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Accidents de service : une présomption irréfragable ? Par David Taron, Avocat.
Parution : jeudi 8 novembre 2018
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L’accident de service est généralement défini comme un accident qui se produit dans l’exercice, ou à l’occasion de l’exercice des fonctions. Le Conseil d’État a élargi cette définition en considérant que constitue un accident de service, l’accident survenu au cours d’une activité se situant dans le prolongement du service [1]. L’accident de service résulte de l’action violente et soudaine d’une cause extérieure provoquant au cours du travail ou d’un trajet une lésion du corps ou de l’esprit humain.

Jusqu’à il y a peu, l’accident de service était soumis à un régime juridique très différent de celui applicable à l’accident de travail pour les salariés se voyant appliquer le code du travail. En effet, là où le droit social présumait l’imputabilité de l’accident au travail, le droit de la fonction publique exigeait l’intervention de la commission de réforme pour se prononcer sur l’imputabilité.

Cette différence de régime juridique s’expliquait – peut-être exagérément – par la situation particulière des agents publics. C’est ainsi que, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la reconnaissance des maladies professionnelles (dont le régime est comparable à celui des accidents de service), le Conseil d’État a récemment rappelé que « les fonctionnaires sont dans une situation différente de celle des salariés du secteur privé ; que leur sont en particulier applicables des règles différentes en matière de droits sociaux et de congés maladie (…) ; par suite, (...) le législateur n’avait pas méconnu le principe d’égalité devant la loi » [2].

Dans le cadre de négociations conduites avec les syndicats, le Gouvernement a néanmoins décidé de rapprocher les régimes applicables aux salariés et aux agents publics. Une première étape fut franchie avec l’article 44 de l’ordonnance n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, laquelle a autorisé le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance pour « améliorer les droits et congés pour raisons de santé ainsi que le régime des accidents de service et des maladies professionnelles applicables aux agents publics ».

C’est dans cet esprit qu’a été adoptée l’ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d’activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique.

Le rapport au Président de la République établi en guise de présentation résume parfaitement le nouvel état du droit en énonçant que : « L’article 10 crée un régime de présomption d’imputabilité au service pour les accidents de service et certaines maladies professionnelles contractées dans certaines conditions. Il crée un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque l’incapacité temporaire de travail de l’agent est consécutive à un accident de service, à un accident de trajet ou à une maladie professionnelle, pour les cas où l’accident ou la maladie est reconnu imputable au service.
Le droit existant est maintenu pour les fonctionnaires blessés ou contractant une maladie, en dehors du service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans l’intérêt général, soit en exposant leur vie pour sauver celle d’une ou plusieurs personnes
 » [3]

Désormais, s’applique donc une présomption d’imputabilité qu’il sera très difficile de contester. Tant la loi qu’une première décision de justice confèrent à ladite présomption un caractère presque irréfragable.

1) L’article 21 bis de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, dans sa version modifiée par l’ordonnance n°2017-53 du 19 janvier 2017, dispose que :
« I.-Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l’incapacité permanente du fonctionnaire.

Le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif. L’autorité administrative peut, à tout moment, vérifier si l’état de santé du fonctionnaire nécessite son maintien en congé pour invalidité temporaire imputable au service.

Le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif. L’autorité administrative peut, à tout moment, vérifier si l’état de santé du fonctionnaire nécessite son maintien en congé pour invalidité temporaire imputable au service »

Cette disposition renforce indubitablement les garanties des fonctionnaires victimes d’accident imputables au service et ce, dans la mesure où :
- elle instaure d’une part un congé pour invalidité temporaire imputable au service, lequel se substitue au congé pour maladie ordinaire à plein traitement ;
- elle lie à ce congé des droits pécuniaires précis, à savoir le maintien de l’intégralité du traitement ainsi que le remboursement des soins, mais aussi une assimilation à un service effectif.

Il convient de relever que cette ordonnance rend inapplicable la jurisprudence du Conseil d’État relative à l’articulation des différents congés. [4].

Désormais, l’agent a droit à un congé spécifique – le congé pour invalidité temporaire – qui lui permet de conserver le bénéfice de son plein traitement là où, auparavant, sa situation pécuniaire était plus aléatoire.

Ce nouvel article 21 bis définit par ailleurs un régime légal de l’imputabilité au service d’un accident. C’est ainsi que le II dudit article dispose que :« II.-Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service ».

Le législateur a ici créé une présomption quasi-irréfragable, l’Administration devant, pour refuser toute imputabilité, établir l’existence d’une faute personnelle de l’agent ou toute autre circonstance particulière.

Quelques incertitudes demeurent cependant.

En premier lieu, le VI de l’article 21 bis renvoie à un décret d’application pour définir les modalités du congé pour invalidité temporaire imputable au service. Malgré tout, les dispositions de l’ordonnance étant claires quant à l’application de la présomption, son application doit être immédiatement possible.

En second, lieu, on comprend mal pourquoi les lois portant statut de la fonction publique territoriale [5] et statut de la fonction publique hospitalière [6] continuent de prévoir l’intervention de la commission de réforme pour se prononcer sur l’imputabilité. L’instauration d’un régime présomptif semble rendre inutile une telle intervention.

2) Récemment, une ordonnance du tribunal administratif de Versailles [7] a donné son plein effet à l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983.

Dans l’affaire ayant donné lieu à cette décision, il était question d’un agent ayant eu une altercation avec deux de ses collègues, sur son lieu de travail pendant les horaires de service et ce, au début de l’année 2018. A la suite de ce différend quelque peu musclé, le requérant avait immédiatement déposé plainte au commissariat de police. Puis, il avait été placé en arrêt de travail pendant quinze jours.

Le médecin expert avait par ailleurs estimé que son état psychique était directement en lien avec ses conditions de travail et l’agression subie. Malgré tout, l’employeur public avait refusé de reconnaître l’imputabilité de l’accident au service, estimant que « les éléments transmis par l’intéressé ne permettent pas d’établir un lien direct et certain avec le service ».

Compte tenu de la présomption légale exposée plus haut, la motivation retenue par l’employeur ne pouvait qu’être censurée. Et le tribunal de juger :« Dans ces conditions, X. ne peut être regardé comme ayant pris en compte la présomption d’imputabilité au service que le II de l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 institue dans de telles circonstances, lesquelles sont au demeurant caractérisées en l’espèce par une grande agressivité à l’égard de M. Y. ainsi qu’il résulte notamment de l’attestation de M. Z. en ce qui concerne l’incident survenu lors du service le 3 juillet 2017. En l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière dûment établie, les autres éléments produits à l’instance par X. ne permettent pas de contrebattre cette présomption. Ainsi, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation concernant la présomption d’imputabilité des pathologies dont souffrent le requérant est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ».

Selon le juge, et conformément à ce que semble avoir voulu le législateur, la présomption d’imputabilité s’avère extrêmement forte. Seule une remise en cause de la matérialité des faits semble pouvoir y faire échec, ce que paraît indiquer implicitement la décision ci-dessus reproduite.

Il est à parier que la solution ainsi retenue s’avère tout à fait généralisable, ce qui devrait entériner le rapprochement des régimes applicables aux différentes catégories de travailleurs.

David TARON Avocat au Barreau de Versailles

[1CE, 14 mai 2008, n°293899

[2CE, 18 mai 2018, n°416257

[4CE Sect., 18 décembre 2015, n°3741942

[5loi n°84-53 du 24 janvier 1984, article 57

[6loi n°86-33 du 9 janvier 1986, article 4

[7TA Versailles ord., 26 juillet 2018, n°1804847

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