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Algérie : les cas légaux de rupture libre de la relation professionnelle, régimes et limites. Par Mehdi Berbagui, Avocat.
Parution : mardi 6 novembre 2018
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Le droit algérien admet, entre autres, deux situations manifestes, dans lesquelles il peut être mis fin à une relation professionnelle librement, sans contraintes particulières, avec une petite nuance pour les deux cas, mais pas de manière absolue comme nous le verrons.

1. Le premier cas est celui de la période d’essai dans la relation de travail.

En effet, un salarié nouvellement recruté, peut être soumis à une période d’essai, également dite « période probatoire » (probation period), prévue à l’article 18 de la Loi 90-11 relative aux relations de travail, complétée et modifiée, qui est destinée à permettre à son employeur d’évaluer ses aptitudes professionnelles et sa compatibilité avec le poste pour lequel il a été embauché.

Sa période maximale est de 6 mois, pouvant aller jusqu’à 12 mois pour les postes que le code du travail qualifie de « postes de travail de haute qualification », sans autres précisions.

Le code du travail continue en prévoyant que la rupture de la relation de travail durant la période d’essai peut être faite par l’une ou l’autre des parties librement, sans indemnités ni préavis (article 20).

Or, l’un des effets principaux d’une convention est qu’elle doit être exécutée de bonne foi. En effet l’article 107 du code civil algérien dispose à ce titre : « Le contrat doit être exécuté conformément à son contenu et de bonne foi ».

La bonne foi implique un comportement loyal du contractant et de ne pas déjouer les attentes légitimes de son partenaire par un brusque changement de comportement (ce qui est connu dans les droits anglo-saxons par l’instrument de l’Estoppel, et qui commence à intéresser la doctrine Française par plusieurs principes équivalents : principe de cohérence contractuelle, principe de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, principe de confiance légitime, etc).

Ainsi, si l’on applique ce standard général de comportement à la période d’essai, ce principe oblige l’employeur à véritablement apprécier les aptitudes de l’employé durant un temps suffisant. Toute résiliation de la période d’essai par malveillance ou légèreté blâmable peut permettre au salarié de la remettre en cause (discrimination, rupture prématurée, absence de réelle expérimentation des aptitudes de l’employé, etc). En réalité il s’agit d’une application de la théorie de l’abus de droit.

En effet un droit, quel qu’il soit, n’est jamais absolu, et sa mise en œuvre, si elle est faite avec malveillance ou dans le but de nuire à autrui, ouvre droit à indemnisation pour la victime, à charge bien entendu pour celle-ci de démontrer la mauvaise foi de l’employeur, car comme dit l’adage latin (traduit) « celui qui n’a pas de droit et celui qui ne peut le prouver sont la même chose ».

Une situation proche de la résiliation pendant la période probatoire est celle de la rétractation d’une offre d’embauche.

Ces cas sont de plus en plus portés devant les tribunaux sociaux.

Que se passe-t-il lorsqu’un employeur, après avoir décidé de son plein gré de recruter un candidat, change d’avis avant la prise de poste et refuse de « poursuivre l’aventure » avec lui ?

Nous parlons du cas où l’offre est complète (abordant le poste précis, le salaire, et la date d’entrée en fonction). Sur le plan du droit des contrats, une offre est contraignante (binding offer) pour son émetteur, lorsqu’elle est ferme (i) c’est-à-dire qu’elle ne laisse pas de doute sur sa sincérité et lorsqu’elle est précise (ii) c’est-à-dire lorsqu’elle mentionne les éléments essentiels du contrat.

Un cas que nous avons traité récemment était le suivant : un cabinet réputé d’expertise comptable est passé par une agence de recrutement afin d’embaucher un comptable-financier. Le cabinet de recrutement a approché un candidat, et suite à plusieurs entretiens avec lui, a approuvé sa candidature et l’a transmise à son client. Le cabinet d’expertise comptable convoque le candidat, et, après un long entretien, a décidé en toute âme et conscience de le recruter.

Les deux parties échangent des mails et le cabinet se félicite de l’embauche du candidat de manière claire et non équivoque, et lui envoie même un courrier électronique précisant les éléments principaux du contrat de travail qu’ils étaient censés signer dans quelques jours (salaire annuel et primes, poste, date d’entrée dans l’entreprise). Or, deux jours avant la prise de poste, le candidat reçoit un mail de l’associé-gérant du cabinet comptable, l’informant qu’en raison d’irrégularités constatées entre les informations fournies pendant la phase de recrutement et « ce qu’ils auraient découvert », ils ne pourraient pas donner suite à ce processus d’embauche.

Nous saisissons le tribunal social du lieu du cabinet d’expertise comptable, et le juge constate que le contrat de travail est juridiquement scellé puisque l’offre d’embauche est ferme et précise et que les arguments invoqués par l’employeur sont fallacieux, et octroie au salarié victime des dommages et intérêts et l’équivalent d’un mois de préavis.

En effet, il n’était pas raisonnable d’aller plus loin dans la réparation pécuniaire dans la mesure où le contrat de travail n’avait pas couru dans le temps.

2. Le second cas est la rupture du contrat d’un président du conseil d’administration ou du directeur général d’une société par actions (SPA).

Selon l’expression consacrée, ces dirigeants peuvent être révoqués « ad nutum », c’est-à-dire littéralement « par un hochement de tête ». Autrement dit simplement et sans formalités particulières.

Ainsi, les articles 636 et 640 du code de commerce algérien permettent la révocation du président du conseil d’administration et des directeurs généraux des SPAs « à tout moment » par le conseil d’administration. L’expression veut tout dire.

Il découle de ce principe trois conséquences essentielles :
- La révocation peut se faire en principe sans motifs ;
- Elle peut également intervenir sans préavis ;
- Et sans indemnités obligatoires.

La disposition du code de commerce est d’ordre public et ne permet pas d’y déroger.

Notons, en revanche, qu’il existe un Décret exécutif n°90-290 relatif au régime spécifique des relations de travail concernant les dirigeants d’entreprise, qui est de nature supplétive, car il octroie les mêmes droits et obligations à ces dirigeants que ceux des salariés "de droit commun", sauf "dispositions particulières liées au régime spécifique de sa relation de travail" (article 6 dudit Décret). Il n’y a donc pas de téléscopage direct entre la règle de la libre révocation ad nutum, et les dispositions protectrices de ce Décret, d’autant plus qu’une loi est supérieure à un décret dans la hiérarchie des normes juridiques.

Mais, comme pour la période d’essai, il faut tempérer ce principe ultra libéral, car si la révocation a été faite de manière malveillante (avec l’intention de nuire à ces personnes), ou vexatoire (large diffusion dans les médias, diffamation, etc) ou n’a pas respecté le principe du contradictoire et les droits de la défense (en ne permettant pas à ces dirigeants de s’expliquer au préalable sur les griefs qui leur sont reprochés), ils peuvent demander et obtenir réparation.

Mais, il est rare qu’un dirigeant de société par actions reparte les mains vides en pratique, car en plus du reliquat de ce qui leur est dû (jetons de présence, tantièmes et rémunérations exceptionnelles pour services et mandats particuliers autorisés par le conseil), il est fréquent de leur allouer des indemnités de départ conventionnelles qui sont assez généreuses. Les fameux « parachutes dorés ».

Mehdi BERBAGUI Avocat aux barreaux de Paris et d\'Alger http://www.terra-lex.fr/
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