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Intermittents : trois chefs monteurs en CDDU requalifiés en CDI avec un emploi de réalisateur. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 5 octobre 2018
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Dans 3 jugements de départage du 31 août 2018, le Conseil des prud’hommes de Boulogne Billancourt a requalifié les dizaines de CDDU de 3 Chefs Monteurs de Journaux TV de TF1 (LCI) en CDI.
Le premier intérêt de ce jugement est que la juge départiteur du Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a considéré que l’emploi réel des 3 salariés, intermittents du spectacle, n’était pas celui de chef monteur mais un vrai emploi de réalisateur de Journaux Télévisés.
Le second intérêt du jugement est que l’emploi de réalisateur pour les journaux TV de LCI est un emploi « correspondant en réalité à l’activité normale de l’entreprise et répond à un besoin structurel » ; cet emploi de réalisateur doit être pourvu en CDI et non en CDDU.

Du fait de la requalification en CDI, les salariés obtiennent une indemnité de requalification de CDD en CDI, un rappel de 13ème mois ainsi qu’une prime d’ancienneté ainsi que les indemnités de rupture (préavis, congés payés, indemnité conventionnelle de licenciement) ainsi qu’une indemnité pour licenciement sans cause.

1) Sur la requalification des CDD d’usage en contrat à durée indéterminée.

Selon l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La juge départiteur du Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt affirme que « En l’espèce, il résulte des contrats de travail produits, que Messieurs X, Y et Z ont été engagés par la société TF1 en qualité de chef monteur à compter de 2010, selon une succession de contrats à durée déterminée dits d’usage.

Or il apparaît à la lecture des pièces produites, que Messieurs X, Y et Z travaillaient sur des émissions d’actualité telle que les journaux télévisés courts dit « JT Flash » ou « Newsmag » ou encore sur des émissions d’actualité ponctuelles liées à de grands événements nationaux et /ou internationaux ; l’argumentation de la société TF1 limitée à la précarité du secteur de l’audiovisuel ne saurait justifier à elle seule le recours à une multitude de CDD dits d’usage.

En effet l’examen attentif des pièces produites permet de constater que Messieurs X, Y et Z passaient l’essentiel de leurs temps de travail à la réalisation de ces émissions d’actualité.

La réalisation de telles émissions n’est pas une activité temporaire ou précaire, mais correspond en réalité à une activité pérenne et essentielle de la chaîne, et ce d’autant plus que la plupart de ces journaux étaient réalisés pour la chaîne LCI (« La Chaîne Info »).

Le poste de Messieurs X, Y et Z correspondait en réalité à l’activité normale de l’entreprise et répondait à un besoin structurel.

La société TF1 ne produit aucun élément objectif permettant de valider le recours à cette succession de contrats à durée déterminée ; dès lors, il sera fait droit à la demande de requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée à compter de 2010.
Messieurs X, Y et Z sont en droit d’obtenir une indemnité de requalification équivalente à un mois de salaire
 ».

2) Sur la réalité des fonctions exercées : les 3 intermittents du spectacle, chefs monteurs sont en réalités de (vrais) réalisateurs (de journaux télévisés) de TF1 !

La qualification professionnelle d’un salarié dépend des fonctions qu’il exerce réellement.

Il en résulte que la dénomination choisie dans le cadre du contrat de travail ne saurait lier le juge qui doit rechercher les fonctions réellement exercées par le salarié.

C’est au salarié qui prétend exercer une autre profession que celle indiquée dans le contrat de travail d’en rapporter la preuve.

La juge départiteur affirme « En l’espèce, il résulte des contrats de travail produits par le demandeur, que Messieurs X, Y et Z ont été engagés par la société TF1 en qualité de chef monteur.

Or il apparaît à la lecture des pièces produites, et notamment des nombreux courriels reçus directement par les demandeurs, exposant les consignes de la chaîne de télévision à l’attention des réalisateurs ; des photographies de capture d’écran des génériques des émissions de télévision auquel les demandeurs ont pu participer et qui les citent expressément en qualité de réalisateur, des actions de formation entreprises, des attestations produites par les deux parties décrivant les tâches incombant à un réalisateur ; que Messieurs X, Y et Z exerçaient en réalité les fonctions de réalisateur ».

Elle conclut qu’« il y a lieu de qualifier la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée en qualité de réalisateur ».

À ce titre, Messieurs X, Y et Z sollicitent à titre de rappel de salaire la différence de traitement entre les sommes qu’il a perçues et le salaire alloué à un réalisateur en CDD d’usage.

Le juge départiteur considère que cette demande ne saurait prospérer.

En effet, elle est contradictoire avec la demande de requalification en contrat à durée indéterminée.

Cette requalification étant acquise, il convient de se reporter à la grille de rémunération prévue par l’accord d’entreprise de TF1 SA.

L’examen de cet accord permet de constater que Messieurs X, Y et Z ont perçu en réalité une rémunération plus élevée que celle qu’ils auraient perçue si la société les avait embauchés initialement en contrat à durée indéterminée en qualité de réalisateur, notamment car ils ont perçu l’indemnité de précarité.

En conséquence, il convient de débouter Messieurs X, Y et Z de cette demande de rappel de salaire.

3) Sur les conséquences de la requalification en CDI pour les 3 réalisateurs intermittents du spectacle.

La société TF1 a cessé de fournir du travail et de verser un salaire à Messieurs X, Y et Z à l’expiration des contrats à durée déterminée qui ont été requalifiés en contrat à durée indéterminée.

La société TF1 a ainsi mis fin aux relations de travail au seul motif de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié par elle de contrat de travail à durée déterminée.

Cette rupture est donc à son initiative et s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Force est de constater, en l’espèce, que la relation de travail a pris fin sans aucune procédure de licenciement.

En conséquence, il y a lieu de constater que la rupture du lien de travail entre les parties s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, qui ouvre droit au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.

En application des dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9 du code du travail.

Au moment de son licenciement, Messieurs X, Y et Z avaient plus de deux années d’ancienneté et la société TF1 employait habituellement au moins 11 salariés. Messieurs X, Y et Z peuvent prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu’il a perçu pendant les six derniers mois précédant son licenciement.

Au final, le 1er réalisateur obtient au total 31.807 euros bruts (avec un salaire de référence 1.628 euros bruts), le 2ème réalisateur obtient 11.003 euros (avec un salaire de référence 517 euros bruts) et le 3ème réalisateur obtient 36.307 euros bruts (avec un salaire de référence 1.771 euros bruts).

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum