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Licenciement discriminatoire : une responsable juridique obtient 162.000 euros aux Prud’hommes. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 16 novembre 2018
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Cette affaire est hallucinante.

Une salariée, responsable juridique de Re:Sources (Groupe Publicis) avait été licenciée, après 32 ans de services, pour avoir rétracté une offre de stage faite à une candidate.

La responsable juridique a contesté son licenciement devant le Conseil de prud’hommes.

(CPH Paris 27/07/2018)

Dans une décision du 5 avril 2018, le Défenseur des droits avait considéré que Madame X, responsable juridique, a fait l’objet d’une discrimination en raison de son état de santé et que la société a manqué à son obligation de protéger la santé physique et mentale de la salariée.

Le défenseur des droits a présenté ses observations devant le Conseil de prud’hommes (Cf. Notre article Le Défenseur des droits rend une décision constatant un harcèlement discriminatoire subi par une salariée de Publicis).

Dans un jugement du 27 juillet 2018, le Conseil des prud’hommes de Paris (section encadrement) a condamné Re:Sources (Groupe Publicis) à lui verser la somme de 162.000 euros pour licenciement nul, dommages et intérêts pour discrimination liée à l’état de santé, dommages et intérêts pour violation de l’obligation sécurité résultat.

La décision est définitive.

1) Rappel des faits.

Madame X a été engagée le 2 mai au 31 octobre 1983 par la société Régie n°1 puis à compter du 28 novembre 1983 par la société Saatchi & Saatchi Advertising, en qualité de Secrétaire du département financier en CDI.

En 1989, Madame X était promue au poste d’Attachée Juridique, coefficient 400 de la Convention Collective de la publicité.

En cette qualité, Madame X avait en charge le suivi juridique de la vie sociale de la société et de ses filiales.

En dernier lieu, une fois diplômée d’un DEA de droit privé, Madame X était employée en qualité de Responsable Juridique depuis le 1er décembre 1990, statut cadre, niveau 3.4 de la Convention Collective de la Publicité.

Madame X travaillait depuis l’âge de 17 ans et avait 32 années d’ancienneté au sein du groupe, 32 années, sans aucune interruption, hormis ses trois congés maternité, en 1986, 1992 et 1995.

Par la suite, Madame X a subi un harcèlement moral important de son employeur. De plus Re:Sources France ne respectait pas le temps partiel thérapeutique de Madame X.

2) Jugement du 27 juillet 2018 du Conseil de Prud’hommes de Paris (section Encadrement).

Le Défenseur des droits a été saisi par la partie demanderesse, ce dernier a donné un avis le 5 Avril 2018.

2.1) Sur la demande de nullité du licenciement et ses conséquences financières.

Le Conseil de prud’hommes affirme que l’administration de la preuve est l’œuvre commune de chacune des parties, mais qu’il incombe à l’employeur d’alléguer les faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et que cette lettre précise : « vous aviez pris l’habitude de vous affranchir des règles de fonctionnement de la direction juridique, vous avez fait une offre de stage a une candidate par téléphone, avant de vous rétracter le même jour. Vous avez retenu une candidature sans vous être concertée avec vos collègues. Vous avez affirmé à votre responsable hiérarchique vous être concertée avec les trois autres responsables et avoir obtenu leur accord, alors même que cela était rigoureusement faux. Vous avez persisté dans votre mensonge par écrit à votre manager et lors de l’entretien préalable. Cela ne nous permet plus de vous faire confiance ».

Le Conseil de prud’hommes relève que sont versés au débat les échanges de mails entre Madame X et ses collègues concernant le recrutement des deux stagiaires démontrant à l’évidence la validation de ses collègues concernant le choix des deux stagiaires.

Sont versés au débat les échanges de mails du 23 novembre 2015 entre la salariée et sa supérieure hiérarchique, mails relatifs à la procédure suivie par Madame X pour le recrutement des deux stagiaires.

Qu’il ressort des éléments versés aux débats que Madame X a strictement respecté la procédure de recrutement et qu’en conséquence, ce motif n’est pas fondé non plus que celui de « Mensonge caractérisé et réitèré » et d’une « perte de confiance incompatible avec la poursuite des relations contractuelles ».

Le Conseil de prud’hommes souligne aussi que l’employeur ne verse aucun élément probant pouvant étayer la matérialité des autres faits fautifs évoqués dans la lettre de licenciement en termes très généraux « vous aviez pris l’habitude de vous affranchir des règles de fonctionnement de la direction juridique ».

Qu’est versée au débat la réponse de Madame H., secrétaire générale du Groupe Publicis, datée du 8 février 2016, dans laquelle elle affirme : « Il apparait que vous n’aviez guère le sens du travail en équipe et aviez même tendance à reporter très facilement sur vos collègues les tâches qui vous incombaient ».

Le Conseil de prud’hommes relève qu’il est pour le moins surprenant qu’une salariée bénéficiant de 32 ans d’ancienneté et n’ayant jamais subi le moindre reproche, se voit ainsi brusquement licenciée pour avoir soi-disant omis de demander l’avis de ses collègues pour embaucher une stagiaire.

Il conclut qu’il apparaît à l’évidence que le motif invoqué, quoique fallacieux, ne peut expliquer seul le licenciement et que cet incident a servi de prétexte pour évincer la salariée en raison de son état de santé fragilisé.

En conséquence, le Conseil juge discriminatoire le licenciement de Madame X, en déclare la nullité et condamne la société Re:Sources à payer à Madame X la somme de 107 000€ au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

2.2) Sur la demande de dommages et intérêts pour traitement discriminatoire lié à l’état de santé de la responsable juridique.

Il ressort des éléments versés au débat que le poste de travail de Madame X n’a pas été aménagé conformément aux préconisations du médecin du travail, que l’entreprise n’a pas réagi aux différentes alertes écrites de la salariée, la maintenant sciemment dans un environnement professionnel vécu comme hostile et humiliant.

Il ressort des attestations des collègues de Madame X, que celle-ci était marginalisée dans un environnement de travail très exigeant et dès lors stigmatisant pour les salariés dont l’état de santé est fragilisé.

Il était imposé à Madame X de prendre sa journée de télétravail le mardi, alors que c’est la seule journée de la semaine ou l’ensemble de l’équipe juridique est réunie dans les locaux de la société.

Sont versés au débat le mail de Madame X à sa hiérarchie, déplorant cette absence imposée du mardi.

Est versé également le document « légal team » rempli avant l’entretien individuel, dans lequel Madame X retrace ses difficultés professionnelles depuis son retour maladie en avril 2013.

Les collègues de Madame X attestent des difficultés rencontrées en relation avec une charge de travail très excessive.

La Direction, confrontée à une importante augmentation d’activité au sein du service juridique et au temps partiel de Madame X, n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer aux salariées de ce service des conditions de travail acceptables.

En conséquence, le Conseil condamne la société Re:Sources à payer à Madame X la somme de 27.000 € au titre de dommages et intérêts pour traitement discriminatoire.

2.3) Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat.

L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

L’étude des documents transmis par son employeur concernant sa charge de travail démontrent que le poste de Madame X n’a pas été aménagé selon les recommandations du médecin du travail, sur le fondement d’une étude de son poste initial, mais en fonction des besoins de la Direction juridique confronté à un accroissement de son activité, l’employeur arguant d’ailleurs du fait que les autres salariés avaient une charge de travail bien supérieure.

Il ressort du tableau produit par l’employeur que le volume d’effectifs confiés à la salariée était de 212 salariés avant son arrêt maladie et de 578 lors de sa reprise de travail prévue à temps plein le 16 avril 2013 et ramenés à 299 dans le cadre du mi-temps thérapeutique à compter du 23 avril 2013.

Les CDD consentis à Mesdames M. et S, ainsi qu’à Monsieur G. l’ont d’abord été pour la remplacer durant ses absences, et qu’il ne s’agit pas là d’un aménagement de poste.

Le Conseil de prud’hommes relève que l’employeur ne démontre pas que les salariés embauchés en CDD ou que les stagiaires présents intervenaient sur les agences confiées à Madame X pour compenser son temps partiel ou alléger sa charge de travail.

Enfin, l’employeur n’apporte pas d’éléments probants en faveur d’une répartition de la charge de travail de Madame X entre ses collègues qui soit susceptibles d’alléger la sienne.

Les deux jours hebdomadaires de télétravail n’ont été accordés que le 26 juin 2015 alors que le médecin du travail l’avait préconisé dès le 24 avril.

Le Conseil de prud’hommes considère que la société Re:Sources échoue à rapporter la preuve de l’effectivité des aménagements de poste de Madame X, qu’elle ne justifie pas non plus avoir fait état auprès du médecin du travail de ses difficultés pour y procéder, ni conteste ses avis.
Il apparaît au vu des très nombreux mails verses au débat que Madame X a, pendant ses arrêts de travail, continué à suivre de nombreux dossiers, à se déplacer pour des réunions et à produire des analyses en respectant des deads lines.

Sa responsable hiérarchique est l’auteur de certains mails ou figure parfois en copie et qu’elle ne pouvait donc ignorer que la salariée travaillait durant son arrêt maladie.

Il n’est pas contesté que Madame X ait dû écourter de deux jours sa semaine de vacances pour participer à une réunion au sein de la société Leo Burnett.

L’employeur contrevient à son obligation de sécurité s’il exige ou s’il tolère qu’un salarié travaille alors qu’il est en arrêt maladie.

Sont versées au débat les attestations de Madame P., également responsable juridique et Madame L. lesquelles attestent de l’implication de Madame X et de ses difficultés professionnelles.

L’employeur ne justifie pas avoir répondu aux quatre alertes de Madame X concernant la dégradation de son état de santé, en avril et août 2013, mars et juin 2015.

Le Conseil de prud’hommes affirme que cela constitue une nouvelle violation de son obligation de sécurité.

Il apparaît sur le solde de tout compte un reliquat de 55 jours de congés non pris.

En conclusion, le Conseil condamne la société Re:Sources à verser à Madame X la somme de 27.000 € au titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum