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Régime social des indemnités de rupture en cas de transaction : six arrêts importants de 2018. Par Frédéric Chhum et Marilou Ollivier, Avocats.
Parution : vendredi 26 octobre 2018
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L’année 2018 se sera révélée riche d’enseignements en ce qui concerne le régime social des indemnités versées dans le cadre d’une transaction conclue entre un salarié et son employeur après un licenciement pour faute grave.

En effet, par six arrêts (dont quatre ont été publiés au bulletin) rendus les 15 mars, 21 juin et 12 juillet 2018 (Cass. Civ. 2, 15 mars 2018, n°17-10.325 ; Cass. Civ. 2, 15 mars 2018, n°17-11.336 ; Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.773 ; Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.432 ; Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.671 ; Cass. Civ. 2, 12 juillet 2018, n°17-23.345), la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation est venue apporter d’importantes précisions à ce sujet.

Au regard de ces nouvelles règles, il convient de faire le point sur le régime fiscal et social des indemnités versées au salarié dans le cadre d’une transaction.

1) Sommes ayant une nature salariale : la question de l’indemnité compensatrice de préavis dans le cadre d’une transaction après licenciement pour faute grave.

Les sommes versées dans le cadre d’une transaction et présentant un caractère salarial sont intégralement soumises à cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu.

Il s’agit notamment des rappels de salaire, primes et heures supplémentaires mais également de l’indemnité compensatrice de congés payés ou de préavis.

Or, dans quatre des six arrêts précités :
- Cass. Civ. 2, 15 mars 2018, n°17-10.325 ;
- Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.773 ;
- Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.671 ;
- Cass. Civ. 2, 12 juillet 2018, n°17-23.345...

... la Cour de cassation s’est prononcée sur la réintégration de la fraction de l’indemnité transactionnelle correspondant à l’indemnité compensatrice de préavis dans l’assiette des cotisations sociales lorsque la transaction fait suite à un licenciement pour faute grave.

En effet, lorsqu’une transaction était conclue après un licenciement pour faute grave, la pratique des URSSAF consistait à systématiquement redresser la fraction de l’indemnité transactionnelle correspondant au montant de l’indemnité compensatrice de préavis.

Le raisonnement était le suivant : le salarié licencié pour faute grave étant privé de tout droit à préavis, la transaction portant sur ce licenciement comprend nécessairement une indemnisation liée à ce préavis.

Pour la première fois, cette pratique est censurée par la Cour de cassation qui pose un principe général selon lequel, lorsque les parties maintiennent la qualification de faute grave, il n’y a pas lieu de considérer que l’indemnité compensatrice de préavis est incluse dans l’indemnité transactionnelle et il n’y a donc pas lieu à redressement sur ce montant.

Dès lors, il peut être préférable pour le salarié d’accepter de maintenir la faute grave, malgré son caractère quelque peu vexatoire, afin d’éviter que le montant de son indemnité compensatrice de préavis puisse faire ultérieurement l’objet d’un redressement par les URSSAF.

Sur ce point, les parties peuvent aisément trouver un consensus puisque, pour une fois, leurs intérêts sont convergents : de cette manière, la somme totale versée par l’entreprise sera moindre tandis que la somme nette perçue par le salarié sera plus importante.

A cet égard, la lecture des arrêts précités nous renseigne sur le soin particulier qui doit être apporté à la rédaction des protocoles transactionnels.

La Cour de cassation fait en effet référence aux termes « clairs, précis, sans ambiguïté » et à « la volonté des parties qui y est clairement exprimée » [1].

Ont ainsi été considérés comme excluant valablement tout versement d’une somme ayant la nature d’une indemnité compensatrice de préavis soumise à cotisations :
- le protocole qui précise que la rupture du contrat de travail reste un licenciement pour faute grave, que le salarié n’exécutera aucun préavis et renonce au paiement de toute indemnité et/ou somme de toute nature résultant de la conclusion, de l’exécution et/ou de la rupture de son contrat ; et ce peu important que ne soit pas expressément indiqué qu’il renonce à demander une indemnité de préavis [2] ;
- le protocole qui stipule que la rupture du contrat de travail reste un licenciement pour faute grave et que l’indemnité transactionnelle ne comporte aucune indemnité de préavis [3] ;
- le protocole qui indique que l’indemnité transactionnelle répare uniquement un préjudice consécutif au licenciement tandis que la qualification de faute grave est maintenue [4].

2) Sommes indemnisant un préjudice résultant de la rupture : le régime d’exonération des indemnités de rupture.

Sur ce point, aucune nouveauté n’a été apportée par la Cour de cassation.

Pour les indemnités réparant un préjudice résultant de la rupture, le régime fiscal est prévu par l’article 80 duodecies du Code général des impôts et le régime social par l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale.

Du point de vue fiscal, les sommes réparant un préjudice résultant de la rupture sont exonérées d’impôt dans la limite du plus élevé des montants suivants :
- Soit le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
- Soit 2 fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture du contrat de travail ;
- Soit 50 % du montant de l’indemnité versée [5].

Dans les deux derniers cas, la fraction de l’indemnité qui excède 6 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (238.392 euros en 2018) est soumise à impôt sur le revenu [6].

Du point de vue des cotisations de sécurité sociale, la fraction de l’indemnité de rupture conventionnelle exonérée d’impôt sur le revenu est également exonérée de cotisations sociales mais dans la limite de 2 fois le plafond annuel de la sécurité sociale, soit 79.464 euros en 2018 [7].

En revanche, si le montant total de l’indemnité excède 10 fois le plafond annuel de la sécurité sociale, soit 397.320 euros en 2018, celle-ci est soumise à cotisations sociales dès le 1er euro [8].

3) Sommes indemnisant un autre préjudice : la nécessaire preuve du caractère purement indemnitaire des sommes versées.

Les sommes versées dans le cadre d’une transaction ne se limitent pas aux deux catégories précitées.

Certaines indemnités visent en effet à réparer un préjudice autre que celui directement lié à la rupture du contrat de travail.

On pense par exemple aux indemnités visant à réparer un préjudice moral subi pendant l’exécution du contrat de travail.

Ces sommes, en raison de leur caractère purement indemnitaire, sont intégralement exonérées d’impôt et de cotisations sociales.

Toutefois, pour bénéficier de cette exonération et éviter tout risque de redressement, la charge de la preuve du caractère purement indemnitaire des sommes versées pèse sur les parties au protocole.

Tel est l’enseignement d’un des arrêts rendus le 15 mars 2018 [9] et d’un des arrêts rendus le 21 juin 2018 [10].

En effet, dans ces deux arrêts, la Cour de cassation a validé le redressement opéré par les URSSAF, estimant que les employeurs ne démontraient pas que les sommes étaient es-exclusivement indemnitaires.

4) Tableau récapitulatif.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Cass. Civ. 2, 15 mars 2018, n°17-10.325 ; Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.773.

[2Cass. Civ. 2, 15 mars 2018, n°17-10.325.

[3Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.773.

[4Cass. Civ. 2, 12 juillet 2018, n°17-23.345.

[5C. gén. des impôts art. 80 duodecies, 1, 6°.

[6C. gén. des impôts art. 80 duodecies, 1, 6°.

[7C. sécu. sociale art. L. 242-1, alinéa 12.

[8C. sécu. sociale art. L. 242-1, alinéa 12.

[9Cass. Civ. 2, 15 mars 2018, n°17-11.33.

[10Cass. Civ. 2, 21 juin 2018, n°17-19.432.

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