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Facebook et droit du travail : quelles interactions ? Xavier Berjot, Avocat
Parution : lundi 8 octobre 2018
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Le réseau social Facebook suscite des questionnements, sur le plan du droit du travail, auxquels la jurisprudence apporte quelques réponses. Nul doute que la Cour de cassation poursuivra son œuvre prétorienne au sujet également d’autres réseaux sociaux tels qu’Instagram, WhatsApp ou You Tube.

1/ Des propos tenus sur Facebook peuvent-ils justifier un licenciement ?

Chacun le sait, Facebook peut servir de défouloir ou, à tout le moins, constituer le support de propos plus ou moins tendancieux ou condamnables, notamment tenus par un salarié vis-à-vis de son employeur.

Dans un arrêt du 12 septembre 2018 (n° 16-11.690), la chambre sociale de la Cour de cassation vient de juger que des propos litigieux diffusés sur le compte ouvert par une salariée sur le site Facebook, accessibles uniquement « à des personnes agréées par cette dernière et peu nombreuses » (groupe fermé composé de 14 personnes) relèvent d’une conversation de nature privée ne caractérisant pas une faute grave.

En l’espèce, la salariée avait été licenciée pour avoir adhéré à un groupe Facebook intitulé « extermination des directrices chieuses ». Son employeur avait considéré que les propos « injurieux et offensants » de la salariée, à son encontre, étaient constitutifs d’une faute grave.

Pour la Cour de cassation, suivant la position de la Cour d’appel de Paris, les propos en question avaient été tenus au sein d’un groupe fermé, accessible uniquement à des personnes agréées par l’administrateur du groupe, et n’avaient été diffusés qu’au sein d’un nombre limité de personnes.

2/ L’employeur peut-il consulter le compte Facebook du salarié ?

La Cour de cassation a répondu à cette question dans un arrêt du 20 décembre 2017 (n°16-19.609).

Elle a jugé que l’employeur porte une atteinte déloyale et disproportionnée à la vie privée du salarié en accédant au contenu de son compte Facebook sans y être autorisé, au moyen du téléphone portable professionnel d’un autre salarié.

En l’espèce, l’employeur, à la recherche de preuves dans le cadre d’un litige prud’homal, avait téléchargé des informations du compte Facebook d’une salariée partie au litige à partir du téléphone portable professionnel d’un autre salarié, les deux étant « amis » sur Facebook.

L’employeur avait été condamné par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur, en ces termes :

- « Attendu qu’ayant relevé que le procès-verbal de constat d’huissier établi le 28 mars 2012 à la demande de la société X [Ndlr] rapportait des informations extraites du compte Facebook de la salariée obtenues à partir du téléphone portable d’un autre salarié, informations réservées aux personnes autorisées, la cour d’appel a pu en déduire que l’employeur ne pouvait y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée ; que le moyen n’est pas fondé. »

3/ Facebook : espace public ou privé ?

Au-delà de la solution retenue par l’arrêt du 12 septembre 2018 (cf. § 1 ci-dessus), la question se pose de savoir si Facebook doit être considéré comme un espace privé ou public.

En effet, l’arrêt ne répond pas à toutes les problématiques liées aux propos tenus sur le mur des utilisateurs de Facebook ou sur un groupe « ouvert » (ex. page Facebook d’une personnalité ou d’une enseigne connue).

La réponse à cette question présente un intérêt évident, notamment au regard de la détermination du caractère légitime – ou non – du licenciement du salarié.

Les juridictions du fond ont pu statuer sur le sujet, comme l’illustrent les décisions ci-dessous (ordre chronologique) :

- CA Reims 9 juin 2010 (n° 09-3209) : le message laissé par un salarié sur le « mur » d’un « ami » Facebook n’est pas protégé par les règles applicables aux correspondances privées.

- CPH Boulogne-Billancourt 19 novembre 2010 (n° 10-853) : le salarié a choisi dans le paramètre de son compte, de partager sa page Facebook avec « ses amis et leurs amis », permettant ainsi un accès ouvert, notamment par les salariés ou anciens salariés de la société X ; il en résulte que ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée et qu’ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère fondé du licenciement.

- CA Besançon 15 novembre 2011 (n° 10-02642) : il appartient à chaque membre du réseau souhaitant conserver la confidentialité de ses propos, d’utiliser les fonctionnalités prévues à cet effet par le site ou de s’assurer au préalable auprès de son interlocuteur que celui-ci a limité l’accès à son mur.

- CA Lyon 24 mars 2014 n° 13-03463 : l’employeur peut produire, pour justifier une mesure de licenciement, des propos dénigrants l’entreprise et tenus par un salarié sur son compte Facebook « dont il n’avait pas activé les critères de confidentialité de sorte que d’autres salariés ont pu les lire. »

Un critère d’appréciation clair serait utilement dégagé par la Cour de cassation, afin que l’employeur et le salarié sachent comment « se positionner. »

4/ Consulter Facebook sur le lieu de travail : motif de licenciement ?

Comme la Cour d’appel de Pau l’a jugé il y a plusieurs années (CA Pau 13 juin 2013 n° 11/02759), constitue une faute simple justifiant le licenciement d’une salariée « les connexions très fréquentes, durant les heures de travail, sur des sites communautaires tels que Facebook. »

En l’espèce, il était établi, grâce à la consultation de l’historique du navigateur de l’ordinateur utilisée par la salariée, que celle-ci visitait de nombreux sites Internet communautaires et stockait dans des fichiers temporaires des photos privées « considérant son lieu de travail comme une véritable annexe de son domicile privé. »

La Cour d’appel de Pau a néanmoins exclu la faute grave, considérant que le contrat pouvait se poursuivre pendant le temps du préavis.

La solution de l’arrêt ne surprend pas, puisqu’il est acquis que le salarié qui néglige son travail pour se connecter sur internet à des sites extraprofessionnels manque à ses obligations et s’expose à un licenciement (Cass. soc. 18 mars 2009 n° 07-44.247).

Rappelons d’ailleurs que l’employeur peut librement consulter les « favoris » du salarié ou « l’historique » de son navigateur (Cass. soc. 9 février 2010 n° 08-45253).

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b
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