecter des données relatives à des personnes (photographie, localisation/point GPS, façade de maison, plaque d’immatriculation...) et permet donc d’identifier ces personnes.

En Europe, la collecte et le traitement des données à caractère personnel sont strictement réglementés par le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) ainsi que par les différentes législations nationales. En France, il s’agit notamment de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, modifiée par la loi n°2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

De ce fait, le responsable de traitement, qui détermine les finalités et les moyens de traitement des données, doit :

- Respecter le droit à l’information sur le traitement des données (si le drone est équipé d’une caméra ou de tout autre capteur susceptible d’enregistrer des données) ;
- Obtenir le consentement des personnes en cas de collecte et de traitement de données [2] ;
- Permettre aux personnes concernées d’accéder, d’effacer, d’obtenir la rectification et la portabilité des données, de faire compléter les données personnelles incomplètes ;
- Respecter les principes de « privacy by design » et de « privacy by default » ;
- Prendre les mesures nécessaires pour préserver la sécurité des données ;
- Le cas échéant, mener une analyse d’impact, tenir un registre des traitements des données, désigner un délégué à la protection des données, communiquer la violation des données auprès des autorités de contrôle et des personnes concernées (…).

4. Le non-respect des règles : multiples sources de responsabilités.

Les risques liés à l’utilisation d’un drone peuvent concerner des atteintes à la :
- Sécurité du territoire (espionnage, vandalisme,…) ;
- Sécurité des personnes et des biens (panne, collision, chute, erreur de pilotage,…) ;
- Vie privée (droit à l’image) ;
- Aux droits de propriété intellectuelle ;
- Protection des données à caractère personnel (fuite des données, piratage, …) ;
- (…).

Différents acteurs peuvent voir leur(s) responsabilité(s) engagée(s). Il peut s’agir de l’exploitant, du donneur d’ordre, du responsable de traitement, du sous-traitant, du client final, du télépilote, de l’auteur des prises de vues, du fabricant, du propriétaire du matériel ou encore du vendeur.

Par conséquent, de nombreuses responsabilités peuvent être recherchées dans le régime général des obligations ainsi que dans les régimes spéciaux et notamment les atteintes liées à la propriété intellectuelle (contrefaçon, concurrence déloyale, parasitisme…) et au non-respect des règles applicables à la protection des données personnelles (sanctions financières allant jusque 20 M€ ou 4 % du chiffre d’affaire mondial).

En cas de responsabilité avérée, le « responsable » peut se voir appliquer cumulativement comme sanction des peines d’emprisonnement, des dommages et intérêts et des amendes administratives.

Conclusion.

Face à l’ensemble des règles applicables, l’utilisation d’un drone et des contenus captés supposent un encadrement juridique approprié.

En amont, la contractualisation avec l’ensemble des acteurs permettra de circonscrire les obligations [3] et responsabilités de chacun, pour une utilisation sécurisée.

Franck DELAMER Conseil en Propriété Industrielle, delamer@regimbeau.eu Katia POUILLY-RIOU Conseil en Propriété Industrielle, Conseil Européen en Marques, Dessins et Modèles pouilly-riou@regimbeau.eu Aleksandra THELOT Juriste en Propriété Intellectuelle, thelot@regimbeau.eu REGIMBEAU www.regimbeau.eu

[1Plusieurs textes définissent la réglementation pour l’usage des drones civils dont un arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception, à l’utilisation des drones et aux qualifications de leurs télépilotes ; un arrêté du 17 décembre 2015 relatif aux conditions d’insertion des drones dans l’espace aérien ; un arrêté du 18 mai 2018 relatif aux exigences applicables aux télépilotes qui utilisent des aéronefs civils circulant sans personne à bord à des fins autres que le loisir ; la loi du 24 octobre 2016 qui complète les arrêtés du 17 décembre 2015.

[2Hormis les cas où un autre fondement juridique lui permet de traiter ces données.

[3Responsabilité contractuelle (art. 1242 et 1231-1 du Code civil), responsabilité délictuelle (pour faute, du fait des choses, du fait d’autrui, du fait des produits défectueux)…