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Étude comparative entre l’abus de biens sociaux et l’acte anormal de gestion en droit OHADA. Par Mohamed Konaté, Etudiant.
Parution : jeudi 11 octobre 2018
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Bien souvent on sent une grande proximité entre ces deux (2) notions, l’abus de biens sociaux et l’acte anormal de gestion. Donc il est important d’explorer le contenu de ces deux (2) notions.

S’il en est des notions en droit qui ont un lien étroit, et parfois prêtant à confusion, c’est sûr que l’abus de biens sociaux et l’acte anormal de gestion en feront partis.
La communauté des critères d’application entre ces deux notions conduit à alerter les dirigeants et mandataires sociaux sur le risque qu’un redressement fiscal sur le fondement de l’acte anormal de gestion peut entraîner la mise en cause de leur responsabilité pénale sur le fondement de l’abus de biens sociaux.

L’actualité judiciaire récente a été fortement marquée par des affaires mettant en cause des dirigeants d’entreprises dont les actes étaient critiqués sur le fondement de l’abus de biens sociaux. On sait que dans plusieurs de ces affaires, les actes litigieux ont été décelés à l’origine, lors de contrôles fiscaux, l’administration ayant par la suite transmis le dossier au procureur de la République, ainsi que l’y oblige le Code de procédure pénale.

Ainsi l’abus de biens sociaux a été définie par l’article 891 de l’AUSC-GIE qui précise : « Encourent une sanction pénale le gérant de la société à responsabilité limitée, les administrateurs, le président directeur général, le directeur général, le directeur général adjoint, le président de la société par actions simplifiée, l’administrateur général ou l’administrateur général adjoint qui, de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, matérielles ou morales, ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils sont intéressés, directement ou indirectement » [1].

A la différence de l’abus de biens sociaux, l’acte anormal de gestion est une notion purement prétorienne. Cette notion a été instituée à l’occasion d’une décision (35977) du Conseil d’Etat du 7 juillet 1958 [2] qui a fixé l’un des grands principes de la fiscalité des entreprises, à savoir la non-immixtion du fisc dans la gestion des entreprises. Dans le même temps, ce principe de liberté était assorti d’une exception constituée par la théorie des actes anormaux de gestion l’entreprise.

Alors pour mieux étudier ces deux (2) notions, il est donc opportun de s’interroger sur les points communs existants entre la notion pénale d’abus de biens sociaux (ABS [3]) et la notion fiscale d’acte anormal de gestion (AAG [4]), autrement dit, en quoi la notion fiscale d’acte anormal de gestion, lorsqu’elle est retenue par l’administration fiscale et confirmée par le juge fiscal, est­-elle susceptible de recevoir une application en droit pénal des affaires ?

C’est dans cette perspective que nous allons voir dans un premier temps les points de convergence et dans un second temps les points de divergence.

I. L’abus de biens sociaux et l’acte anormal de gestion : deux notions encadrant la morale dans la conduite des affaires sociales.

Dans cette première partie, notre analyse portera en A sur la protection de l’intérêt social et en B la subsidiarité procédurale entre ces deux (2) notions.

A- L’abus de biens sociaux et l’acte anormal de gestion : deux notions protectrices de l’intérêt social.

Dans la gestion des sociétés, il y a un élément qui est incontournable, c’est l’intérêt de la société qui se doit d’être protégé par chaque décision ou action de gestion. Bien que ces deux (2) notions s’appliquent à des domaines différents, plus précisément, l’abus d’abus de biens sociaux en droit pénal, concoure du mieux à ce que les biens de la société ont une utilisation conforme à l’intérêt de la société. Donc pousse les dirigeants sociaux à beaucoup de retenue et de sérieux dans la conduite des affaires sociales, au risque d’être poursuivi au titre de cette infraction d’abus de biens sociaux.

Pour l’acte anormal de gestion, bien qu’il est une notion fiscale, contraint les dirigeants sociaux à beaucoup plus d’orthodoxie et de rigueur dans la prise en compte de l’intérêt social dans l’exécution des différentes dépenses conformément à l’article 8-II du Code Général des Impôts du Sénégal, mais aussi les différentes opérations qui doivent nécessairement prendre en compte l’intérêt social au risque d’un rehaussement du résultat fiscal soit par une réintégration des charges non justifiées par l’intérêt social ou par le rejet pur et simple des certaines opérations.

Au-delà de l’idéal commun de l’intérêt social qu’unissent ces deux (2) notions, cette complémentarité trouve aussi son fondement dans le cadre procédural.

B- L’abus de biens sociaux et l’acte anormal de gestion : deux notions subsidiairement liées au plan procédural.

Dans le cadre des différentes procédures à la fois pénale et fiscale, il est intimé au juge qui décèle tout manquement fiscal dans une procédure judiciaire, d’en référer directement au service compétent des impôts, la même obligation incombe au juge dans le cadre d’un contentieux fiscal de s’en référer au parquet lorsqu’il constate un quelconque indice tendant à l’existence d’une infraction pénale.

Donc par ce renvoi à double sens entre les deux instances judiciaires, nous constatons que dans la plupart des cas, que l’acte anormal de gestion devant le juge conduit à l’ouverture d’une procédure pénale pour abus de biens sociaux.
Ainsi après cette première partie, nous allons voir maintenant les points de divergence.

II. La divergence de solution devant l’atteinte à l’intérêt social.

Bien que ces deux (2) notions ont plus de choses qui les rassemblent qui ne les opposent, on se rend compte que cette opposition peut trouver son fondement dans le cadre des groupes de sociétés et mais aussi par rapport à un certain de degré de flexibilité.

A. Une différence de traitement de la notion de l’intérêt social dans les groupes de sociétés.

Au cas particulier des sociétés membres d’un même groupe, les flux financiers susceptibles de caractériser un AAG sont nombreux, soit qu’ils résultent de l’octroi de divers types d’avantages directs ou indirects (avances à des conditions avantageuses, prise en charge de frais et charges, subventions), soit qu’ils résultent de contrats (concession de marques ou de licences, prestations de services). Il est de jurisprudence constante que de tels actes sont contraires à une gestion normale s’ils ne présentent pas de contrepartie pour la société qui les octroie ou si le versement est disproportionné par rapport à la prestation reçue. C’est le cas par exemple des avances sans intérêt à des filiales détenues à 99 %, de la prise en charge de frais incombant normalement à des filiales étrangères, de la rémunération excessive de prestations de services ou de concession de marques.

Dans ces différentes situations, le risque d’une incrimination en matière d’ABS est réel. En effet, si l’intérêt du groupe est pris en compte par le juge pénal, encore faut­il que le groupe existe réellement selon la Cour de cassation française. Cette reconnaissance est examinée au regard de la présence ou non d’« un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble du groupe ».

Autrement dit, l’existence de plusieurs sociétés liées entre elles n’est pas suffisante pour caractériser un groupe et faire ainsi échapper à l’incrimination des actes par nature anormaux entre personnes morales différentes. Par ailleurs, quand bien même l’existence d’un groupe serait reconnue, il faut pour néanmoins échapper à l’ABS que la société mise à contribution ne voit pas sa capacité financière obérée, ce qui a été par la cour de cassation française dans Rezemblun du 04 février 1985, et qu’il n’y ait pas de rupture d’équilibre entre les engagements respectifs des sociétés concernées.

B- Une rigidité atténuée de l’abus de biens sociaux par rapport à l’acte anormal de gestion dans ces éléments constitutifs.

Dans la caractérisation de ces deux (2) notions, l’exigence est beaucoup plus marquée dans la constitution d’acte anormal de gestion qui, selon la jurisprudence prévoit au moins quatre (4) éléments constitutifs qui sont :
- L’existence d’un acte de gestion ;
- l’absence de contrepartie à l’acte ; 
- la favorisation d’un tiers ;
- La diminution de la base imposable de l’entreprise occasionnée par l’acte anormal de gestion.

Nous comprenons aisément qu’à ce niveau la rigueur est plus marquée, quant à l’abus de sociaux, la loi à travers l’AUSC-GIE en son article 891 ne prévoit que deux (2) éléments qui sont :
- 1, l’utilisation des biens de la société ;
- 2, l’usage abusif des biens de la société.

En conclusion :

Nous pouvons dire que d’une part que l’AAG et l’ABS sont deux notions très proches dans leurs critères d’application. Mais d’autre part que la reconnaissance d’un AAG en matière fiscale ne signifie pas nécessairement que les critères d’incrimination posés par l’article 891 de l’AUSC-GIE seront remplis. Cette corrélation, non exclusive, s’explique par le caractère pénal de cet article et donc par une application restrictive des dispositions répressives. De même et en dehors de quelques exceptions, l’intérêt de groupe n’est pas encore reconnu en matière fiscale alors même que le droit des sociétés apprécie plus facilement la normalité d’un acte par rapport à l’intérêt du groupe.

[1Art 891 de l’acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et groupements d’intérêt économique.

[2Conseil d’Etat français.

[3ABS désigne l’abus de biens sociaux.

[4AAG désigne l’acte anormal de gestion.

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