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Absence de surveillance du fœtus pendant l’accouchement : la position du juge administratif. Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : vendredi 2 novembre 2018
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L’interruption de l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal est un problème délicat qui peut survenir dans le cadre d’une demande d’indemnisation d’un préjudice subi lors de l’accouchement et la naissance. Un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Lyon permet de mieux cerner comment le juge administratif traite cette difficulté.

Un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon rendu le 18 octobre 2018 mérite l’attention des avocats intervenant dans le cadre de l’indemnisation de préjudices subis lors d’un accouchement car cette décision concerne le cas délicat de l’absence d’enregistrement du rythme cardiaque fœtal [1].

En effet, il n’est pas rare que l’avocat découvre des lacunes dans le tracé du rythme cardiaque du fœtus pour des raisons diverses telles que le débranchement des capteurs, l’enregistrement accidentel du rythme maternel ou une perte de signal.

Dans l’espèce rapportée, il s’agissait d’une demande d’indemnisation d’une anoxie subie lors de l’accouchement par une enfant née dans le cadre d’une grossesse gémellaire. Une surveillance du rythme cardiaque des deux fœtus a été pratiquée par enregistrement continu. En raison d’une interruption du tracé du rythme cardiaque de la première jumelle, une césarienne d’urgence a été réalisée permettant la naissance des deux enfants. Toutefois, la première enfant, née en état de mort apparente après une anoxie cérébrale, a présenté une encéphalopathie néonatale sévère conduisant à une limitation de soins avant son décès.

Un avis d’une commission de conciliation et d’indemnisation avait rejeté la demande de réparation des victimes indirectes bien qu’une contre-expertise ordonnée par cette commission ait retenu un manquement fautif à l’origine d’une perte de chance notamment le retard pris par la sage-femme à contacter le gynécologue-obstétricien pour l’informer des interruptions du tracé. Par la suite, cette solution n’a pas été modifiée par le tribunal administratif.

La cour administrative d’appel annule ce jugement au motif que :

« dans les circonstances de l’espèce et eu égard notamment au fait que la grossesse gémellaire de Mme X...était à risque et qu’elle avait été hospitalisée la veille du fait de tels risques, d’une part, l’absence de personnel soignant auprès de Mme X...entre 13 h 55 et 14 h 12, malgré ses appels faisant suite à des alertes sur les rythmes fœtaux, et, d’autre part, le retard pris par la sage-femme à contacter un médecin alors que des incohérences existaient depuis 14 h 00 dans l’enregistrement des rythmes cardiaques des deux fœtus et qu’aucun document n’a été fourni par le centre hospitalier pour justifier d’un contrôle par échographie à 14 h 15 attestant de la vitalité des deux fœtus et de la normalité des rythmes fœtaux à cet horaire, doivent être regardés comme établissant des manquements fautifs lors de la surveillance de Mme X...en salle de travail ; que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré qu’il n’existait pas de manque de diligence et d’attention lors de la surveillance de Mme X...en salle d’accouchement de nature à engager la responsabilité de l’hôpital ; »

Par ces termes, la cour administrative d’appel condamne l’hôpital pour les manquements fautifs de la sage-femme qui n’a pas informé le gynécologue-obstétricien de l’absence d’enregistrement des bruits du cœur du fœtus. Cependant, l’hôpital a présenté un moyen de défense à savoir le contrôle ponctuel de la vitalité du fœtus par échographie. Or, la cour rejette cet argument de l’hôpital faute de document dans le dossier d’accouchement qui apporte la preuve du contrôle échographique allégué.

Cette décision est intéressante d’un point de vue pratique car, lors d’une expertise médicale, il n’est pas rare que le gynécologue-obstétricien et la sage-femme soulèvent un contrôle ponctuel du rythme cardiaque fœtal qu’ils ont « oublié » de noter dans le dossier d’accouchement. Dans ce cas, pour en apporter la preuve, l’arrêt de la cour administrative d’appel exige un écrit dans le dossier médical.

A cet égard, l’article R 1112-2 du code de la santé publique précise que le dossier médical contient « les informations relatives à la prise en charge en cours d’hospitalisation : état clinique, soins reçus, examens para-cliniques » ainsi que « le compte rendu opératoire ou d’accouchement ». Ainsi le contrôle ponctuel du rythme cardiaque fœtal doit figurer dans le dossier médical pour respecter cette exigence légale. Selon l’arrêt rapporté, il devrait y figurer aussi pour apporter la preuve en cas de litige.

Il est à noter que cette solution n’est pas la même que celle de la Haute juridiction de l’ordre judiciaire. En cas d’absence d’enregistrement du rythme cardiaque fœtal, la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé dans un arrêt rendu le 13 décembre 2012 publié au Bulletin [2] :

« Qu’en statuant ainsi, alors que, faute d’enregistrement du rythme foetal pendant plusieurs minutes, il incombait à la clinique d’apporter la preuve qu’au cours de cette période, n’était survenu aucun événement nécessitant l’intervention du médecin obstétricien, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation des textes susvisés. »

Cet arrêt a été rendu au visa de l’article 1147 ancien du code civil (devenu article 1231-1 du code civil) et de l’article 1315 ancien du code civil (devenu article 1353 du code civil). Reprochant au juge du fond d’inverser la charge de la preuve, la décision de la Cour de cassation est une stricte application de l’article 1315 ancien du code civil qui dispose : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». La clinique a failli à son obligation de surveillance conforme aux données acquises de la science médicale d’où le visa de l’article 1147 ancien du code civil. Elle supporte donc la charge de prouver l’extinction de cette obligation selon le second alinéa de l’article 1315 ancien du code civil également visé par l’arrêt.

La Cour administrative d’appel de Lyon ne décide pas explicitement que faute d’enregistrement il incombe à l’hôpital d’apporter la preuve que n’était survenu aucun événement pathologique. Cependant elle arrive à un résultat similaire car elle décide que l’hôpital qui soulève un contrôle « normal » du rythme cardiaque fœtal (en l’occurrence par échographie) doit le prouver et sans document dans le dossier médical cette preuve n’est pas apportée.

En revanche, les approches des deux ordres de juridiction sont différentes ce qui s’explique par le caractère jurisprudentiel du droit administratif et l’absence d’un texte équivalent à l’article 1315 ancien du code civil.

Ces affaires des deux ordres de juridiction concernent l’interruption d’un enregistrement du rythme cardiaque fœtal en raison d’une perte de signal ce qui doit être distingué de la perte physique d’un enregistrement par exemple dans le cas d’un dossier médical égaré. En effet, la même cour administrative d’appel a décidé que la disparition du dossier médical révèle une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier [3]. Du côté de l’ordre judiciaire, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt récent du 26 septembre 2018 publié au Bulletin que la perte du dossier médical « conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés » [4].

Dans le cas spécifique de l’interruption d’un enregistrement, l’arrêt rapporté permet de mieux cerner la position du juge administratif pour ce problème récurrent des demandes d’indemnisation d’un préjudice subi lors de l’accouchement et la naissance [5].

Dimitri PHILOPOULOS Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1Cour administrative d’appel de Lyon, 6e chambre, 18 octobre 2018, arrêt n° 16LY03863

[2Civ 1e, 13 décembre 2012, pourvoi n° 11-27347

[3Cour administrative d’appel de Lyon, 6e chambre, 23 mars 2010, arrêt n° 07LY01554

[4Civ 1e, 26 septembre 2018, pourvoi n° 17-20143

[5Un survol de la jurisprudence est disponible pour les accidents d’accouchement devant le juge administratif et devant le juge judiciaire ainsi que d’autres ressources sur ce sujet