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Loi Sapin 2 : comblement de passif et responsabilité du dirigeant. Par Alexandre Peron, Legal Counsel.
Parution : mardi 20 novembre 2018
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Tout dirigeant d’une société dont la liquidation judiciaire était en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, ne peut plus être condamné à supporter l’insuffisance d’actif pour avoir commis une simple négligence.

Depuis le Moyen Age, les activités de commerce ont toujours nécessité des garanties, et progressivement, les règles encadrant ces activités ont pris une place croissante.
Au fil des siècles, la sécurité et la nécessité de règles de conduite sont devenues importantes, au point qu’au IXè siècles avant J.-C., les premiers codes étaient rédigés. Mais c’est en réalité dès le IIè siècle avant J.-C. que Rome s’est imposée comme maîtresse des relations commerciales et du droit de « vie ou de mort » sur les commerçants. Petit à petit, les romains ont créé avec précision les premières règles de la « faillite ». C’est notamment le droit civil romain qui dans les lois des douze tables pose les principes fondateurs dont la procédure dite « manus injectio » qui donnait au créancier le droit de s’emparer de la personne et des biens du débiteur en cas de refus de paiement .

Les siècles ont considérablement faits évoluer cette matière fluctuante mais fondamentale.

Aujourd’hui, en France, lorsqu’une société rencontre des difficultés, elle dispose d’options diverses et d’une certaine liberté de décision ou de réponse. En effet, toute entreprise peut faire l’objet, de sa propre initiative ou sur assignation, d’une procédure collective .
Ce qu’il faut néanmoins comprendre, c’est qu’une procédure collective reste une procédure décidée par un juge afin d’organiser le paiement des créanciers d’une entreprise en difficultés, et cela même si l’entreprise concernée conserve une liberté qui se veut malgré tout très encadrée. La liberté d’expression est la première qui doit être mise en avant puisqu’il semble impératif que la société par la voix de son dirigeant puisse s’exprimer sur les circonstances ayant conduits à cette situation, mais aussi sur ses volontés. Il ressort que l’ancien droit de la faillite qui se voulait très inquisiteur, repose aujourd’hui sur une coopération entre l’autorité judiciaire et l’entreprise. Il existe trois types de procédure collective, selon le degré de gravité de la situation de l’entreprise : la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire .

La liquidation judiciaire est la procédure la plus critique puisqu’elle est décidée en dernier recours lorsque le redressement de la situation financière de l’entreprise est manifestement impossible. C’est une procédure spéciale car elle vient presque priver son dirigeant de son autonomie de gestion, et peut aboutir à des sanctions à son encontre comme notamment des poursuites pour négligence dans la gestion de l’entreprise, pouvant aboutir à une condamnation en comblement de passif.
Cette sanction doit être vue purement et simplement comme une véritable sanction patrimoniale, tendant à sanctionner le dirigeant d’une entreprise, qui ayant commis une faute dans la gestion de l’entreprise, a contribué à l’insuffisance d’actif plongeant de facto la société dans une impasse, l’ayant conduit à la liquidation .

C’est dans cet environnement complexe que la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt inédit le 5 septembre 2018, en faisant un juste rappel du principe de l’application des lois nouvelles dans le temps, principe dont ne saurait s’exonérer le domaine si particulier des procédures collectives.

I) L’application des lois dans le temps et les procédures collectives.

En droit français, toute loi nouvelle qui entre en vigueur, et ce, même si elle a le même objet qu’une loi qu’elle vient remplacer, ne trouve pas à se substituer purement et simplement à la loi ancienne. En effet, cette dernière continue de produire des effets. Si aucune disposition transitoire n’a été prévue, permettant ainsi de réaliser la transition entre les deux lois, il faut alors identifier précisément les effets juridiques de la loi nouvelle, et en particulier déterminer dans quelle mesure cette dernière trouvera à s’appliquer à des situations nées avant son entrée en vigueur.

Dans notre arsenal juridique, le code civil, nous livre le socle de base en la matière. En effet, l’article 1er dispose que :
« Les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l’entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures.
En cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l’ordonne par une disposition spéciale
 ».

Il se pose rapidement une question difficile, à savoir la question des droits acquis avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ou des dispositions nouvelles dans un domaine donné, introduites par cette loi ?
Tous les domaines du droit sont concernés, et les procédures collectives ne sont pas en reste.

Si pendant longtemps, la question est restée enfermée dans un vide juridique, c’est véritablement la distinction faite par le Doyen Paul Roubier, entre « créations » de situations juridiques nouvelles et « effets » de situations juridiques nouvelles, qui a permis à la doctrine, mais aussi à la jurisprudence et donc à la pratique, d’y voir plus clair.
En effet, au regard de cette distinction, la loi nouvelle trouve à s’appliquer de manière immédiate aux situations juridiques en cours mais dont la création n’est pas encore finalisée ; mais trouve également à s’appliquer également aux effets futurs d’une situation juridique née antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle .

Au regard de ces développements, il semble donc que toute loi nouvelle soit d’application immédiate et régisse ainsi les situations juridiques nées avant son entrée en vigueur, et ne peut être rétroactive (sauf cas spéciaux comme celui du droit pénal par exemple), ni ne porter atteinte à des droits acquis. Par contre, les effets à venir des situations juridiques hors champ contractuel, se voient appliquer les dispositions de la loi nouvelle, loi qui détermine elle-même ces effets. Toutefois, en matière contractuelle, les effets des contrats conclus avant la promulgation de la loi nouvelle, restent en principe soumis aux dispositions de la loi ancienne.

Dans cette sphère particulièrement complexe, comment savoir quelle loi est applicable et notamment dans le cadre de procédures collectives ?

La question est légitime car depuis la loi des douze tables fondant les origines de ce droit, les textes et réformes se sont succédés et multipliés, avec un accroissement remarquable du phénomène ces vingt dernières années. L’inflation des textes et des réformes s’est notamment accrue depuis 2005 avec l’instauration de la procédure de sauvegarde , sans oublier ’ordonnance de 2008 portant réforme des entreprises en difficulté , ou encore l’ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises, ou plus récemment la loi Sapin 2 s’intéressant particulièrement aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire .

C’est notamment la loi Sapin 2 qui est venu modifier un point crucial en matière de liquidation judiciaire et de comblement de passif, entrainant une application conforme de la haute cour ayant rendu son premier arrêt inédit en la matière le 5 septembre dernier.

II) La position inédite de la cour de cassation, consacrant le principe légal d’exonération du dirigeant pour simple négligence.

La chambre commerciale de la cour de cassation a rendu une décision inédite le 5 septembre 2018 dans le cadre d’une affaire que nous pourrions pourtant qualifier de « banale ».

En effet, en première instance, le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire, avait été condamné à supporter l’insuffisance d’actif de celle-ci, sur le fondement d’une négligence avérée dans la gestion de l’entreprise.

A la simple lecture des faits, rien d’anormal donc si nous nous reportons à la lettre du code de commerce qui prévoit spécifiquement que le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire peut être condamné à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif de la société s’il a commis une négligence dans la gestion des affaires de l’entreprise .

Mais qu’est-ce que le législateur entend par « négligence » et par « insuffisance d’actif » ?

Par négligence, il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une véritable faute de gestion qui est envisagée, et cette faute doit avoir contribuée de manière significative à l’insuffisance d’actif de l’entreprise se trouvant dès lors en liquidation judiciaire. Ceci est clairement précisé par le code de commerce à l’alinéa 1er de l’article L. 651-2. La ou les fautes de gestions doivent toutefois être caractérisées par le juge encadrant la procédure de liquidation.

Ainsi, toute faute de gestion caractérisée peut donner lieu à la condamnation du dirigeant à supporter l’insuffisance d’actif, et c’est uniquement dans cette hypothèse qu’il peut être condamné. L’insuffisance d’actif fait état d’un déficit financier enregistré dans les comptes de la société, mettant cette dernière dans l’impossibilité de faire face à son passif, et donc en cessation de paiement.
La recherche de la responsabilité du dirigeant sera inéluctable si la faute est caractérisée ; si la situation financière de l’entreprise étant irrémédiablement compromise, a amené le juge à prononcer l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, et si un lien de causalité existe. Nous retrouvons de manière classique le triptyque obligatoire en matière de responsabilité.
Dès lors, lorsqu’une nouvelle loi, ou des dispositions légales nouvelles viennent modifier le droit existant, nous nous retrouvons dans la situation complexe d’application de la loi dans le temps comme nous l’avons vu supra.

Dans cette affaire, ce sont les dispositions de la loi Sapin 2, entrées en vigueur le 11 décembre 2016, qui sont venues induire en erreur les juges du fond. Effectivement, ces derniers avaient considéré que l’ouverture de la procédure judiciaire avait eu lieu antérieurement à la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, et qu’ainsi en la matière le droit ancien trouvait à s’appliquer.

Or, la cour de cassation se base dans cet arrêt sur les articles 1 et 2 du code civil, afin de rappeler que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations juridiques établis avant même la promulgation de la dite loi, sauf si cette application méconnait un droit acquis.

Cette subtilité est ici cruciale. En effet, la Haute cour a considéré que le droit ancien envisage la responsabilité du dirigeant uniquement comme une potentialité. Elle en déduit que la nouvelle disposition issue de la loi Sapin 2 selon laquelle une simple négligence dans la gestion de la société ne permet pas de condamner le dirigeant à combler le passif ne va pas à l’encontre d’un droit acquis par le liquidateur judiciaire mais seulement à l’encontre d’un droit potentiel.
La position de la cour de cassation n’était dans ce cas précis, pas si simple à appréhender car en principe les lois entrent en vigueur à la date qu’elles fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication .
Dans le cas des procédures collectives, leur entrée en vigueur est le plus généralement fixée en fonction de la date d’ouverture de la procédure.
En l’espèce, la cour d’appel pensait donc à juste titre être en mesure de considérer que l’exonération du dirigeant pour simple négligence n’était pas applicable à la procédure ouverte avant l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2.

Ce qu’il faut également souligner, c’est que la cour de cassation s’est aussi appuyée sur le silence de la loi quant à la date d’entrée en vigueur de la disposition spécifique de l’exonération de responsabilité pour simple négligence. Ainsi en revenant au droit commun, visant les dispositions de l’article 1er du code civil, elle en a déduit que cette disposition entrait également en vigueur le 11 décembre 2016, et ce quel que soit la date d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.

La chambre commerciale fait une application des textes de droit commun à la lettre, tout en articulant celles-ci avec les nouvelles dispositions issues de la nouvelle loi. Cette situation met en exergue toute l’importance de la lettre de chaque texte, et notamment quand ceux-ci doivent se conjuguer avec des modifications partielles et récurrentes du droit dans lequel ils s’inscrivent. Ainsi, dans cette affaire, le droit éventuel à réparation n’était pas né avant la loi Sapin 2, et le dirigeant devait donc être exonéré de sa responsabilité.

Il convient donc d’être vigilent à la lecture des textes et en ce qui concerne les procédures collectives, une vigilance spéciale s’impose sur les dispositions du projet de loi « PACTE » puisqu’ en la matière le projet comporte certaines mesures destinées à faciliter le rebond des entrepreneurs en leur permettant de redresser ou de liquider plus rapidement leur entreprise.

Alexandre Peron Legal Counsel Avocat diplômé