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Réflexions sur la clause de polyvalence en droit algérien. Par Mehdi Berbagui, Avocat.
Parution : jeudi 25 octobre 2018
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Les contrats de travail contiennent souvent en pratique une clause aux termes de laquelle le salarié accepte à l’avance d’être affecté à l’avenir selon les besoins et volonté de l’employeur dans un autre poste que celui pour lequel il a été embauché. C’est la clause de polyvalence ou "plurivalence". Quelle est sa valeur juridique ? Est-elle conforme aux conditions de validité des conventions ?

Le contrat de travail fait classiquement partie des contrats dits d’adhésion, par opposition aux contrats « de gré-à-gré ». C’est-à-dire, et contrairement aux conventions dont les parties ont la même force économique, la même « bargaining power » comme disent nos confrères d’Outre-Manche, et qui négocient et se disputent à forces égales, le contrat de travail est soumis au candidat à l’embauche, et ce dernier se contente de donner son accord, souvent sans même lire ce sur quoi il s’engage.

Connaissant donc la faiblesse innée de la position du salarié, est-ce que la signature d’un contrat de travail-type d’une entreprise ferait présumer en soi sa vulnérabilité, une sorte de vice de consentement sui generis dont il serait victime ? La question mérite l’attention.

En effet, les contrats de travail contiennent, de manière générale, plusieurs clauses dont on peut légitimement s’interroger sur leur acceptation spontanée par le salarié, des clauses qu’il aurait normalement écartées, dans la mesure où elles sont susceptibles de limiter ses libertés de façon assez importante : clauses de non-concurrence, de mobilité, de plurivalence, … etc.

C’est le cas notamment de la clause de polyvalence ou « plurivalence », aux termes de laquelle le salarié accepte à l’avance et de manière théorique de changer de poste de travail et de service au sein de l’organisme employeur, sur simple décision de ce dernier et selon les « besoins de service », expression consacrée dans la majorité des règlements intérieurs des entreprises en Algérie.

Par exemple un cadre comptable et financier se voit opposer cette clause afin qu’il passe désormais responsable commercial et marketing. Les deux postes sont techniquement assez proches, mais n’en demeurent pas moins différents.

Est-ce que cet employé savait et était conscient, au moment de la signature de son contrat de travail, qu’il pourrait éventuellement être amené un jour à effectuer des tâches qui n’ont peut-être rien à voir avec le poste pour lequel il a été recruté ?

Sur le plan du droit des contrats, la clause de polyvalence, lorsqu’elle est mise en jeu par l’employeur, a pour effet de modifier l’objet du contrat de travail du côté du salarié, tout en rendant caduc l’objet initial.

Il s’agit donc pour le salarié de donner un consentement à l’avance pour modifier à l’avenir l’objet du contrat, selon les aléas des besoins de service et la réorganisation de l’entreprise.

L’article 92 du code civil Algérien permet de contracter sur un objet futur mais qui doit être certain.

Est-ce que la modification de la nature des tâches du salarié était suffisamment certaine au moment de la signature du contrat ? Par principe non.

Comme expliqué, la clause est totalement aléatoire et vise à avoir le salarié « à sa disposition ».

La faiblesse juridique est là : le consentement préalable du salarié sur l’objet futur n’est pas valable puisqu’il est donné de manière hypothétique et par pure convenance sur un objet incertain.

Le mécanisme de la clause heurte ainsi le principe général de sécurité juridique et de prévisibilité, d’autant plus que la nouvelle affectation professionnelle de l’employé pourrait lui être moins favorable ou qu’il ne souhaite pas rejoindre tout simplement.

En cas de litige, la clause peut être qualifiée par le juge de « clause léonine », qui est prévue à l’article 110 du code civil, et peut être annulée, le contrat de travail demeurant en principe valable pour le reste.

Notre conseil est d’éviter l’insertion de telles clauses trop générales et aléatoires dans les contrats de travail, puis, lorsque l’employeur propose de nouvelles tâches au salarié, le mieux est que les deux parties signent un nouvel écrit contractuel, un nouvel instrumentum, reflétant l’accord de l’employé sur les nouvelles missions, tout en mettant à jour la relation de travail sur le plan contractuel.
Cela, au lieu de faire signer systématiquement des clauses-types aux employés, des clauses pathologiques sur le plan du droit des contrats et qui, en outre, sont attentatoires aux libertés fondamentales des salariés, ce qui génère actuellement un contentieux abondant qui nuit à l’entreprise.

Mehdi BERBAGUI Avocat aux barreaux de Paris et d\'Alger http://www.terra-lex.fr/