Village de la Justice www.village-justice.com

Covoiturage et voiture de fonction : compatibles ? Par Jérémie Jardonnet, Avocat.
Parution : mercredi 31 octobre 2018
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/covoiturage-voiture-fonction-compatibles,29859.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

L’utilisation d’une voiture de fonction pour réaliser un covoiturage peut-il être sanctionné par un employeur ?
La cour d’appel de Rennes, dans une décision du 31 août 2018, répond à cette interrogation.

La cour d’appel de Rennes a en effet jugé que le fait pour un salarié d’effectuer des prestations de covoiturage avec son véhicule de fonction, à l’insu de son employeur, expose ce dernier à un risque compte tenu de l’absence de couverture de cette activité par l’assureur et constitue une faute justifiant le licenciement (Cour d’appel de Rennes 31-8-2018, RG n° 16/05660).

La lecture de l’arrêt amène à comprendre que le licenciement a été jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse aux motifs que :

1- le salarié utilisait son véhicule de fonction, sans autorisation de son employeur, pour proposer et effectuer très régulièrement des prestations de covoiturage à destination de personnes étrangère à la société pour lesquelles il se faisait rémunérer ;

2- l’assurance automobile de l’employeur prévoyait que les véhicules assurés devaient être utilisés pour des déplacements professionnels ou privés mais ne devaient pas servir à des transports onéreux de marchandises ou de personnes, même à titre occasionnel. Ainsi, l’assurance de l’employeur ne couvrait pas le transport des personnes effectué lors des prestations de covoiturage payantes réalisées par le salarié ;

3- la plate-forme collaborative stipulait dans ses conditions générales de vente que le conducteur ne devait réaliser aucun bénéfice et devait s’assurer que son assurance couvrait bien toutes les personnes transportées et les éventuelles conséquences des incidents pouvant survenir pendant les trajets. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

4- le salarié effectuait des prestations de covoiturage payantes et réalisait donc des bénéfices, même s’il reversait une partie des sommes à des associations.

A notre connaissance, la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur cette problématique.

Comment faut-il comprendre de cette décision ?

Visiblement, la cour d’appel n’interdit pas stricto sensu à un salarié d’utiliser sa voiture de fonction pour faire du covoiturage, mais pose en revanche plusieurs conditions strictes.

Dans son pouvoir d’appréciation souverain, il n’est pas à exclure qu’un autre juge considère que le fait de réaliser un covoiturage avec une voiture de fonction, même à titre gratuit, constitue un manquement du salarié à son obligation de loyauté, justifiant une sanction disciplinaire.

Dans ces circonstances, il est vivement conseillé aux salariés de consulter à la fois leur contrat de travail, ainsi que le règlement intérieur de l’entreprise, afin de vérifier les usages qu’ils peuvent faire de leur voiture de fonction.

S’il n’existe aucune mention relative à cette question dans l’un ou l’autre de ces documents, la meilleure solution demeure d’interroger explicitement l’employeur.

La cour d’appel de Rennes indique d’ailleurs qu’il appartenait au salarié « de tirer les conséquences du silence du règlement intérieur en sollicitant l’autorisation de son employeur lequel, à cette occasion, l’aurait informé que l’assurance ne couvrait pas les personnes transportées dans un tel cadre et, par conséquent, n’aurait pas accédé à sa demande, activité qui était de toute façon interdite par le site sur lequel il était inscrit en raison de son caractère lucratif ».

Notons, toutefois, que la cour d’appel de Riom avait déjà reconnu le caractère fautif de l’utilisation du véhicule de fonction pour pratiquer du covoiturage à but lucratif (Cour d’appel Riom 13 septembre 2016, RG n° 15/02104). Les juges avaient néanmoins retenu que les faits reprochés « n’avaient pas le caractère grave et sérieux impliquant la rupture du contrat de travail », de sorte que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. Celui-ci constituait, selon les juges, une sanction disproportionnée au regard notamment de la très grande ancienneté du salarié (28 ans) et du caractère récent de sa pratique du covoiturage.

Jérémie Jardonnet Avocat au Barreau de Paris jej@jardonnet-avocat.com
Comentaires: