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La preuve de la qualité de concubin. Par Héloïse Kawaishi, Avocat.
Parution : vendredi 16 novembre 2018
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A partir d’un arrêt rendu le 3 octobre 2018 par la Première Chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°17-13.113), le présent article vous explique comment prouver votre qualité de concubin et ainsi bénéficier du capital décès prévu conformément au contrat souscrit par votre défunte moitié.

Le présent article entend également aider les étudiants en droit à rédiger une fiche d’arrêt et préparer l’épreuve du commentaire d’arrêt.

Les faits.

Mme A, mère de quatre enfants, est décédée dans un accident d’avion. La défunte avait souscrit un contrat d’assurance prévoyance familiale stipulant, en cas d’accident, le versement d’un capital décès au profit du conjoint ou du concubin survivant et de rentes « éducation » pour ses enfants.

L’assureur refusa de régler le capital décès au profit du père des enfants, M. B. Ce dernier, qui prétendait être le concubin de la mère, assigna la compagnie d’assurance afin d’obtenir le paiement du capital décès.

La procédure.

La Cour d’appel rejeta les demandes du concubin.

Elle considéra que la preuve du concubinage au jour du décès de la mère faisait défaut. Le père des enfants, M. B, s’est alors pourvu en cassation. La Cour de cassation, confirmant l’arrêt d’appel, a rejeté les arguments du demandeur au pourvoi. L’arrêt de rejet, publié au bulletin, est l’occasion pour les juges du droit de rappeler la définition du concubinage et l’appréciation souveraine des juges du fond quant à sa qualification.

Le moyen du pourvoi.

Le concubin reprochait à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté sa demande en paiement du capital décès. Le moyen du pourvoi, selon lequel le concubinage est une union de fait qui se caractérise par une vie commune et stable entre deux personnes qui vivent en couple, était divisé en six branches. L’objectif du demandeur au pourvoi était d’établir la réalité du concubinage au jour du décès de la mère et ainsi obtenir le paiement du capital décès conformant à la clause bénéficiaire stipulée dans le contrat d’assurance.

La question de droit.

La question de droit posée à la Cour de cassation était relative à la définition du concubinage telle que prévue par l’article 515-8 du Code civil.

Les juges du droit devaient répondre à la question de savoir si les différents éléments de faits produits par le père devant les juges du fond permettaient de retenir sa qualité de concubin au jour du décès.

Le rappel de la définition du concubinage.

Dans un attendu de principe visant l’article 515-8 du Code civil, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a répondu par la négative à la question posée. Les preuves produites par M. B devant les juges du fond ne permettaient pas de retenir sa qualité de concubin au jour du décès.

Les juges du droit ont également rappelé la définition du concubinage. Ce dernier est « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes qui vivent en couple ».

La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir considéré que la vie commune des concubins n’était pas rapportée au jour du décès de la mère. Dès lors, le prétendu concubin ne pouvait pas bénéficier du capital décès souscrit par le contrat d’assurance de la défunte mère.

La difficile preuve du concubinage au jour du décès.

Le présent arrêt confirme que la qualification du concubinage relève du pouvoir souverain des juges du fond [1]. En l’espèce, la Cour d’appel avait considéré que la preuve du concubinage n’était pas rapportée au décès du concubin.

S’il est vrai que le bail avait été conclu en 1996, les avis d’échéances et factures d’électricité postérieurs reposaient simplement sur les mentions du bail. La preuve de la réalité de la cohabitation faisait donc défaut au jour du décès.

La Cour de cassation a encore confirmé l’arrêt d’appel jugeant que la production d’un contrat d’assurance conclu jusqu’en 2010 ne saurait entraîner la qualification de concubinage au jour du décès en 2009. De même, il importait peu que les bulletins de salaires et actes d’état civil mentionnaient tous une même adresse où la défunte et le prétendu concubin vivaient encore lors du décès en juin 2009. Le seul élément essentiel est de prouver le concubinage au jour du décès de l’assuré.

Les attestations produites par le demandeur au pourvoi ont posé les mêmes difficultés aux juges du fond.

En l’absence de présomption, le concubinage, si tant est qu’il soit qualifié avant le décès, doit être prouvée au jour du décès et non pas avant.

Pourquoi une telle appréciation stricte du concubinage au jour du décès ?

L’appréciation stricte du concubinage opérée par les juges du fond résultait vraisemblablement de l’existence d’une tierce personne, venue semer le trouble dans la qualification du concubinage. Plus précisément, la Cour d’appel avait relevé que les avis d’imposition du demandeur faisaient apparaître une « Madame B », du même nom que celui du demandeur… Et ce nom ne correspondait pas à celle de l’assurée défunte. Ce qui était par ailleurs juridiquement régulier puisque l’utilisation du nom d’usage est autorisée entre époux, non entre des concubins.

Pire encore, le numéro fiscal et la date de naissance de Madame B n’étaient pas ceux de la défunte. Même en l’absence d’acte d’état civil concordant, le doute était permis quant à l’existence d’un mariage encore valable du demandeur avec Mme B.

Dans cette espèce, la sévérité de la qualification du concubinage semblait donc résulter donc de l’existence de la possibilité d’un mariage encore valable entre le demandeur et Madame B.

Ainsi, la multiplicité des indices produits par le demandeur quant à la réalité du concubinage ne saurait contrebalancer le doute quant à l’existence d’un mariage toujours valable du demandeur. En somme, la Cour d’appel a effectué une sorte de pesée des éléments de preuve. L’incertitude de l’existence d’un mariage du demandeur semble avoir amoindri la force probante des autres éléments de preuve.

Autres éléments d’analyse : assurances et morale.

Deux autres éléments d’analyse méritent d’être tirés de cet arrêt.

D’une part, il convient de rappeler qu’en droit des assurances, ce contentieux n’aurait pas surgi si le bénéficiaire avait simplement été une personne déterminée, et non pas simplement déterminable. Dans un contrat d’assurance bien rédigé aurait été nommée une personne au lieu de se reporter à sa qualité.

D’autre part, une autre question, sans doute plus morale, pourrait se dégager de cet arrêt : est-il moralement acceptable qu’un homme, peut-être encore marié, puisse vivre en concubinage avec une autre femme et bénéficier de son capital décès ?

Héloïse KAWAISHI, avocat et médiateur en droit de la famille, vous accompagne dans tout le contentieux du concubinage relatif notamment à la rupture du concubinage, répartition des biens, rédaction d’une convention de concubinage. Associée fondatrice du cabinet CHANNEL AVOCAT [->heloise.kawaishi@channelavocat.com]

[1Civ. 1ère, Chambre civile 1, 28 février 2006, pourvoi n°04-13786, publié au bulletin.