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Fiscalité du Numérique : les nouvelles obligations fiscales des plateformes en ligne et des particuliers. Par Eve d’Onorio di Méo, Avocat.
Parution : vendredi 26 octobre 2018
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La loi de lutte contre la fraude fiscale marque un renforcement des moyens de contrôle et sanctions, tant pour les opérations internes que pour celles réalisées avec l’étranger, et une meilleure coordination des procédures fiscales et pénales. Ainsi, des pouvoirs de plus en plus importants sont données à l’Administration pour assurer ce contrôle accru.

Compte tenu de l’émergence ces dernières années de nombreuses plateformes de transactions en ligne (Le bon coin, AirBnb, …), le législateur a du encadrer ses nouvelles pratiques en renforçant d’une part leurs obligations déclaratives, tant vis-à-vis des utilisateurs que de l’administration (I) et d’autre part en mettant en place une solidarité de paiement de la TVA (III). Les utilisateurs de ces plateformes doivent également respecter des obligations fiscales et sociales lorsqu’ils tirent des revenus de ces plateformes (II).

I. Les nouvelles obligations déclaratives pesant sur les plateformes en ligne.

Depuis la loi de finances pour 2016 sur les plateformes en ligne, l’entreprise opérateur de plateforme qui met en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service est tenue de fournir, à l’occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transactions commerciales par leur intermédiaire. Elle est également tenue de mettre à disposition un lien électronique vers les sites des administrations permettant de se conformer, le cas échéant, à ces obligations (article 242 bis du Code général des impôts – CGI). Une amende de 50.000 euros est désormais prévu en cas de non-respect de ces obligations d’informations.

La loi de lutte contre la fraude fiscale du 23 octobre 2018 modifie l’article 242 bis du CGI en ce sens qu’il est désormais prévu pour les plateformes à l’égard des utilisateurs résidant en France ou pour des utilisateurs qui réalisent des ventes ou des prestations de service en France.

D’une part d’adresser par voie électronique aux vendeurs, aux prestataires ou aux parties à l’échange ou au partage d’un bien ou service qui ont perçu, en qualité d’utilisateur d’une plateforme, des sommes à l’occasion de transactions réalisées par son intermédiaire et dont elle a connaissance, au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les informations sont données, un document mentionnant, pour chacun d’eux, les éléments d’identification de l’opérateur de la plateforme concerné, les éléments d’identification de l’utilisateur, le statut de particulier ou de professionnel indiqué par l’utilisateur de la plateforme, le nombre et le montant total brut des transactions réalisées par l’utilisateur au cours de l’année civile précédente, et si elles sont connues de l’opérateur, les coordonnées du compte bancaire sur lequel les revenus sont versés.

D’autre part, d’adresses ces mêmes informations par voie électronique à l’administration fiscale, au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle les informations sont donnée

Toutefois, ce même article dispense l’opérateur de plateforme d’adresser par voie électronique à l’administration fiscale un document récapitulant l’ensemble des informations sur la vente lorsque les transactions dont il a connaissance portent sur la vente entre particuliers de biens meublants ou véhicules ou sur une prestation de services dont bénéficie également le particulier qui la propose, sans objectif lucratif et avec partage de frais avec les bénéficiaires.

Cette dispense de déclaration s’appliquera dès lors que le montant annuel perçu dans l’année par un même utilisateur sur une même plateforme est inférieur à un seuil qui sera fixé par arrêté à 3.000 €, OU si le nombre d’opérations réalisées, s’appréciant lui aussi par utilisateur et par plateforme pour une même année, est inférieur à un second seuil, qui sera fixé par arrêté à 20 opérations. En d’autres termes, la plateforme devra communiquer les informations si et seulement si les deux critères sont réunis (plus de 3.000 € et plus de 20 transactions). Cela vise à exonérer de déclaration les activités qui sont exonérées par nature, comme les ventes de biens de particuliers à particuliers ou le covoiturage non représentatifs d’une activité lucrative.

Dans le cas contraire, l’opérateur de plateforme sera tenu de déclarer à l’administration fiscale le montant perçu par les utilisateurs, ce qui permettra de pré-afficher ce montant sur leur déclaration de revenus, en les forçant à réaliser l’accomplissement de leurs obligations déclaratives et en facilitant le contrôle fiscal pour l’Administration fiscale.

De nombreuses dispositions modifiant les obligations déclaratives de ces plateformes n’ont finalement pas été adoptées :
- l’abattement forfaitaire de 3.000 € applicable aux revenus déclarés automatiquement par les plateformes en ligne ;
- la mise en place pour les opérateurs de plateforme recevant plus de 5 millions de visiteurs uniques par an d’un système de paiement scindé de la TVA ;
- un mécanisme de responsabilité solidaire du paiement de l’amende prévue en cas d’obstacle au droit de communication de l’administration, vis-à-vis des entreprises françaises liées à une entreprise à l’égard de laquelle l’administration exerce son droit de communication non nominatif ;
- l’interdiction aux opérateurs de plateforme en ligne d’effectuer des versements sur des cartes prépayées au profit de leurs utilisateurs résidant en France ou qui y réalisent des prestations soumises à la TVA ;
- l’extension de la taxation d’office des œuvres d’art et objets de collection.

II. Les obligations fiscales et sociales des particuliers qui tirent des revenus de ces plateformes.

En matière de protection sociale, les revenus de l’économie collaborative doivent pouvoir ouvrir des droits à l’assurance maladie ou à la retraite. Cela vaut également en matière de fiscalité : les revenus générés doivent être soumis à l’impôt sur le revenu (IR).

Sur les plateformes en ligne, le particulier peut avoir 5 types de revenus.

Les revenus issus du covoiturage (type Blabacar).

Les sommes perçues par un utilisateur d’une plateforme n’ont pas à être déclarées et imposées si les 3 conditions suivantes sont réunies :
- il s’agit d’un déplacement effectué pour son compte ;
- le prix du voyage n’excède pas le barème kilométrique et est divisé par le nombre de voyageurs ;
- il participe au prix du carburant et du péage occasionné par ce trajet.

Si une de ces conditions n’est pas remplie, l’activité présente un caractère professionnel et doit être soumise à l’IR dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) au régime du micro ou du réel selon que le seuil de 70.000 € est dépassé. L’activité doit également être soumise aux cotisations sociales selon le régime du micro entrepreneur ou le régime de droit commun (seuil de 70.000 €). Ce même seuil de 70.000 € conditionne les obligations en matière de TVA.

Les revenus issus de la location meublée (type AirBnb).

Tous les revenus tirés de la location d’un logement meublé sont imposables et doivent être déclarés à l’administration fiscale, à l’exception de la location saisonnière d’une ou plusieurs pièces de la résidence principale si les revenus n’excèdent pas 760 € par an.

L’activité doit être soumise à l’IR dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) au régime du micro ou du réel selon que le seuil de 70.000 € est dépassé. Si les recettes dépassent 82.800 € avec des prestations para-hotelières, l’activité est soumise à TVA avec possibilité de déduire la TVA payée aux fournisseurs.

L’activité doit également être soumise aux cotisations sociales selon le régime du micro entrepreneur ou le régime de droit commun en fonction de différents seuils suivant la nature de la location (meublée, chambres d’hôtes ou tourisme classé). En deçà de 5.165 € de revenus pour les chambres d’hôtes et de 23.000 € de revenus pour les autres locations meublées, l’activité n’est pas soumise aux cotisations sociales.

Les revenus issus de la vente de biens (type Le bon coin).

Si des biens personnels sont vendus et que ces ventes ont un caractère occasionnel et sont réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé, il ne s’agit pas d’une activité professionnelle. Par conséquent, les revenus de ces ventes ne sont imposables ni à l’IR ni aux cotisations sociales. Toutefois, lorsque le prix de vente est supérieur à 5.000 € et qu’une plus-value de vente est réalisée, les revenus seront taxés selon le régime des plus-value des biens meubles (taxation à 19% d’IR et 17,2% de prélèvements sociaux sur la plus-value nette diminuée d’un abattement de 5% par an au-delà de la deuxième année, sous réserve que le régime spécifique des plus-values d’œuvres d’art et objets de collection s’applique). Des cotisations sociales de 17,2% s’appliquent sur les plus-values de cessions de biens meubles pour une valeur supérieure à 5.000 €.

Si des biens sont achetés ou fabriqués, afin de les (re)vendre, les revenus de cette activité sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) au régime du micro ou du réel selon que le seuil de 170.000 € est dépassé. Si les recettes dépassent 82.800 €, l’activité sera assujettie à la TVA. L’activité doit également être soumise aux cotisations sociales selon le régime du micro entrepreneur ou le régime de droit commun selon ce même seuil de 170.000 €.

Les revenus issus de la location de bien (type OuiCar).

Tous les revenus issus de la location de biens (voiture, électroménager, …) sont imposables si les recettes sont supérieures à 7.946 euros. Au-delà de ce seuil de revenus, l’activité présente un caractère professionnel et doit être soumise à l’IR dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) au régime du micro ou du réel selon que le seuil de 70.000 € est dépassé. L’activité doit également être soumise aux cotisations sociales selon le régime du micro entrepreneur ou le régime de droit commun (seuil de 70.000 €). Le seuil de 33.200 € conditionne les obligations en matière de TVA.

Les revenus issus des activités de services rémunérées (type Uber).

Tous les revenus issus de la fourniture d’un service rémunéré sont imposables quel que soit le montant des rémunérations perçues. Si le service consiste en l’exercice d’une science ou d’un art (par exemple, soutien scolaire, yoga, cours de guitare, etc.), les revenus issus de cette activité sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC). Si le service est une activité commerciale ou artisanale (par exemple, bricolage, jardinage, coiffure à domicile, garde d’animaux, etc.), les revenus issus de cette activité sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.

Les revenus sont imposables dans l’une ou l’autre des catégories (BNC ou BIC) au régime du micro ou du réel selon que le seuil de 70.000 € est dépassé. L’activité doit également être soumise aux cotisations sociales selon le régime du micro entrepreneur ou le régime de droit commun (seuil de 70.000 €). Si les recettes dépassent 33.200 €, l’activité sera assujettie à la TVA.

Ces informations détaillées sont consultables sur le lien suivant :
https://www.economie.gouv.fr/particuliers/economie-collaborative-revenus-imposables

III. Un mécanisme de responsabilité solidaire des opérateurs de plateforme en ligne pour le paiement de la TVA.

La nouvelle loi de lutte contre la fraude fiscale instaure un régime de responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires qui y exercent leur activité pour responsabiliser ces plateformes et les contraindre à donner le maximum d’informations sur les obligations fiscales aux utilisateurs.

Celle-ci pourrait être engagée dès lors que les vendeurs indélicats auraient été formellement signalés à l’opérateur de plateforme en ligne et que les mesures n’auraient pas été prises pour assurer leur mise en conformité ou, à défaut, leur exclusion. Cette procédure est encadrée par des délais et des garanties spécifiques.

Par ailleurs, certaines de ces plateformes pourront, dès 2020, être solidairement tenues de payer la TVA due par les opérateurs qui effectuent, par leur intermédiaire, des livraisons de biens ou des prestations de services taxables en France au profit de personnes non assujetties ou des importations taxables en France. À cet effet, sont créés au sein du code général des impôts un nouvel article 283 bis pour les opérations intra-communautaires, et un nouvel article 293 ter pour les importations.

A partir du 1er janvier 2019, le fisc saura combien la vente en ligne d’objets, la location de services ou de biens aura rapporté à chaque internaute sur l’année. « C’est une adaptation nécessaire de la loi fiscale aux nouveaux modes de consommation et de transactions », justifie Éric Woerth, président (LR) de la Commission des Finances de l’Assemblée. L’activité de ces plateformes sera multipliée par dix en dix ans et il est nécessaire de les réglementer pour éviter les dérives de fraude fiscale ou de faux professionnels qui sévissent sur le marché en ligne. Perçu par certain comme un frein à la prospérité de cette économie, il n’en demeure pas moins que cela est essentielle pour éviter également les distorsions de concurrence.

Eve d'Onorio di Méo Avocat spécialiste en Droit Fiscal [->ed@donorio.com] www.donorio.com
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