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Assurance dommages-ouvrage et subrogation. Par Jérôme Blanchetière, Avocat.
Parution : vendredi 5 octobre 2018
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Selon un arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2018, l’assureur dommages-ouvrage qui, du fait de son assuré, n’a pu exercer ses recours contre les responsables d’un dommage peut être déchargé de son obligation de garantie.

La solution dégagée par la Cour de cassation résulte de la combinaison des 2 règles suivantes :

1 - La première de ces règles est propre au domaine de l’assurance construction : l’assuré au titre d’une police dommages ouvrage dispose d’au maximum 12 ans pour agir contre son assureur.

L’action de l’assuré au titre d’une police dommages ouvrage est enfermée dans un double délai : celui-ci doit agir contre l’assureur dans le délai de la garantie décennale, et doit par ailleurs veiller au respect du délai de la prescription propre au droit des assurances.

En effet, selon l’article L 114 –1 du Code des assurances, la prescription spéciale du droit des assurances est d’une durée de deux ans, « à compter de l’événement qui y donne naissance ».

En vertu de ces 2 règles, l’assuré au titre d’une police d’assurance dommages ouvrage peut prétendre agir contre l’assureur dommages ouvrage au-delà du délai de la garantie décennale dès lors qu’il établit que les désordres sont survenus dans les 10 ans de la garantie. [1]

Ainsi l’assuré au titre d’un contrat d’assurance dommages ouvrage dispose d’un délai, d’au maximum, 12 ans pour déclarer un sinistre à l’assureur dommages ouvrage. [2]

2 - La seconde de ces règles consiste dans le fait que l’assuré peut être privé de la garantie d’assurance si, à cause de lui, l’assureur ne peut plus bénéficier de la subrogation.

L’article L 121 – 12 du Code des assurances pose pour principe que « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur ».

Cette disposition institue donc une subrogation au profit de l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance.

Toutefois, l’article L 121-12 du Code des assurances prévoit une exception à ce principe.

Ainsi, l’assureur peut être déchargé des obligations issues du contrat d’assurance « quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, s’opérer en faveur de l’assureur  ».

Ces deux séries de règles trouvent fréquemment lieu à s’appliquer en matière d’assurance dommages ouvrage.

Cette assurance est une assurance de préfinancement, créée dans le but d’offrir une indemnisation rapide au maître de l’ouvrage et aux acquéreurs successifs de l’ouvrage

Elle été conçue comme la première étape d’un mécanisme constitué de l’assurance dommages ouvrage et de l’assurance de responsabilité décennale, et ayant pour finalité d’accélérer l’indemnisation du maître de l’ouvrage.

En présence de désordres de la nature de ceux dont les constructeurs sont présumés responsables en vertu de l’article 1792 du Code civil, relatif à la responsabilité décennale des constructeurs, l’assurance dommages ouvrage assurera le préfinancement des travaux de reprise nécessaires.

L’assureur dommages ouvrage se retournera alors contre les intervenants à l’acte de construire et leurs assureurs de responsabilité décennale, lesquels ont vocation à assumer la charge définitive du sinistre.

Toutefois, le recours de l’assureur dommages ouvrage contre les constructeurs doit impérativement être exercé dans le délai de la garantie décennale, soit dans les 10 ans à compter de la réception de l’ouvrage.

Dans l’hypothèse où le sinistre est déclaré tardivement à l’assureur dommages ouvrage, du fait de manquements imputables à l’assuré, l’assureur dommages ouvrage peut ne pas disposer d’un temps suffisant pour se retourner contre les entreprises éventuellement responsables et leurs assureurs.

Dans cette hypothèse, l’assureur dommages ouvrage, privé de ses recours, en raison de manquements de l’assuré, peut invoquer l’exception de subrogation prévue par l’article L121 – 12 alinéa 2 du Code des assurances, et échapper à son obligation de garantie.

Tel est ce qui a été jugé par la 3e chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 février 2018 [3].

Par cette décision, la Cour de cassation sanctionne deux sociétés, en les privant du bénéfice de la garantie de l’assurance dommages ouvrage, au motif qu’elles avaient, « par le retard apporté dans leur déclaration de sinistre, interdit à l’assureur dommages ouvrage d’exercer un recours à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs, toute action à leur encontre étant forclose faute de dénonciation des désordres dans le délai décennal ».

Jérôme Blanchetière Avocat, spécialiste en droit immobilier - Construction Miré Blanchetière - Avocats www.mire-blanchetiere-avocats.fr

[1En effet, pour qu’un désordre futur puisse être réparé au titre de la responsabilité décennale des constructeurs, il doit être certain qu’il surviendra dans le délai de cette garantie. Pour une illustration récente, Cf. Civ. 3e, 28 février 2018, n° 17-12460

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