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La lutte contre les pratiques anticoncurrentielles au Maroc. Par Brahim Oul-Caid, étudiant.
Parution : jeudi 18 octobre 2018
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Le rôle du Conseil de la Concurrence (CC) marocain dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles était, peu ou prou, passif sous l’ancienne loi 06-99 relative à la liberté des prix et de la concurrence.
Cependant, l’adoption des lois 104-12 et 20-13 relatives, respectivement, à la liberté des prix et de la concurrence et au conseil de la concurrence viennent renforcer ce rôle en élargissant les pouvoirs et les prérogatives de cette institution bien que son dysfonctionnement demeure difficile à relever.

Le conseil de la concurrence (CC), au Maroc, est une institution constitutionnelle [1] indépendante dotée de la personnalité juridique, de l’autonomie financière et investie de larges pouvoirs de décision, d’enquête et de sanction.
En effet, ces dernières prérogatives ne lui sont pas reconnues qu’après l’entrée en vigueur, en 2014, des lois 104-12 [2] et 20-13 [3] relatives, successivement, à la liberté des prix et de la concurrence et au conseil de la concurrence (CC) sachant que cette institution était déjà prévue par la loi 06-99 [4] relative à la liberté des prix et de la concurrence, remplacée.
Donc, la mise en place du CC était édictée par la nécessaire régulation des opérations économiques qui se font sur le marché marocain et par l’enjeu de garantir une concurrence loyale, transparente et bénéfique aux consommateurs.

De même, on peut définir la concurrence comme « la compétition ou la rivalité d’intérêts entre plusieurs personnes qui poursuivent le même but » [5].
La légitimité de la concurrence réside dans le fait que cette rivalité profite au bien-être social, lui-même, renvoyant à la notion de l’intérêt public [6].

Le droit de la concurrence est divisé, dit-on, en deux branches. On distingue le droit des pratiques restrictives et le droit des pratiques anticoncurrentielles [7]. Celles-ci regroupent ce qu’on appelle les ententes et l’abus de position dominante [8]. Néanmoins, la tendance actuelle semble regrouper ces deux branches sous le couvert des pratiques anticoncurrentielles tout court.

Premièrement, les ententes s’entendent par accords sur la fixation des prix ou la répartition des marchés entre des fournisseurs en concurrence sur un marché [9].

Deuxièmement, l’abus de position dominante se définit comme des pratiques exercées par une entreprise en position dominante sur un marché lui permettant de réaliser des bénéfices colossaux aux dépens des consommateurs et/ou d’exclure des concurrents potentiels [10].

Troisièmement, les pratiques discriminatoires ou de prix abusifs sont aussi parmi les pratiques anticoncurrentielles.

En fait, le CC marocain, depuis sa vraie installation [11] s’est fixé comme objectif de veiller à la bonne application de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence et de lutter contre des pratiques anticoncurrentielles.

Toutefois, il est incontestable que, pour lutter contre ces pratiques anticoncurrentielles, il faut doter l’institution, qui s’en occupe, de moyens et pouvoirs nécessaires à cet effet. Or, les moyens et les outils dont disposait le CC, sous l’égide de la 06-99, précitée, n’étaient pas de la même importance que ceux dont dispose aujourd’hui. Avec l’entrée en vigueur des lois 104-12 et 20-13 susvisées, le CC s’est vu attribué une place de choix parmi des autres institutions constitutionnelles du royaume.
Cependant, sa mise en hibernation, puis, son rôle quasiment passif nécessitent quelques précisions. Ceci dit, dans cet article, nous allons voir comment le CC marocain a traité la question des pratiques anticoncurrentielles en application de la loi 06-99 (I) avant de mettre en évidence les moyens renforcés dont il dispose désormais dans ce cadre (II) et, enfin, nous allons essayer de montrer en quoi le CC souffert d’un dysfonctionnement chronique, ce qui l’empêche de jouer son rôle comme il est prévu (III).

I) La lutte contre les pratiques anticoncurrentielles avant la loi 104-12.

L’énumération des pratiques anticoncurrentielles faisait l’objet des articles 6 [12] et 7 [13] de la loi n˚06-99 relative à la liberté des prix et de la concurrence. La sanction de ces pratiques déloyales était prévue par l’article 67 [14] de ladite loi dans sa partie réservée aux sanctions pénales.

Or, le rôle du CC, dans ce cadre, se bornait seulement aux consultations et aux recommandations. En effet, l’article 14 de la loi 06-99 disposait : « Il est créé un Conseil de la concurrence aux attributions consultatives aux fins d’avis, de conseils ou de recommandations ».

Donc, le CC ne pouvait, selon ses dispositions, que mener des études sur la concurrentiabilité de certains secteurs et sur l’existence de pratiques anticoncurrentielles et, ensuite, émettre des avis et des recommandations là-dessus. Il n’avait aucun pouvoir décisionnel ni de sanction. Il ne bénéficiait également pas de prérogatives pour mener des enquêtes nécessaires pour bien instruire des affaires en cause [15].

D’ailleurs, l’article 25 de la 06-99, susvisée, dispose : « Le Conseil de la concurrence examine si les pratiques dont il est saisi constituent des violations aux dispositions des articles 6 et 7 ci-dessus ou si ces pratiques peuvent être justifiées par l’application de l’article 8 ci-dessus. Il communique son avis au Premier ministre ou aux organismes dont émane la demande d’avis, et recommande, le cas échéant, les mesures, conditions ou injonctions prévues par la présente section ».

Il en résulte que, même si le CC en arrive à constater l’existence des pratiques anticoncurrentielles prévues par les articles 6 et 7 de la loi 06-99, il ne lui était permis que, premièrement, d’en émettre un avis à l’intention de Premier ministre [16] ou à celle des organismes dont émane la demande d’avis et, deuxièmement, d’en recommander des mesures et injonctions prévues à cet effet.

Cela faisant, suite à la hausse du prix du lait survenue sur le marché à partir du 15 août 2013, le Ministère des Affaires Générales et de la Gouvernance a saisi le Conseil de la Concurrence pour lui demander de procéder à une étude du secteur en vue s’assurer de la conformité de cette augmentation des prix avec les dispositions de la Loi 06-99 relative aux prix et à la concurrence.

Dans un avis rendu dans ce cadre en 2013 [17], le conseil a indiqué : « en principe, la libéralisation du secteur en 1992 aurait dû engendrer une concurrence libre entre les opérateurs, notamment par les prix.

Cependant, les dysfonctionnements mis en évidence tant en amont qu’en aval du secteur biaisent la concurrence, ce qui, en l’absence de pouvoir d’enquête au niveau du Conseil de la Concurrence, appelle les recommandations suivantes (...) ».
Dans cet avis, le conseil de la concurrence a mis le doigt sur l’absence d’un pouvoir d’enquête et a émis quelques recommandations liées à l’approfondissement de l’investigation sur les pratiques anticoncurrentielles et à la mise en place de mesures d’accompagnement de la concurrence.

Force donc est de constater que le rôle du conseil de la concurrence dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles en application des dispositions de la précédente loi n˚06-99, était insuffisant et très restreint dans la mesure où il ne dépassait pas le domaine des consultations et des recommandations. Cependant, l’adoption, par le parlement, à la fois, de la nouvelle loi 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence et de la loi n˚20-13 instituant le CC a renforcé ses attributions et lui a permis, de jure, de se hisser au niveau d’une institution constitutionnelle disposant de pouvoirs très étendus.

II) Le renforcement des pouvoirs du conseil de la concurrence.

Conscient du rôle très limité du conseil de la concurrence dans la lutte contre des pratiques anticoncurrentielles sous la loi 06-99-puisque ce rôle relevait seulement de ses prérogatives consultatives et de recommandations pas plus pas moins-le législateur marocain a procédé, en 2014, à l’adoption des lois 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence et 20-13 relative au conseil de la concurrence afin de raviver celui-ci et lui permettre de fonctionner compte tenu des besoins du marché marocain en mutation perpétuelle.

La réforme du droit de la concurrence marocain de 2014, faut-il le dire, a été dictée, dans un premier lieu, par une conjoncture économico-juridique en changement constant et, dans un deuxième lieu, par le dysfonctionnement constatable et chronique du CC.
L’implantation, au Maroc, de grands opérateurs économiques internationaux, la multiplication des opérations de fusion-acquisition, la croissance des acteurs économiques nationaux, le recours, à outrance, aux pratiques anticoncurrentielles et le souci de la protection des consommateurs, tout cela a poussé les pouvoirs publics à s’intéresser davantage au domaine de la concurrence en général et à la lutte contre toutes les pratiques économiques illicites en particulier.

Ainsi, l’article 2-al.1 de la loi 20-13 dispose : « le conseil a un pouvoir décisionnel en matière de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de contrôle des opérations de concentration économique telles que définies dans la loi relative à la liberté des prix et de la concurrence ».
On peut déduire de cet article que le CC dispose désormais et d’un vrai pouvoir décisionnel et d’un pouvoir de mener des enquêtes [18] dans son combat contre les pratiques concurrentielles déloyales [19].

Ceci dit, pour faire face à celles-ci, le Conseil de la concurrence peut utiliser des sanctions administratives dont il est investi par la loi 104-12. Lorsqu’il est saisi d’une affaire [20] en application des articles 6,7 et 8 de la loi 104-12 [21] , le CC peut, après avoir instruit l’affaire et entendu les parties et le commissaire du gouvernement, ordonner les mesures conservatoires [22] s’il le juge nécessaire.

De même, le CC peut infliger à l’opérateur contrevenant une injonction de cessation de pratiques anticoncurrentielles [23].
En cas de non contestation par le(s) contrevenant(s) de griefs qui lui ou leur sont notifiés, le CC peut prendre l’engagement de prononcer une sanction pécuniaire réduite à la moitié [24].

Si toutes ces sanctions ne marchent pas, le CC recourra aux sanctions pécuniaires prévues par l’article 39 de la loi 104-12. En effet, ces sanctions peuvent atteindre jusqu’à 10% du chiffre d’affaires (CA) international ou national de l’entreprise ou 4.000.000 de dirhams si le contrevenant n’est pas une entreprise.
En outre, il peut également prononcer une astreinte [25] dans la limite de 5% du CA journalier moyen hors taxes par jour de retard pour contraindre les entreprises récalcitrantes à exécuter une décision du CC.

Enfin, le CC peut, procéder à la publication de la décision prise dans le but de toucher le contrevenant dans sa clientèle et sa réputation sur le marché marocain.
Bien que le Conseil de la concurrence marocain se voie désormais investi de larges pouvoirs et de moyens dont le moins que l’on en puisse dire qu’ils sont efficaces, il reste toujours en-deçà des attentes et peine à se rétablir et de sortir de long coma dans il est entré depuis son institution.

III) Le dysfonctionnement de conseil de la concurrence.

La perfection des textes juridiques ne peut pas, à elle seule, contraindre les opérateurs économiques, actifs sur le marché marocain, à se conformer aux règles de jeu en la matière. Il faut que le CC, avec tous les pouvoirs dont il dispose aujourd’hui et en tant que régulateur de la concurrence, fonctionne tel qu’il est prévu par la réglementation en vigueur et qu’il fasse preuve d’une volonté réelle dans tout ce qui concerne la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles en usant de ses pouvoirs.

Les médias nationaux ont lâché la bride à leurs critiques quant au blocage ou au retard dans la nomination des membres de conseil de cette institution, dont le rôle est primordial dans toute économie du marché [26].

Le président [27] du CC, lui-même, s’est confié à un site médiatique national [28] en disant que, tant que les membres du Conseil ne soient pas élus, le CC ne pourra rien faire.

Ainsi, le ras-le-bol des consommateurs marocains, quant à l’augmentation des prix de certains produits alimentaires, les a poussés à mener une propagande de boycott de ces produits. Cette vague de boycott a été appuyée et facilitée par l’utilisation des réseaux sociaux très utilisés par la population marocaine. Sur ce, le CC est invite à se prononcer sur ces événements en recourant à des moyens dont il dispose en la matière.

Mr. Brahim OUL CAID Juriste d'Affaires

[1L’article 166 de la constitution marocaine, portée par le Dahir n˚ 1-11-91 du 29 juillet 2011, dispose : « le conseil de la concurrence est une institution indépendante chargée, dans le cadre de l’organisation d’une concurrence libre et loyale, d’assurer la transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur le marché, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales déloyales et des opérations de concentration économique et de monopole »

[2La loi n˚ 104-12, portée par le Dahir n˚ 1-14-116 du 30 juin 2014, publiée au Bulletin Officiel n˚ 6280 du 7 Août 2014.

[3La loi n˚ 20-13, portée par le Dahir n˚ 1-14-117 du 30 juin 2014, relative au conseil de la concurrence.

[4La loi n˚ 06-99 est la première loi, au Maroc, sur la liberté des prix et de la concurrence. Elle a été apportée par le Dahir n˚ 1-00-25 du 5 juin 2000, publiée au Bulletin Officiel de 6 juillet 2000.

[5Louis-Xavier Huguenin-Vuillemin, Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles au sein des marchés de l’Union Européenne, des États-Unis et du Canada : Perspectives d’un droit antitrust international, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grande de Maîtrise en droit des affaires le 03/09/2003, Université Montréal, P.15 et s.

[6V, Lionel ZEVOUNOU, le concept de concurrence en droit, Thèse, Université Paris Ouest Nanterre la Défense, 2010, p. 27 et s.

[7V, Emmanuelle CLAUDEL, ententes anticoncurrentielles et droit des contrats, thèse en droit, Université de Paris X-Nanterre, 1994, p. 4 et s.

[8Idem.

[9V, Lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, guide à l’intention des exportateurs des économies en développement, Centre de Commerce International, 2012.

[10Idem.

[11Bien que le CC ait été prévu par l’article 14 de la loi 06-99 de 2000, sa vraie mise en œuvre n’a eu lieu qu’en janvier 2009 après l’installation de ses membres par le premier ministre de l’époque. Pour plus d’illustrations, dans ce cadre, V. AZEROUAL Badallah Boudize Walid, le Conseil de la Concurrence, mémoire, master Droit des Contentieux, 2016-2017.

[12l’article 6 de ladite loi dispose :« Sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions expresses ou tacites, sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, notamment lorsqu’elles tendent à :
1 -limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;
2 - faire obstacle à la formation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3 - limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4- répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ».

[13L’article 7 dispose : « Est prohibée, lorsqu’elle a pour objet ou peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises :
1 - d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;
2 - d’une situation de dépendance économique dans laquelle se trouve un client ou un fournisseur ne disposant d’aucune autre alternative.
L’abus peut notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. Il peut consister également à imposer directement ou indirectement un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale.

L’abus peut consister aussi en offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’éliminer un marché, ou d’empêcher d’accéder à un marché, une entreprise ou l’un de ses produits ».

[14L’article 67 dispose : « Sera punie d’un emprisonnement de deux (2) mois à un (1) an et d’une amende deRetour ligne automatique
10.000 à 500.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement toute personne physique qui, frauduleusement ou en connaissance de cause, aura pris une part personnelle dans la conception, l’organisation, la mise en œuvre ou le contrôle de pratiques visées aux articles 6 et 7 ci-dessus
 ».

[15Pour plus d’illustration, V. Ouafae LAROUSSI, les enquêtes de concurrence, mémoire de DESA, Faculté du droit de Fès, 2009.

[16Avec la nouvelle constitution de 2011, on l’appelle désormais le chef du gouvernement.

[17Avis n˚42/13 concernant la concurrence dans le secteur du lait, In Rapport annuel du conseil de la concurrence de 2013, p.32 et s.

[18V. AZEROUAL Badallah Boudize Walid, mémoire précité.

[19Idem

[20Le CC peut être saisi par les personnes prévues par l’article 5 de la loi n 20-13 relative au CC. Il peut se saisir d’office également.

[21Ces articles portent sur les pratiques anticoncurrentielles.

[22V, l’article 35 de la loi 104-12.

[23V, l’article 36 de la loi 104-12.

[24V, l’article 37 de ladite loi.

[25V, l’article 40 de la même loi.

[26V, Faiçal FAQUIHI, Concurrence : la reforme face à des oppositions sourdes, l’Economiste, n˚5034 du 30/05/2017 ; Tel Quel, le conseil de la concurrence toujours paralyse, le 5 septembre 2018.

[27Abdelali BENAMOUR.

[28www.médias24.com. Entretien à cœur ouvert avec Abdelali BENAMOUR, président du conseil de la concurrence, 6/10/2018.