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La définition de tiers dans un contrat multirisque habitation. Par Elodie Lachambre, Avocate.
Parution : mardi 6 novembre 2018
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De nombreux découverts d’assurance sont parfois savamment dissimulés dans nos contrats.

Au-delà des plafonds de garantie inadaptés, au-delà des clauses d’exclusion, certaines techniques moins évidentes finissent par tracer une garantie en pointillés.

Le présent article, premier d’une série inspirée de cas traités au cabinet, propose d’aborder l’exclusion indirecte de la garantie responsabilité dans le cadre familial via la définition de tiers / autrui en assurance habitation.

1. La garantie d’assurance responsabilité civile vie privée.

Selon la Fédération Française de l’Assurance, « le contrat d’assurance multirisques habitation offre à l’assuré des garanties complètes pour protéger son patrimoine familial contre les conséquences d’événements affectant son domicile ou mettant en cause sa responsabilité ou celle des membres de sa famille. Que l’on soit propriétaire ou locataire, ce contrat regroupe les diverses garanties qui répondent aux besoins de chacun et respectent les obligations légales. »

L’assurance habitation couvre donc non seulement les dommages au bien habité, et les responsabilités liées à sa propriété (souscripteur propriétaire) ou son occupation (souscripteur locataire), mais aussi et surtout la responsabilité civile « vie privée » des assurés (souscripteur et membres de sa famille vivant au foyer), outre la protection juridique, les garanties d’assurance et quelques garanties complémentaires.

Le découvert d’assurance exposé dans cet article affecte la garantie responsabilité civile « vie privée ».

2. L’étendue de la responsabilité civile dans le cadre familial.

Comme l’indique là encore la FFA, la garantie responsabilité civile « vie privée », toujours incluse dans les contrats habitation, est fondamentale vu l’étendue des responsabilités qui peuvent être encourues :

« Toute personne peut causer involontairement un dommage à autrui. La responsabilité civile, telle qu’elle est définie par la loi, implique l’obligation de réparer le dommage causé. Elle n’a pas de limite : certains doivent payer toute leur vie pour les conséquences de leurs actes. En effet, la somme à payer n’est pas liée à la gravité de la faute ou à l’imprudence commise, mais est fonction de l’importance des dommages. Avec la garantie responsabilité civile du contrat d’assurance multirisques habitation, l’assureur se substitue au responsable pour indemniser la victime. »

Or, les principaux sinistres interviennent dans le cadre familial, particulièrement avec de jeunes enfants.

Le cas d’école sera celui de l’enfant mineur en vacances chez ses grands-parents qui met accidentellement le feu à une grange en jouant dans le foin. Inutile d’être imaginatif pour trouver d’autres situations proches bien que d’une moindre importance : bris de l’écran de téléphone de mamie en chahutant, dégradation des murs du couloir de papy en peignant…

Dans tous ces cas, les parents de l’enfant à l’origine des dommages engagent leur responsabilité, y compris lorsqu’ils étaient absents, sauf s’il est prouvé que les grands-parents ont commis une faute ou une négligence dans la surveillance de leurs petits-enfants (une telle faute étant toutefois rarement retenue par les juges).

3. La technique utilisée par certains assureurs pour échapper à la grande majorité des sinistres.

La garantie responsabilité d’un contrat d’assurance habitation est rédigée de telle sorte que seules les victimes répondant à la définition de « tiers » ou « autrui » peuvent l’actionner.

Par exemple :

« Les responsabilités civiles liées à l’habitation : [incluant d’une part la responsabilité civile liée à l’occupation et d’autre part la responsabilité civile liée à la vie privée]
Les évènements garantis :
Le sinistre est constitué par tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l’assuré, résultant d’un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations […].
 »

Ou

« Responsabilité civile vie privée
Nous garantissons :
Les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile pouvant vous incomber en raison de dommages corporels, matériels et des pertes pécuniaires consécutives causés à autrui au cours de votre vie privée
. »

En général, les assureurs définissent le tiers ou autrui par opposition à l’assuré :

- G*** : Tiers = toute personne qui n’a pas la qualité d’assuré,
- A*** : Tiers = personne qui n’est pas définie comme une personne assurée,
- M*** : Tiers/Autrui = Toute personne qui ne bénéficie pas de la qualité d’assuré au titre de ce contrat.

A la limite, quand la définition est plus complexe comme chez A***, c’est pour ajouter le critère de vie dans le même foyer qui précisément caractérise la définition d’assuré, et exclure donc cette catégorie de la définition d’autrui :
- A*** v1 : Autrui = toute personne victime de dommages garantis à l’exclusion de vous-même, de votre conjoint, de votre partenaire dans le cadre d’un pacs, de votre concubin, de vos ascendants et descendants vivant au foyer, pour les recours exercés par ces personnes ou leurs ayants droits,
- A*** v2 : Autrui = toute personne victime de dommages garantis à l’exclusion de vous-même, de votre conjoint ou concubin, de vos ascendants et descendants vivant au foyer, pour les recours exercés par ces personnes ou leur ayants droit.

Mais chez d’autres, la définition de tiers ou d’autrui est réduite davantage encore, en excluant de la définition l’entourage proche bien que vivant hors du foyer et ne répondant donc pas à la définition d’assuré :

- LA M* : Tiers = toutes personnes autres que celles définies comme « assuré », leurs conjoints, ascendants et descendants, les préposés dans l’exercice de leurs fonctions.
- S* : Autrui = Toute personne autre que les personnes assurées en Responsabilité civile de particulier ou de chef de famille et leurs descendants, ascendants, collatéraux et conjoints, concubins ou pacsés respectifs.

Quelle est la conséquence immédiate d’une définition restrictive de la notion de tiers ou d’autrui ?
Votre responsabilité et celle de vos enfants n’est pas garantie par votre assurance habitation quand la victime est le grand-père, la nounou (pour la M*), la tante (pour S*)…

4. Les risques.

Tant qu’il ne s’agit que de l’écran du vieil iphone de mamie, il est envisageable qu’on puisse s’en remettre.

Quand papy veut faire indemniser la destruction d’une grange qu’il avait oublié d’assurer, d’aucuns pourraient trouver normal qu’il n’ait pas de recours : c’est la défense moralisatrice de bien des assureurs quand ils sont visés par un recours… mais il y a un hic : la seule personne protégée en l’occurrence, c’est l’assureur de responsabilité de papa et maman, pas papa et maman. Autrement dit, papy peut parfaitement agir contre papa et maman, qui ne pourront pas appeler en garantie leur assureur. De quoi créer une bonne ambiance lors des repas de famille !

Pour que l’on comprenne bien la dangerosité d’un tel procédé, poussons le cas à l’extrême : le « worst case scenario » chez des assurés exemplaires.

Imaginons que notre adorable bambin mette le feu à la maison de tatie en jouant avec une bougie dans le salon, tandis que papa et maman terminaient le repas de famille dans la salle-à-manger (pas de débat sur le transfert de garde ou la négligence de tatie).

Tatie est assurée : son assureur de bien l’indemnise.

Subrogé dans les droits de son assurée, l’assureur de bien agit en responsabilité contre papa et maman.

L’immunité légale de l’article L. 121-12 al 3 du Code des assurances ne concerne pas les rapports collatéraux. Elle interdit seulement à l’assureur de bien subrogé de recourir contre les enfants, descendants, ascendants, alliés en ligne directe, préposés, employés, ouvriers ou domestiques et généralement toute personne vivant habituellement au foyer de l’assuré. Mais rien n’est dit sur les rapports en ligne collatérale.

Quand le domaine de l’immunité légale ne colle pas exactement avec ce qui est exclu de la définition de tiers ou d’autrui, le danger est donc entier.

Papa et maman se croient préservés grâce à leur multirisque habitation. Mais leur assureur habitation oppose la définition d’autrui (par exemple celle du contrat S*) pour échapper à toute garantie : en effet, la victime, dans les droits de laquelle l’assureur de bien est subrogé, est un collatéral. Pas de tiers, pas d’assurance responsabilité.

Ainsi, quoi qu’en pense Tatie, Papa et maman seront tenus de rembourser l’assureur de bien de Tatie sur leur propre patrimoine.

Pour conclure, la charge de la reconstruction pèse sur les parents, quand bien même tout le monde dans la famille était assuré.

5. La légalité du procédé.

Il s’agit à l’évidence d’une exclusion indirecte de garantie : par cette définition restrictive de la notion de tiers, ces assureurs excluent de la garantie responsabilité civile vie privée tout ce qui a trait au cercle familial.

Pourtant, la Cour de cassation a déjà validé le procédé dans des circonstances proches, au nom du sacro-saint principe de liberté contractuelle.

Par ce procédé, l’assureur met automatiquement hors du champ de la garantie toute une catégorie de dommages : ce n’est donc pas une exclusion mais une définition restrictive de ce qui est garanti, échappant au formalisme propre aux clauses d’exclusion (caractère formel et limité selon L. 113-1 du Code des assurances, caractères très apparents L. 112-4 dernier alinéa).

Pourtant, le Code des assurances semblerait rendre impérative la garantie de la responsabilité du fait d’autrui (article L. 121-2) mais là encore, la Cour de cassation a précisé que ce texte ne portait pas atteinte à la liberté des parties de convenir d’un champ d’application du contrat et de déterminer la nature et l’étendue de la garantie (Civ2 6/10/2011 n°10-16685).

Il n’est pas certain que la « liberté des parties de convenir du champ d’application du contrat » dont on sait pertinemment qu’il s’agit avant tout de la liberté de l’assureur de rédiger le contrat comme bon lui semble, résiste à la nouvelle vague qui, au-delà de la prohibition des clauses abusives prévues au Code de la consommation, généralise la sanction au sein de l’article 1171 nouveau du Code civil : « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par une partie, qui créé un déséquilibre signification entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

Mais quand il s’agit de s’en remettre au juge, il est certain que rien n’est certain, alors, mieux vaut agir en amont plutôt que de se plaindre en aval.

6. Les astuces pour s’en prémunir.

Les sites de professionnels de l’assurance, loin de s’émouvoir d’une telle situation, indiquent sobrement qu’il appartient à l’intermédiaire d’assurance d’attirer l’attention du contractant sur une telle définition du tiers, sous peine d’engager sa responsabilité pour défaut de conseil.

D’expérience, non seulement les agents ou courtiers n’attirent absolument pas l’attention du souscripteur sur ce point même quand ils sont parfaitement informés de la composition de la cellule familiale (ils n’ont d’ailleurs généralement pas conscience ni de l’existence de cette définition ni de son incidence sur la garantie responsabilité), mais de surcroît, il faut s’accrocher pour obtenir d’un juge (i) et le prononcé d’un principe de responsabilité, (ii) et une indemnisation à la hauteur du préjudice dans une matière où la notion de « perte de chance » conduit systématiquement nos magistrats à appliquer une décote de 40 à 80%.

La meilleure manière de se protéger reste de vérifier la définition du tiers dans son contrat d’assurance et de changer d’assureur si elle est trop restrictive…
Mais me direz-vous, le contrat parfait n’existe pas et la concurrence ne sera pas meilleure sur d’autres points...

Il reste alors une astuce a minima : écrire à l’intermédiaire d’assurance (agent ou courtier) et à l’assureur, en lettre recommandée avec accusé de réception, afin (i) de les alerter sur la composition du foyer, les risques liés et le caractère inadapté de la définition de tiers ou d’autrui à cet égard, et (ii) d’exiger une modification du contrat afin que la définition de tiers soit étendue à toute personne qui n’a pas la qualité d’assuré et qu’en conséquence, la garantie responsabilité civile « vie privée » couvre la responsabilité encourue y compris lorsque les victimes sont des ascendants ou descendants.

En effet, selon l’article L. 112-2 alinéa 7 du Code des assurances, est considérée comme acceptée « la proposition, faite par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique, de prolonger ou de modifier un contrat ou de remettre en vigueur un contrat suspendu, si l’assureur ne refuse pas cette proposition dans les dix jours après qu’elle lui est parvenue ».

Elodie Lachambre AARPI RADIER ASSOCIES 7, avenue Gourgaud 75017 PARIS Tel : 01 42 67 65 00 Site www.radier-associes.fr
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