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La révision des normes d’accessibilité par le projet de loi ELAN. Par Elodie Kassem.
Parution : lundi 8 octobre 2018
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Ce 3 octobre, l’Assemblée Nationale a adopté le projet de loi ELAN (portant Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) dans sa version rédigée par la commission mixte paritaire le 19 septembre.

Cette loi, va, notamment, modifier les normes applicables en matière d’accessibilité des constructions neuves, dans un objectif de simplification de l’acte de construire, pour faciliter la construction de nouveaux logements.

La principale évolution porte sur les bâtiments d’habitation collectifs, avec l’article 18 de la loi ELAN qui modifie l’article L.111-7-1 du Code de la construction et de l’habitation relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées que doivent respecter les bâtiments ou parties de bâtiments nouveaux.

L’instauration d’un quota de logements accessibles.

La législation en vigueur prévoit une accessibilité de 100 % des logements neufs situés aux rez-de-chaussée ou accessibles par ascenseur ou pour lesquels une desserte ultérieure par un ascenseur est prévue dès la construction (obligatoire pour les bâtiments de 4 étages ou plus). Un logement accessible est celui dans lequel un habitant ou un visiteur handicapé, avec la plus grande autonomie possible, peut circuler, accéder aux locaux et équipements, utiliser les équipements, se repérer et communiquer. Cette accessibilité s’entend pour tous les types de handicaps, en application du principe d’accessibilité universelle posé par la loi du 11 février 2005.

Le projet de loi ELAN issu de la Commission Mixte Paritaire, prévoit d’instaurer un quota dans les bâtiments d’habitation collectifs neufs. Devront ainsi être accessibles au moins 20 % des logements situés au rez-de-chaussée, desservis par ascenseurs, ou pour lesquels une desserte ultérieure par ascenseur est prévue dès la construction. Les constructions de moins de 20 logements devront, quant à eux, comporter au moins un logement accessible. Il s’agit là d’un compromis entre les propositions de l’Assemblée Nationale (10 % et au moins un logement) et le Sénat (30 % et au moins deux logements).

L’instauration de ce quota a particulièrement été décrié ces dernières semaine de la part de différentes associations de protection des personnes en situation de handicap, mais aussi du Défenseur des droits, de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, du Conseil de l’Europe et du Conseil National du Barreau qui regrettent une remise en question du principe d’accessibilité universelle.

Ce principe avait déjà été fragilisé depuis la mise en place de dérogations importantes en 2015 et notamment l’autorisation de « solutions d’effet équivalent » si elles répondent aux objectifs poursuivis, ou encore la mise en place d’un « contrat de travaux modificatifs » conclu entre l’acquéreur et le promoteur de l’opération pour déroger, sous certaines conditions, aux dispositions techniques relatives à l’accessibilité.

Mais il n’avait, jusqu’alors, pas été remis en question.

La création de « logements évolutifs ».

Pour palier cette diminution flagrante de logements accessibles aux personnes handicapées, le projet de loi prévoit, toujours en son article 18, que les logements non concernés par cet impératif d’accessibilité seront « évolutifs » afin de permettre, avec des travaux simples, de garantir l’accessibilité ultérieure des principales pièces de vie. Seuls le séjour et les cabinets d’aisances devront respecter les normes d’accessibilité au jour de la construction.

Ces logements évolutifs ont vocation à concerner 80 % des logements situés au rez-de-chaussée et dans les logements desservis par un ascenseur ou pour lesquels une desserte ultérieure par un ascenseur est prévue.

Cette notion de « logement évolutif » soulève néanmoins plusieurs difficultés tant elle est floue, en l’absence de définition à ce jour.

Quelques pistes de réflexion peuvent cependant être étudiées.

L’article 18 du projet de loi reprend à son compte, et presque à l’identique, l’article R*111-18-2 III du Code de la construction et de l’habitation qui pose les conditions que les logements doivent respecter pour faire l’objet d’un contrat modificatif et, notamment, la mise en accessibilité du logement par des travaux simples. Ces conditions, précisées par arrêté , que le pouvoir réglementaire sera peut être tenté de reprendre, restent cependant insuffisantes en ce qu’elles se contentent d’indiquer, notamment, que les travaux doivent être sans incidence sur la structure de l’immeuble et ne doivent pas concerner les réseaux d’alimentation et canalisations.

Les débats parlementaires ont apporté peu de précisions sur cette notion, se contentant de donner quelques exemples : aucune canalisation ne devra être fixée et encastrée sur les murs intérieurs, elles doivent courir sur les murs porteurs et extériorité ; dans la salle de bain un double siphon doit permettre de remplacer une baignoire par une douche plate « à l’italienne ».

Par ailleurs, l’objectif poursuivi, à savoir une simplification de l’acte de construire et une diminution des coûts engendrés, ne semble pas atteint. La Fédération des promoteurs immobiliers a, ainsi, indiqué que l’évolutivité allait engendrer des coûts supplémentaires car il faudra concevoir différemment.

Le second risque est un manque d’encadrement de la notion de « logement évolutif » dans le décret d’application, notion qui pourrait alors présenter des écarts d’interprétations importants.

Enfin, au-delà de précisions techniques, le décret d’application, devra s’intéresser à la question économique de ces travaux et notamment leur prise en charge dans le cadre d’une location.

Si dans le cadre d’un bail social, ce coût sera, semble-t-il, supporté par le bailleur, aucune précision n’a été apportée pour le parc privé. Les associations ont, à cet égard, soulevé un risque de discrimination de la personne handicapée, le bailleur pouvant privilégier un locataire pour lequel il n’aura pas de travaux d’aménagement à réaliser. Si ce coût revient au locataire, il peut se voir imposer une double peine si le bailleur exige une remise en état de son appartement à la fin du bail.

Le projet de Loi ELAN sera soumis à un dernier vote solennel au Sénat ce 16 octobre. Face aux mesures qui semblent se dessiner, le décret d’application cristallisera toutes les attentions. D’évidence, les associations de protection des personnes en situation de handicap auront pleinement leur rôle à jouer lors de sa rédaction.

Elodie KASSEM Élève-avocat
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