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De l’importance de se défendre en saisie immobilière. Par François Déat, Avocat.
Parution : mardi 2 octobre 2018
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Dans un arrêt paru au bulletin le mois dernier, la Cour de cassation a confirmé sa position sur l’autorité de la chosée de la décision du juge d’exécution qui se prononce sur le montant de la créance à l’occasion d’une saisie immobilière, même lorsque le débiteur ne s’est pas défendu. Ce dernier perd donc la faculté de contester ultérieurement les sommes qu’il estime devoir à son créancier et ne pourra plus faire valoir ses droits. Cette décision rappelle donc l’impérieuse nécessité de préparer sa défense dès la délivrance du commandement de payer valant saisie immobilière pour celui qui en est destinataire.

La portée de l’arrêt « Cesareo » [1] rendu il y maintenant plus d’une dizaine d’années s’encre un peu plus en jurisprudence avec cette décision concernant la saisie immobilière. La tendance prétorienne est la suivante : obliger les parties à vider la substance litigieuse de leur conflit à l’occasion du même procès et éviter qu’elle n’engage d’autre instance avec de nouveaux arguments pour évoquer en réalité les mêmes causes.

L’objectif est louable mais le principe peut sembler sévère lorsqu’il trouve à s’appliquer au défendeur, qui est, pour sa part, tenu de présenter l’ensemble de ses arguments à l’occasion de ce premier procès auquel il est attrait. [2].

Selon ce principe de concentration des moyens, le défendeur absent à son procès ne pourra plus faire valoir sa défense, s’il n’a pas exercé les voies de recours qui lui étaient ouvertes et qui sont très souvent enfermées dans de très brefs délais (15 jours ou un mois pour la plupart des décisions).

Les faits qui ont donné lieu à l’arrêt évoqué [3] sont les suivants : une banque engage une procédure de saisie-immobilière au titre d’un crédit immobilier. Le montant alors réclamé par la banque n’est pas contesté.

Le juge fixe le montant de la créance à la somme de 109.827,44 euros au 17 décembre 2009.

Le bien saisi est vendu aux enchères au prix de 85.000 €.

En 2013, pour recouvrer le solde restant dû par l’emprunteur, la banque engage contre lui une saisie des rémunérations, qui partage avec la saisie immobilière une phase juridictionnelle préalable, qui se déroule en revanche devant le Tribunal d’instance et non devant le Juge de l’exécution.

Devant le Tribunal, l’emprunteur a cette fois-ci décidé de contester le principe et le quantum de sa dette. Le Tribunal a retenu certains de ses arguments et a débouté la banque de sa demande de saisie des rémunérations.

En appel la banque a soutenu que le jugement d’orientation rendu par le Juge de l’exécution dans le cadre de la procédure de saisie immobilière avait autorité de la chose jugée et interdisait donc au Tribunal d’instance de l’écarter comme il l’avait fait et considéré la créance de la banque éteinte.

La Cour d’appel a infirmé la décision des premiers juges et a donné raison à la banque.

Saisie de cette affaire, la Cour de cassation relève que le montant de la créance figurait au dispositif du jugement d’orientation rendu le 17 décembre 2009 et que l’autorité de la chose jugée attachée au dispositif de la décision interdisait que ce montant puisse être discuté devant une seconde juridiction.

La décision doit être approuvée au regard des textes.

L’article L. 213-6 du COJ prévoit que le juge de l’exécution connait du fond du droit, ce qu’il fait assurément lorsqu’il est amené à se prononcer sur le montant de la créance de celui qui a engagé une procédure de saisie immobilière.

Surtout l’article R 121-14 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que « Sauf dispositions contraires, le juge de l’exécution statue comme juge du principal ».

Rappelons que le juge de l’exécution, dans son office de droit commun, est saisi a posteriori par le débiteur qui conteste la mesure d’exécution dont il fait l’objet.

La saisie immobilière forme l’exception et c’est au créancier qu’il appartient de saisir le Juge de l’exécution pour qu’il valide a priori la mesure engagée. C’est dans ce cadre et en vertu de l’article R. 322-18 du CPCE que le magistrat « mentionne » le montant de la créance qui sera prélevé sur le prix de vente par adjudication s’il est suffisamment élevé.

Rien d’exorbitant à que sa décision ait autorité de la chose jugée au sens de l’article 1355 du code civil, donc.

On devine à la lecture de l’arrêt d’appel que le Tribunal d’instance avait estimé que seuls les éléments et les points tranchés par le juge de l’exécution avaient autorité de la chose jugée et que le montant de la créance n’ayant pas été discuté elle échappait à la présomption irréfragable de l’article 1355 du code civil.

Ce n’est pas le cas, comme le rappelle la Cour de cassation et c’est bien pourquoi, le débiteur doit faire valoir tous les moyens de faits et de droit devant le juge d’exécution, avec la précision qu’il doit être représenté par un avocat pour contester le montant des sommes qui lui sont réclamées.

Sur un tout autre point de droit, la jurisprudence de la haute juridiction est également confortée : l’effet interruptif de la prescription de la saisie-immobilière se prolonge jusqu’à la fin de l’instance qui, en présence de plusieurs créanciers inscrits, intervient avec la décision d’homologation du projet de distribution du prix de vente.

L’interruption fait courir un nouveau délai plein et entier à l’issu de l’effet interruptif, de sorte que le créancier professionnel agissant en vertu d’un acte notarié dispose d’un nouveau de délai de deux ans après l’homologation pour agir contre le consommateur, comme ce fut le cas dans les faits concernés par l’arrêt du 6 septembre dernier.

François Déat Avocat au Barreau de Bordeaux

[1Cass., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, Bull. 2006 Ass. plén. N° 8 p. 21.

[2Cass. com., 20 févr. 2007, n° 05-18.322, Bull. 2007, IV, N° 49

[3Cass. 2e civ., 6 sept. 2018, n° 17-21.337, Publié au bulletin.

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