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Terrorisme : suspecter n’est pas prouver. Par Naguin Zekkouti, Avocat.
Parution : vendredi 19 octobre 2018
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Dans un arrêt du 5 septembre 2018 (Cass., crim. 5 septembre 2018, n° 17-82994), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a validé les décisions de non-lieu rendues par les juridictions d’instruction à l’encontre d’une personne mise en cause du chef d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Pour conclure à l’absence d’élément intentionnel, la Haute juridiction a relevé qu’en achetant un billet d’avion pour la Turquie à son compagnon, la mise en cause croyait que celui-ci allait et devait rester chez son grand-père et que par ailleurs, elle n’avait apporté aucun soutien à l’État islamique dès lors que d’une part, le partage et le financement de la vie à l’étranger était subordonné à la condition que son mari ne fût plus soldat pour le compte de l’organisation, terroriste et que, d’autre part, aucun élément de la procédure ne permettait de relier l’achat et la possession d’une l’arme de poing à une activité ou préparation d’action quelconque du compagnon de la mise en cause pour le compte de l’organisation dite État islamique.

Regroupés dans le Code pénal au sein des crimes et délits contre la Nation, l’État et la paix publique, les actes terroristes ont en commun d’être commis « intentionnellement » et « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Parmi les infractions terroristes, qui obéissent à des règles de procédure pénale dérogatoire, on distingue :
1°) d’une part, les infractions de droit commun commises dans un contexte particulier et les infractions « autonomes ». Dans le cadre de ce terrorisme dit « dérivé », l’article 421-1 du Code pénal énumère un certain nombre d’infractions pénales qui revêtent un caractère terroriste dès lors qu’elles sont commises dans un contexte d’intimidation ou de terreur. Il s’agit ainsi des infractions suivantes : atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne, enlèvement et séquestration, détournement d’un moyen de transport, vol, extorsions, destructions, dégradations et détériorations, faux et usage de faux, infractions spécifiées en matière informatique ou en matière de groupes de combat et de mouvements dissous, infractions précisées en matière d’armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires, blanchiment ou encore délit d’initié.

Ces infractions prennent une coloration terroriste dès lors qu’elles sont commises, intentionnellement, en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. L’entreprise terroriste implique organisation et préparation.

2°) d’autre part, les infractions autonomes, le code pénal visant des comportements qui constituent des infractions spécifiquement terroristes. Ce terrorisme dit « qualifié » concerne les infractions suivantes :
- terrorisme écologique (article 421-2) ;
- association de malfaiteurs terroriste (article 421-2-1) ;
- financement d’une entreprise terroriste (article 421-2-2) ;
- non-justification de ressources tout en étant en lien avec des personnes se livrant à des actes terroristes (article 421-2-3) ;
- incitation des parents au terrorisme (article 421-2-4-1) ;
- recrutement à visée terroriste (article 421-2-4) ;
- provocation et apologie du terrorisme (article 421-2-5) ;
- entrave au blocage de sites internet terroristes (article 421-2-5-1) ;
- préparation individuelle d’actes terroristes, d’atteintes à l’intégrité ou à la vie des personnes (article 421-2-6).

Il convient de préciser qu’alors que la loi n°2016-731 du 3 juin 2016 avait ajouté à cette liste le délit de consultation habituelle de sites internet faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à commettre des actes terroristes, le texte d’incrimination concerné a été abrogé par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017) avant d’être rétabli dans une version légèrement modifiée avant d’être de nouveau abrogé (Décision n°2017-682 QPC du 15 décembre 2017).

De façon générale, la notion de terrorisme suppose la réunion de deux critères, l’un emprunté à des comportements, dont la matérialité constitue l’assise de l’action terroriste, l’autre tiré de circonstances particulières, qui tiennent à une relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

En ce qui concerne le contexte de l’infraction terroriste, il est nécessaire que les faits visés aux articles 421-1 et 421-2 du Code pénal soient « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Aussi le contexte terroriste ne tient-il pas seulement à l’existence d’une entreprise objectivement établie et suffisamment prouvée par des éléments empruntés à l’organisation du projet terroriste, mais il faut encore que celle-ci ait une destination psychologiquement ciblée et procède d’une finalité qui en fait une opération intimidante et terrorisante (Yves Mayaud, V° Terrorisme - Infractions, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, janvier 2018, n° 155). Pour ce même auteur, « cette ultime donnée revient à enrichir l’élément moral des infractions terroristes, en les doublant d’une approche psychologique commune, chacune se devant d’être non seulement volontaire dans sa réalisation, mais encore inspirée par un mobile particulier, tiré d’un objectif d’insécurité et de déstabilisation par la peur ». Voilà là le caractère intentionnel du terrorisme.

La rigueur des principes et des règles spécifiques aux infractions terroristes peut être illustrée par un récent rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 5 septembre 2018 (n°17-82994). Cet arrêt concernait le pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel de Paris, contre un arrêt de la chambre de l’instruction du 25 avril 2017, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 7 février 2017, n° 16-87.084) dans l’information suivie contre une personne mise en cause du chef d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction.

Pour rejeter le second pourvoi du ministère public et confirmer le non-lieu prononcé par le magistrat instructeur, la Chambre criminelle relève :
- qu’en achetant un billet d’avion pour la Turquie à son compagnon, la mise en cause croyait que celui-ci allait et devait rester chez son grand-père ;
que par ailleurs, elle n’avait apporté aucun soutien à l’État islamique puisque d’une part, le partage et le financement de la vie à l’étranger était subordonné par elle à la condition que son mari ne fût plus soldat pour le compte de l’organisation, terroriste - élément corroboré par l’absence apparente durant cette période de tout soutien financier ou matériel de la part de cette organisation à son compagnon

- et, d’autre part, aucun élément de la procédure ne permettait de relier l’achat et la possession de l’arme de poing à une activité ou préparation d’action quelconque du compagnon de la mise en cause pour le compte de l’organisation État islamique, cette arme étant destinée à assurer leur sécurité privée.

Dès lors, la chambre de l’instruction de la cour de Paris avait pu logiquement déduire de ces éléments que l’infraction reprochée était dépourvue d’élément intentionnel.

Il ne suffit pas de réunir des éléments éparses pour fonder une culpabilité. Le crime terroriste étant une infraction intentionnelle, il est nécessaire que les faits reprochés aient été, au sens des articles 421-1 et 421-2 du Code pénal, commis « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». En ce qu’il préserve tant les principes du droit pénal que la présomption d’innocence, l’arrêt du 5 septembre 2018 doit être pleinement soutenu.

Ainsi, suspecter n’est pas prouver. La lutte contre le terrorisme étant aussi un enjeu de valeurs.

Naguin Zekkouti Avocat à la Cour Docteur en droit Certificat de sciences criminelles - université Paris 2 Panthéon-Assas