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Reconnaissance de paternité et article 331 du code civil : la praticité au détriment de la cohérence juridique. Par Aubéri Salecroix, Avocat.
Parution : mardi 30 octobre 2018
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Le Tribunal de grande instance saisi d’une contestation de paternité et d’une demande subséquente en « établissement du lien de filiation » par le père biologique est compétent pour statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale en vertu de l’article 331 du code civil. (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 17-23.627)

Les faits sont assez banals en réalité : une femme mariée ayant accouchée d’une petite fille pendant l’union, son époux a vu sa paternité établie par le jeu de la présomption légale de l’article 312 du Code civil.

Cependant, cinq mois après la naissance, l’amant de cette femme assignait le mari et l’enfant en contestation de paternité. Il doublait sa contestation d’une demande en « établissement de la filiation paternelle ». S’il s’était contenté de reconnaître l’enfant, cette reconnaissance aurait été privée d’effet le temps de la contestation et n’aurait été pleinement efficace qu’à l’admission de sa demande. Au lieu de cela, sa requête amenait le tribunal à statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur l’attribution de son propre nom de famille à l’enfant.

Le père biologique obtint gain de cause pour l’ensemble de ses demandes en cause d’appel. Le père forma un pourvoi qui fut rejeté

L’arrêt du 3 octobre 2018 est intéressant à deux égards, tant dans ce que la Cour de cassation énonce que par ce qu’elle tait.

Le premier point concerne l’application faite par la Cour de l’article 331 du Code civil. En effet, il convient de rappel que cet article figure dans la section du Code civil intitulée « Des actions aux fins d’établissement de la filiation », et énonce que, « lorsqu’une action est exercée en application de la présente section le tribunal statue, s’il y a lieu, sur l’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et l’attribution du nom ».

La Cour de cassation, par un habile procédé en arrive à énoncer que « l’article 331 du code civil permet au tribunal saisi d’une action aux fins d’établissement de la filiation de statuer, s’il y a lieu, sur l’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et l’attribution du nom ».

Cependant, la lettre de l’article 331 à proprement parler vise spécialement les actions exercées « en application de la présente section », c’est-à-dire celles visées aux 325 à 330 : l’action en recherche de maternité ou de paternité, l’action en rétablissement de la présomption de paternité et l’action en constatation de la possession d’état. Or, la « demande en établissement de filiation » de l’amant ne reposait sur aucune de ces actions, de sorte que l’article 331 aurait du être déclaré inapplicable et les parties renvoyées à saisir le juge aux affaires familiales sur le fondement des articles 372 et suivants du code civil qui constituent le droit commun de l’exercice de l’autorité parentale.

C’est précisément sur ce texte que s’étaient fondés les juges d’appel, par excès de pouvoir et méconnaissance du texte en cause selon le pourvoi. La Cour procède donc à un glissement de fondement juridique vers l’article 331 du code civil pour sauver la solution retenue. Cette manœuvre ne s’apprécie pleinement qu’au regard du silence gardé parallèlement par la Cour sur le fondement de la demande « en établissement de paternité » du père biologique.

En effet, on peut légitimement s’interroger sur le fondement de la demande de l’amant dans la mesure où les actions des articles 325 à 330 du code civil ont été écartées.

Il ne saurait s’agir de l’article 327 du code civil, selon lequel « la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée » car ce texte est traditionnellement considéré comme une action en recherche de paternité réservée à l’enfant.

Il ne saurait davantage s’agir d’un aveu judiciaire déduit de conclusions rédigées en ce sens ainsi qu’à déjà pu le reconnaitre la jurisprudence [1]. En effet, nulle trace qu’il ait été « donné acte » de cet aveu au père biologique par la Cour, et en tout état de cause la filiation aurait alors été établie par reconnaissance et non par une « action aux fins d’établissement de la filiation » justifiant l’application de l’article 331.

Force est de conclure que l’on retombe donc dans le champ d’application de l’article 372 du Code civil énonçant que, « lorsque la filiation est établie à l’égard de l’un d’entre eux plus d’un an après la naissance d’un enfant dont la filiation est déjà établie à l’égard de l’autre, celui-ci reste seul investi de l’exercice de l’autorité parentale. Il en est de même lorsque la filiation est judiciairement déclarée à l’égard du second parent de l’enfant. / L’autorité parentale pourra néanmoins être exercée en commun en cas de déclaration conjointe des père et mère adressée au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal de grande instance ou sur décision du juge aux affaires familiales ». Les juges du tribunal de grande instance n’étaient donc pas compétents…

L’article 331 n’était dès lors pas applicable à cette demande dénuée de fondement juridique précis… Une fois de plus, la Cour de cassation n’a pas souhaité désavouer les juges du fond [2] ayant reconnu la paternité et statué sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et le nom.

Pour contestable qu’elle soit juridiquement, cette solution revêt toutefois un aspect très pratique en ce qu’elle permet au père biologique, dans la même action, de contester la filiation mensongère, d’établir sa propre filiation et d’en tirer les conséquences en matière de nom, d’exercice de l’autorité parentale et de contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant sans avoir à rechercher l’accord de la mère ni passer par le juge aux affaires familiales.

Aubéri Salecroix Avocat asalecroix.avocat@gmail.com https://www.facebook.com/Cabinet-davocat-Aub%C3%A9ri-Salecroix-1914523838761774/ Droit de la famille Droit pénal

[1Civ. 1re, 1er juill. 1981, Gaz. Pal. 1982. 1. 258 [2e esp.], note J. Massip

[2Civ. 1re, 24 oct. 2012, n° 11-22.