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Comment se défendre, contre les mesures d’éloignement devant le juge des libertés ? Par Chihab Himeur, Avocat.
Parution : mardi 23 octobre 2018
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Le code de procédure pénale prévoit différentes hypothèses de contrôle d’identité sur réquisition du procureur de la République.
Celle-ci devait préciser l’infraction recherchée, le lieu et la période des contrôles. L’article 78-2 du CPP constitue le fondement classique du contrôle d’identité requis par un procureur de la République lorsque celui-ci est l’unique objet de l’opération de police judiciaire.

Au terme de cet article, « Les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 :
1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :
- qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; -ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
- ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ;
- ou qu’elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’une mesure d’assignation à résidence avec surveillance électronique, d’une peine ou d’une mesure suivie par le juge de l’application des peines ;
- ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes... ».

Cependant, dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, l’article 78-2-1 du CPP permet de contrôler l’identité des personnes occupées, dans le seul but de vérifier qu’elles figurent sur le registre unique du personnel ou qu’elles ont fait l’objet des déclarations préalables à l’embauche.

Le juge doit vérifier que les réquisitions du procureur de la République précèdent le contrôle d’identité. Leur absence dans le dossier de la procédure n’est pas une cause de nullité du contrôle dès lors que l’OPJ, assistés d’un inspecteur de l’URSSAF, ont agi en application des dispositions spécifiques du code de travail concernant le travail dissimulé. Au préalable, il convient de garder à l’esprit que l’article précité a un caractère ouvert en ce sens que la liste des éléments qu’il renferme n’est pas exhaustive.
En application de cet article, les personnes de nationalité étrangère peuvent être également tenues de présenter les pièces et documents sous le couvert desquels ils sont autorisés à travailler et à séjourner en France ; de sorte que les réquisitions du Procureur de la République n’ont pas à viser les dispositions de l’article L 611-1 du CESEDA (Cass 1civ, 11 mai 2016, n°15-20902).

De plus, l’application de l’article 78-2-1 du CPP n’exclut ni les dispositions du code de travail (L8113-2 code du travail), ni celles des articles 76 et 77-1 du CPP pour la constatation des infractions en matière du travail dissimulé, ni les dispositions relatives à la constatation et à la poursuite des infractions flagrantes. Dans d’autres cas, le procureur de la République n’a pas à justifier l’existence d’indices de commission, ou de risque de commission, des infractions visées par ledit article ou un risque d’atteinte à l’ordre public (Cass 2 civ, 19 fev 2004, n° 03-50025).

Il peut, à ce titre, effectuer des contrôles inopinés à tout moment.
C’est dans ce contexte, que l’étranger en situation irrégulière, c’est-à-dire qui n’est pas en mesure de présenter un titre de séjour valable, est placé en garde à vue (GAV). Ce faisant, trois décisions lui sont notifiées simultanément :
- Une obligation de quitter le territoire ;
- Une décision désignant le pays de renvoi ;
- Une décision de placement au centre de rétention administratif pour une durée de 48h. Cependant, le préfet dispose du même délai pour saisir le JLD. Passé ce délai, la personne retenue est mise en liberté.

Il apparait de toute évidence que cette mesure, c’est-à-dire la décision de placement, constitue une privation de liberté à l’égard de la personne retenue. A ce stade de la procédure, le sort de l’étranger en situation irrégulière dépend alors du juge des Libertés. A ce niveau, et comme son nom l’indique, le juge des libertés et de la rétention, garant des libertés individuelles et collectives, est seul compétent pour se prononcer sur la régularité de l’interpellation et de la décision de placement en rétention. Autrement dit, la particularité du JLD est d’examiner les conditions dans lesquelles la liberté de la personne retenue a été mise en cause par l’Etat. Il convient, toutefois, de préciser que cette dernière compétence est récente.
Elle lui a été attribuée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, entrée en vigueur, le 1 er novembre 2016. A ce titre, le juge judiciaire est devenu désormais compétent pour examiner la légalité de l’arrêté par lequel le préfet a décidé le placement de l’étranger dans un centre de rétention.

Rappelons aussi que, la procédure devant le JLD dépend d’un formalisme très strict. Les délais sont d’une extrême importance. Conformément à l’article L512-1 du CESEDA, le recours contre cet arrêté doit être établi dans un délai de 48h. L’article L.512-1 Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que : « La décision de placement en rétention ne peut être contestée que devant le juge des libertés et de la détention, dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification, suivant la procédure prévue à la section 1 du chapitre II du titre V du présent livre et dans une audience commune aux deux procédures, sur lesquelles le juge statue par ordonnance unique lorsqu’il est également saisi aux fins de prolongation de la rétention en application de l’article L.552-1. ».

En revanche, tout ce qui concerne la contestation de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) ne relève pas de la compétence de cette juridiction. La légalité de cette décision peut être contestée devant le Tribunal administratif territorialement compétent. De même, et à peine d’irrecevabilité, le recours en annulation devait être enregistré dans un délai de 48h à compter de la date de la notification. Il serait inutile de soulever cette question devant le JLD. Le Conseil de l’administration, représentée par le Préfet, qui a notifié ladite décision (OQTF) soulèvera tout de suite l’incompétence du JLD et demande la prolongation de la rétention. Bref, la procédure devant le JLD, encadrée par des textes, est très précise, il faut aller directement à l’essentiel.

A partir de là, il faut donc se concentrer à rechercher les nullités de la procédure ; c’est d’ailleurs ce qui intéresse le plus le juge des libertés.
Les nullités, s’il y en a, sont soulevés in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond. Au terme de l’article 385 du code de Procédure Pénale, « la présentation tardive des exceptions de nullité de procédure est sanctionnée par l’irrecevabilité ». La décision à intervenir est extrêmement importante pour votre client. C‘est pourquoi, il faut faire attention et bien préparer sa plaidoirie. Cependant, en suivant la chronologie des évènements, le débat devant le Juge des Libertés connaitra trois étapes décisives qu’il convient de maîtriser.

L’étape 1 : les conditions de l’interpellation et la notification des droits.

La personne retenue est informée immédiatement de ses droits, tels que : la possibilité de contacter un membre de la famille, un avocat ou son employeur, etc ; et le droit d’être consulté par un médecin. Cette première audition est la plus importante, elle est en principe réalisée par le truchement d’un interprète, lorsque l’étranger ne comprend pas bien, ou comprend mal, la langue français.

C’est l’étape la plus importante ; c’est à partir de là où découlent les difficultés.
Il ne faut pas hésiter à demander un interprète si vous avez des difficultés pour communiquer ou comprendre le français. Selon les dispositions de l’article L111-7 du CESEDA : « Lorsqu’un étranger fait l’objet d’une mesure de non-admission en France, de maintien en zone d’attente, de placement en rétention, de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour ou de transfert vers l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile et qu’il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu’il comprend. Il indique également s’il sait lire. Ces informations sont mentionnées sur la décision de non-admission, de maintien, de placement ou de transfert ou dans le procès-verbal prévu à l’article L. 611-1-1. Ces mentions font foi sauf preuve contraire. La langue que l’étranger a déclaré comprendre est utilisée jusqu’à la fin de la procédure. Si l’étranger refuse d’indiquer une langue qu’il comprend, la langue utilisée est le français ».

Selon cet article l’étranger doit dès le début de la procédure indiquer la langue qu’il comprend et préciser également s’il sait lire. Dans ce cas, l’intégralité de la procédure se réalisera dans cette langue par le biais d’un interprète et la notification des droits sera différée jusqu’à l’arrivée de l’interprète. Dans ce cas précis, l’article 111-8 du CESEDA prévoit que l’interprète doit se déplacer. Ce n’est qu’en cas de nécessité, que la traduction peut se faire par l’intermédiaire de moyens de télécommunications et dans ce cas il ne peut être fait appel qu’à certains interprètes et notamment un organisme d’interprétariat ou de traduction agréé par l’administration. Dès lors, en principe, si l’interprète n’intervient que par téléphone, il convient de justifier de cette nécessité par un procès-verbal de carence par exemple, ou des circonstances insurmontables qui n’ont pas permis à l’interprète de se déplacer, sans quoi cela peut également constituer un vice de procédure entraînant la remise en liberté de l’étranger dès lors qu’il existe un grief.

S’il a été mentionné, en revanche, dans la Procès-verbaux que la personne retenue a dit « comprendre le français » ou « refuse un interprète ». Il serait difficile de soulever ce moyen devant le JLD pour demander la nullité de la procédure. Il faut bien faire attention. Il serait inopérant d’y revenir en arrière. D’où l’intérêt d’être assisté par un avocat dès le début de l’audition.

En effet, après la notification de la décision de placement en rétention, le juge des libertés est saisi par l’autorité administrative dans un délai de 48h. Celui-ci ne dispose que d’un délai de 24 h pour statuer sur la prolongation du placement. Ainsi, la procédure devant le JLD se caractérise par l’oralité et la célérité. Lors de sa plaidoirie, l’avocat se concentre d’abord sur les irrégularités pouvant entrainer la nullité de la procédure, et par voie de conséquence la libération de son client.

A titre non exhaustive, parmi les choses qu’il faut vérifier :
- Si l’information du procureur de la République a été immédiate, c à d dans un délai raisonnable qui n’est pas de nature à caractériser une détention arbitraire.
- Le délai qui s’est écoulé entre le placement en GAV et la notification des droits.
- La date de la signature des Procès-verbaux et de la décision de la décision de placement. Dans une affaire très récente (RG 18/02619), Monsieur B a été interpelé le 26 septembre 2018 à Elbeuf à 6H30 du matin. L’arrêté de notification de placement indique a été signé le 26 juillet 2018. IL s’agit donc d’une date antérieure à l’interpellation. Dans cette même affaire, la réquisition de Monsieur le Procureur de la République prescrivant de procéder à une opération de contrôle d’identité aux fins de rechercher les auteurs des infractions suivantes : travail totalement ou partiellement dissimulé ; emploi d’étranger démuni de titre de travail ; dans les lieux à usage professionnel ainsi que les annexes et dépendances de l’établissement dans l’adresse indiquée. Or, il s’est avéré d’après la lecture des PV des auditions que l’interpellation a été effectuée dans l’appartement à côté de l’établissement, dont le bail est différent de celui de la boulangerie. Contrairement à ce qui a été indiqué dans la réquisition, il s’agit donc d’un appartement entièrement indépendant de la boulangerie. Ces deux moyens ont été largement suffisants pour l’annulation de la décision de placement et la libération de la personne retenue (RG 18/02619). L’on comprend, dès lors que, devant le JLD, chaque détail est important ; il ne faut en négliger aucun.

Etape 2 : le contrôle des conditions du déroulement de la rétention administrative.

En effet, le rôle du JLD s’étend aussi pour contrôler le comportement de l’administration pendant la rétention. À l’origine, le placement en rétention avait pour objectif principal, l’exécution de la mesure de l’éloignement. Il visait à formaliser les règles et principes en vertu desquels l’étranger sera reconduit à son pays d’origine. Autrement dit, le placement en rétention est une période transitoire avant l’acheminement de la personne retenue vers son pays d’origine. Il ne faut pas, à ce titre, que le centre de rétention se transforme en une prison. On pourrait affirmer, à la lecture de la jurisprudence, qu’au cœur de ce principe l’obligation à l’administration de faire toute les diligences nécessaires, avec précaution et impartialité.
En application de l’article L 554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un étranger ne peut être placé en rétention administrative que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L’administration doit effectuer toutes diligences à cet effet pour procéder à l’exécution de la meure de l’éloignement. Après avoir passé plusieurs jours au centre de rétention, l’administration doit justifier des démarches et diligences qu’elle avait faite pour reconduire l’étranger vers son pays d’origine. Dans le cas échéant, « le manque de preuve de diligences » peut aussi être un moyen qu’il convient de soulever devant le Juge des libertés et de la rétention.

Etape 3 : L’assignation à résidence.

Il s’agit du dernier point à évoquer devant le JLD. Celui-ci a également la possibilité d’assigner à résidence dès lors qu’un passeport en cours de validité a été remis préalablement aux autorités, que vous justifiez d’une adresse constante dans la procédure et d’une attestation d’hébergement, que vous avez la volonté de repartir dans votre pays d’origine et que vous justifiez de ressources suffisantes.

Avant de demander cette mesure, il convient de vérifier certains points essentiels, notamment la cohérence des adresses figurant sur les différentes pièces du dossier de la personne retenue. Il faut veiller à présenter un dossier cohérent, et défendable, capable de susciter la conviction du Tribunal. Malheureusement, et c’est généralement le cas, le plus souvent, les personnes en situation irrégulières disposent de diverses adresses ; ce qui complique davantage la situation, et va à l’encontre du sens de l’article L 552-4 du CESEDA, et ne laisse que peu de chance à cette mesure d’aboutir.

Au terme de l’article L. 552-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose : « A titre exceptionnel, le juge peut ordonner l’assignation à résidence de l’étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives, après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport ou de tout document justificatif de son identité ».

En revanche, l’assignation à résidence semble possible et qu’il n’existe aucun risque à prendre cette mesure. Il faut donc justifier d’un passeport en cours de validité, qu’il faut remettre, avant l’audience contre un récépissé, à un service de police ou à une unité de gendarmerie. La seconde condition est l’existence d’une adresse stable. Ces deux conditions sont soumises à l’appréciation du juge. Rien ne vous garantit que votre client sera assigné à résidence.

En effet, les choses ne sont pas si simples ; cette demande à un double tranchant : d’une part, il serait difficile de convaincre son client de remettre son passeport à l’administration.

Sachant que vous ne disposez d’aucune garantie pour que le juge fasse droit à votre demande. D’autre part, on cas de rejet de cette demande ; l’étranger sera reconduit sans peine chez lui, et vous serez tenu pour responsable. Il vaut mieux dans ce cas, de ne pas donner de passeport, avec de faibles chances qu’en cas d’inexécution de la mesure d’éloignement, votre client sera relâché quelques jours après.