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Location saisonnière et les nouvelles sanctions par la loi Elan. Par Lorène Derhy, Avocat.
Parution : mercredi 17 octobre 2018
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Les locations saisonnières de courtes durées de type Airbnb sont dans le collimateur des pouvoirs publics depuis 2016.
Un arsenal législatif s’est construit progressivement afin d’encadrer ce nouveau mode de location qui fait désormais grand bruit, et notamment avec le projet de loi ELAN.

I. L’encadrement de la location saisonnière par la loi ALUR.

La loi ALUR du 24 mars 2014 est la première loi venue encadrer strictement l’activité de la location saisonnière.

S’agissant de la location saisonnière d’une résidence secondaire, la loi ALUR a ajouté un dernier alinéa à l’article L631-7-1 alinéa 5 du Code de la construction et de l’habitation, aux termes duquel elle précise que “Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage “. Cette disposition concerne les communes de plus de 200.000 habitants (Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Lille, Montpellier, Nice, Nantes, Rennes, Strasbourg et Toulouse), celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Autrement dit, ces locations répétées de courtes durées sont considérées comme destinées à un usage hôtelier et non plus à un usage d’habitation ce qui oblige les bailleurs à obtenir une autorisation de changement d’usage ou à racheter des droits de commercialité dès lors que le bien mis à la location saisonnière constitue une résidence secondaire.

S’agissant de la location de la résidence principale à des touristes par le biais d’une plateforme internet, de type Airbnb, celle-ci est possible dans la limite de 120 jours par an sans que le propriétaire loueur ait à effectuer des démarches particulières aux termes de l’article L 631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation. Au-delà de ce seuil, le bailleur devra obtenir une autorisation de changement d’usage [1]

II. Le régime de location saisonnière renforcé par la loi ELAN.

Le projet de loi ELAN n° 846 du 4 avril 2018, adopté le 3 octobre 2018 à l’Assemblée Nationale doit être voté le 16 octobre prochain au Sénat. Son article 51 semble entériner un renforcement des contrôles et des sanctions civiles non seulement à l’encontre des loueurs, mais aussi à l’encontre des plateformes de locations saisonnières.

L’objectif du Gouvernement est de limiter l’effet inflationniste sur les loyers de ce mode de location dans certaines villes touristiques et surtout l’effet de retrait du parc de logements disponibles des locaux loués à des fins touristiques, notamment quand il y a une « professionnalisation » de cette activité.

2.1 Un renforcement des contrôles et des sanctions à l’égard des propriétaires loueurs.

L’article 51 de la loi Elan prévoit l’introduction pour le loueur de l’obligation de transmettre à la commune, à sa demande, le décompte du nombre de nuitées ayant fait l’objet d’une location durant l’année en cours. A défaut, il s’exposera à des amendes, respectivement de 5000 € et de 10.000 €.

En outre, les particuliers qui n’auront pas déclaré ou télé-déclaré leurs locations touristiques auprès de la mairie pourront être frappés d’une amende civile allant jusqu’à 5.000 €, contre 500 euros à ce jour, et de 10.000 euros lorsque le logement est loué plus de 120 jours par an ou si le propriétaire refuse de transmettre à la commune, si elle le lui demande, le décompte du nombre de jours de location.

Ces peines s’ajouteraient à celle de 50.000 €, qui sanctionne la location illégale en cas d’absence de changement d’usage dans le cadre de la location touristique de résidence secondaire prévue par l’article 651-2 du Code de la Construction et de l’Habitation.

2.2 L’instauration de sanctions à l’encontre des plateformes de locations de type Airbnb.

L’idée sous-jacente de faire participer les plateformes à la mise en place effective du cadre légal, en s’assurant que les utilisateurs respectent la limitation de 120 nuitées par an dans les villes concernées, et, le cas échéant, en bloquant automatiquement les annonces des utilisateurs ne la respectant pas ainsi qu’en vérifiant que ceux-ci ont bien effectué les démarches administratives leur permettant de proposer leur logement à la location, constitue l’une des priorités de la loi ELAN.

C’est dans ces conditions que l’article 51 de la loi ELAN a instauré l’application de nouvelles d’amendes civiles pour les plateformes qui ne respecteraient pas leurs obligations (ex : mention du numéro d’enregistrement, transmission des informations à la commune sur le nombre de jours de location) qui pourront être portées jusqu’à 12.500 € ou 50.000 € selon le type de manquement.
- En l’absence de mention du numéro d’enregistrement sur les annonces, les plateformes s’exposent à une amende de 12.500 €.
- En cas de refus de bloquer les annonces au-delà de 120 jours par an pour une résidence principale ou de transmettre aux villes le décompte des nuitées réservées par leur intermédiaire, elles s’exposent à une amende maximum de 50.000 € par logement.

Sur ce point, il convient de rappeler qu’à Paris, depuis le 1er décembre 2017, tout loueur de meublé touristique doit obligatoirement se déclarer. Une fois la déclaration faite, il obtient son numéro d’enregistrement électronique puis un numéro d’immatriculation, lequel doit figurer sur l’annonce en ligne. Avec ce numéro, la plateforme de location doit bloquer l’offre de logement au-delà de la durée autorisée de 120 jours/an pour une résidence principale. Cette obligation a été étendue à d’autre grandes villes comme Bordeaux et Lyon.

Toutefois, en cas de non-respect de cette obligation, les plateformes n’étaient pas concernées par des sanctions financières.

Il a fallu attendre un jugement en date du 6 février 2018, rendu par le Tribunal d’instance du 6ème arrondissement de Paris pour que soit consacré, pour la première fois, le droit d’un bailleur de ne diriger son action qu’à l’encontre d’une plateforme de location saisonnière par laquelle le locataire était passé pour sous-louer son logement sans son accord et pour une période supérieure à 120 jours, et l’a ainsi condamné à lui restituer les commissions qu’elle a perçues tant auprès du loueur qu’auprès du locataire.

Pour ce faire, le Tribunal s’est fondé notamment sur l’article 1241 du Code civil, lequel dispose que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

Il avait notamment considéré que la plateforme Airbnb :
- s’était rendue complice du comportement frauduleux du locataire du bien en n’ayant pris aucune disposition pour le contrôler et l’arrêter dès lors qu’elle avait avait été informée du fait qu’il ne respectait pas la limite de locations à 120 nuitées par an ;
- aurait dû suspendre le compte du locataire, et qu’en n’agissant pas de la sorte, elle avait fourni au locataire « le moyen de s’affranchir de ses obligations contractuelles sans que [s]es agissements illicites soient de nature à exclure sa propre responsabilité ».
- avait méconnu ses obligations d’information et de veille sur ses utilisateurs prévues par l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme, et s’était ainsi rendue complice.

Ce jugement inédit constitue un précédent important en termes de responsabilité des plateformes et a indirectement inspiré les rédacteurs du projet de loi ELAN [2].

Anticipant l’adoption de la loi ELAN, les plateformes internet représentées par leur syndicat professionnel ont signé en juin 2018 un accord avec le gouvernement et s’engagent désormais :
- à mettre en place, d’ici le 31 décembre 1018, un outil automatique de blocage des annonces dès que le seuil de 120 jours par an a été atteint ; et
- à prévoir un dispositif qui devrait permettre d’identifier les annonces « doublonnées », afin d’éviter que les annonceurs ne contournent ces règles en changeant leur annonce de site après avoir atteint leur quota de 120 jours.

III. Un contrôle fiscal renforcé des loueurs pratiquant la location saisonnière.

Avec le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale enregistré le 28 mars 2018 au Sénat et adopté le 26 septembre 2018 à l’Assemblée Nationale, de nouvelles contraintes fiscales ont vu le jour.

C’est ainsi que l’article 4 renforce les obligations administratives des plateformes en ligne de type Airbnb. A compter de l’imposition des revenus de 2019, elles auront l’obligation de transmettre le montant des revenus générés par leurs utilisateurs par leur intermédiaire à l’Administration fiscale.

Lorène Derhy, Avocat www.derhy-avocat.com