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La responsabilité en droit de l’innovation technologique. Par François Campagnola, Juriste.
Parution : lundi 26 novembre 2018
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La question de la responsabilité rapportée à l’innovation technologique renvoie à deux questions principales. La première est celle de savoir comment les mécanismes classiques de la responsabilité appréhendent le domaine juridique de l’innovation technologique. En retour, elle est également de savoir dans quelle mesure le droit classique de la responsabilité peut se trouver infléchi voire transformé par le développement des technologies. Ainsi, le droit des biens comme celui de la responsabilité sont-ils aujourd’hui tout particulièrement bousculés par le dimensionnement immatériel de l’innovation technologique là où le droit classique s’est construit sur la tangibilité des choses. La seconde question renvoie à la prise en compte du caractère intrinsèquement complexe de la matière prise en tant que telle.

Cette complexité se trouve en outre augmentée par celle des modes de diffusion de l’innovation technologique qui se traduisent par une matière contractuelle particulièrement sophistiquée ainsi que par une très forte internationalité de nombre de ses composantes. Aussi, à la complexité des régimes de responsabilité qui est source de diversité se superpose celle liée à leur exercice.

I) La diversité des régimes de la responsabilité en droit de l’innovation technologique.

Dans un contexte où l’innovation technologique est, par définition, régie par une grande diversité de régimes de responsabilité, deux fils conducteurs prévalent. Tout d’abord, le régime de la responsabilité du fait des choses y prend une acuité particulière à raison des caractéristiques immatérielles de la matière. La question principale y est de savoir si le caractère essentiellement incorporel du domaine est de nature à générer un régime spécifique du fait des choses et, sinon, qu’en est-il ? Au-delà de la multiplicité des régimes de responsabilité qui s’y applique, le second fil conducteur renvoie au particularisme des mécanismes de la responsabilité numérique en tant qu’elle est aujourd’hui une composante essentielle du droit de la responsabilité appliquée au domaine de l’innovation technologique.

1) La responsabilité du fait des choses en droit de l’innovation technologique.

Le principe de la garantie des biens est un des faits marquants de l’évolution du droit contemporain. Il est le produit d’un double phénomène de socialisation du risque et de dépassement des limites de la responsabilité pour faute. Sur le fond, il a pour objectif d’éviter que le poids du dommage sans cause pèse uniquement sur la victime. Au plan juridique, le développement des technologies complexes gêne sinon empêche de déterminer la cause de nombreux dommages selon les schémas classique du droit de la responsabilité pour faute. En matière commerciale, en sont issus la garantie légale des vices cachés et le régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux.

En la matière, le droit applicable prend assise sur l’ex-article 1384, al. 1 de l’ancien code civil dont il assura d’ailleurs très largement la notoriété. Celui-ci édicte qu’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. La portée très large de cet article ne lui permit toutefois pas d’embrasser tous les types de situation de responsabilité sans cause. Aussi, droit français construisit-il en complément des régimes spéciaux de responsabilité du fait des choses sur le fondement de l’ex-article 1385 pour ce qui est des dommages animaux et de l’ex-article 1386 pour ce qui est des dommages provoqués par la ruine d’un bâtiment. Dans le prolongement, la transposition de la Directive européenne du 25 juillet 1985 introduisit en France un principe de la responsabilité du fait des produits défectueux qui vint s’insérer dans les ex-articles 1386-1 à 1386-9 du code civil et dont le code de la consommation tira la notion de conformité des produits et des services.

A défaut de règles spéciales de garantie applicables aux biens incorporels, ce sont les règles applicables aux biens corporels qui régissent le domaine de la responsabilité de l’innovation technologique. En vue d’établir une correspondance qui tienne compte des spécificités de l’immatérialité du bien, le droit applicable procède en recourant au raisonnement par analogie. Lorsque les éléments de dissemblance ne sont pas trop marquants, ce raisonnement permet de soumettre aux mêmes règles de droit des situations distinctes en trouvant dans les règles en vigueur une solution juridique au problème de droit nouvellement posé. Il revient au juge d’opérer cette opération analogique.

En matière de responsabilité du fait des choses, cette opération translative bute néanmoins sur la différence de substance des biens immatériels et des biens matériels. En effet, le primat de la fonction de délivrance de la chose dans la garantie des vices cachés comme dans la responsabilité du fait des produits défectueux qui prévaut dans le commerce pour les biens corporels bute, pour ce qui est du domaine incorporel, sur le fait que l’appréciation qui en faite l’est sur la base de la prise en considération de l’aspect matériel des choses. Or, par définition, les biens immatériels ne disposent d’aucune apparence physique permettant de mener à bien cette opération translative. La dissemblance est donc ici très prégnante.

Afin de surmonter cette difficulté, doctrine et jurisprudence établissent une distinction entre, d’une part, le vice matériel de la chose s’analysant comme une défaillance technique et, d’autre part, le vice juridique reposant sur la défaillance d’un droit sur la chose. Dans ce dernier cas, le vice peut affecter l’origine d’un droit indépendamment de l’origine matérielle de la défaillance. Il en résulte l’irruption, dans le champ de la responsabilité des biens incorporels, de la notion de vice juridique inconnue en droit des biens corporels.

Dans ce cadre, le domaine des spécificités de la responsabilité du fait des choses varie également en fonction des domaines incorporels d’application. Dans le cas des œuvres de l’esprit dont on n’attend aucun effet technique, il ne saurait y avoir de vice matériel en dehors de ceux affectant leur support matériel. En matière de marque, il n’existe pas de vice du signe susceptible de rendre la chose en question impropre à l’usage auquel on la destine. Seule existe une fonction technique distinctive de la marque qui ne doit pas lui être confondue et dont il résulte que les vices opposables sont exclusivement ceux tenant, non à la marque prise comme telle, mais au droit de propriété sur la marque. Ceci renvoie donc à la notion de vice juridique.

En droit de la propriété industrielle, la défaillance matérielle de l’invention se mesure au caractère imparfait du résultat technique de l’invention. Celui-ci n’étant pas un obstacle à la brevetabilité, il ne saurait, sauf clause contraire, engager la responsabilité de son auteur vis-à-vis du cessionnaire. Le résultat technique de l’invention ayant un caractère juridiquement aléatoire, le bon fonctionnement du prototype n’est en effet, à cet égard, souvent pas garanti. A l’inverse, le caractère industriel et technique de l’invention en étant une des conditions d’existence, le défaut de caractère industriel et technique peut constituer une cause de responsabilité à l’encontre du cessionnaire. Enfin, la responsabilité du cédant ne pouvant, sauf clause contraire, aller au-delà de la technique garantie par le brevet, le vice technique de l’invention est un vice de conception et non un vice de fabrication et doit être suffisamment grave pour qu’une simple remise au point du cédant ne puisse en venir à bout.

Le vice juridique du brevet renvoie à la validité du titre de propriété sur l’invention et non à l’invention elle-même. Il en est ainsi principalement dans deux cas postérieurement à la délivrance du titre. D’une part, lorsque la reconnaissance juridique de l’invention par le brevet se heurte à l’ordre public. D’autre part, lorsque l’invention en question ne satisfait finalement pas, à l’issue d’une instance judiciaire, aux exigences de la brevetabilité. Dans tous les cas, il y a vice juridique de l’invention dès lors que le résultat produit par le droit sur l’invention cédée ne répond pas à ce qui a été conclu. La question de la responsabilité y est alors celle d’une responsabilité contractuelle simple du titulaire du brevet à l’égard du cessionnaire de brevet.

2) Le caractère protéiforme de la responsabilité numérique.

Le droit de la responsabilité numérique est tout d’abord protéiforme par la très grande diversité des enjeux juridiques qui s’y greffent. Il en est ainsi parce que le numérique renforce considérablement la capacité comme la liberté d’action. Il en est également ainsi parce que s’y agrège une démultiplication des possibilités d’utilisation des données du fait même de la puissance de calcul du numérique. Dans ce cadre, le droit commun continue toutefois à s’appliquer lorsque les règles dégagées pour les anciens moyens de communication se prêtent aux nouveaux moyens de communication.

Ainsi en est-il d’une manière générale de l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 par lequel la liberté d’expression et d’information s’exerce librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Il existe également aujourd’hui un droit de la responsabilité pour injure et pour diffamation sur internet. De manière plus spécifique, la jurisprudence est à l’origine de l’émergence d’un droit à l’anonymat et à l’oubli numériques. La sphère de la communication numérique a également généré les délits de manquement à la sécurité des traitements de données personnelles, de vol de données numériques, de contrefaçon numérique ou encore d’escroquerie commis à l’aide du numérique qui font l’objet de traitements spécifiques. Dans un arrêt du 5 février 2014, la Cour d’appel de Paris a ainsi considéré que, du fait des spécificités du numérique, il pouvait y avoir vol de données quand bien même la victime n’en est pas véritablement dépossédée.

En matière contractuelle, les règles de droit commun s’appliquent avec des adaptations à la nature particulière des contrats de communication numérique ou passés en la forme numérique comme à raison des professions numériques engagées. Dans le premier cas, la loi du 13 mars 2000 tout comme celle du 21 juin 2004 ont introduit un régime numérique de la forme des actes par lequel l’écrit sur support numérique a la même force probatoire que l’écrit sur support papier dès lors que la personne de son auteur est bien identifiée et que l’acte peut être conservé de manière qui en garantisse l’intégrité. Il y a également aujourd’hui reconnaissance de la signature électronique. En complément, l’ordonnance du 16 juin 2005 fixe le régime des contrats commerciaux conclu par voie électronique.

Dans les rapports entre professionnels et consommateurs, le droit du contrat numérique obéit aux règles des articles L. 111 et L. 121-17 du code de la consommation régissant le domaine de l’information précontractuelle du consommateur. Ces informations doivent porter sur les caractéristiques essentielles du produit ou du service, son prix et faire état du droit de rétractation applicable. Il en ressort également que l’offre de biens et de services par voie électronique engage l’offrant tant qu’elle est accessible et pendant tout le temps de son accessibilité en ligne. En matière de logiciels, le régime de la responsabilité contractuelle applicable est moins strict pour le vendeur dans la mesure où ne pèse pas sur lui de responsabilité pour vice caché. Outre la difficulté à les déterminer, il n’y a en effet pas de garantie des vices cachés dans les contrats d’entreprise ou de communication de savoir-faire qui sont les principaux contrats utilisés en la matière.

A raison du statut des professions numériques contractantes, la responsabilité est celle des fournisseurs respectivement d’accès à internet, d’hébergement de contenus, de services intermédiaire et d’intermédiation ainsi que celle des différents prestataires de services à la communication numérique. Le fournisseur d’accès offre au public un service de connexion internet au moyen de contrats d’abonnement spécifiques pour lesquels il engage sa responsabilité contractuelle. Il bénéficie par ailleurs d’un régime spécial qui l’exonère de toute responsabilité pénale relativement au caractère illicite des activités et des contenus générées sur internet sauf lorsqu’ils ont été dûment sélectionnés ou modifiés par lui. Sa responsabilité est donc essentiellement contractuelle et limitée aux questions d’accès à internet. Dans ce cadre, cette responsabilité a néanmoins évolué. Dans un premier temps, le développement d’internet se heurtait à des difficultés techniques dues notamment à l’instabilité des réseaux. Ne pesait alors sur le fournisseur d’accès qu’une obligation de moyens. Aujourd’hui que les technologies sont davantage maîtrisées, cette responsabilité de moyens est devenue une responsabilité de résultat sauf force majeure ou faute de l’abonné.

Le principe de la neutralité numérique du fournisseur d’accès quant aux contenus véhiculés sur internet est enfin aujourd’hui en voie de remise en cause. Le fournisseur d’accès est tout d’abord tenu d’une double obligation légale de conservation des données afin de les communiquer aux autorités judiciaires et de blocage d’accès aux diffusions illicites. Dans la mesure où il n’est pas soumis à une obligation générale de surveillance des informations transmises ou stockées, la responsabilité pénale de l’hébergeur numérique ne peut être engagées lorsqu’il n’a pas connaissance du caractère illicite des informations stockées. Au-delà, pèse toutefois sur le fournisseur et l’éditeur de contenus en ligne une responsabilité délictuelle pour l’information produite sur internet. Ici, leur responsabilité n’est en effet pas technique mais bien intellectuelle lorsqu’ils ont la maîtrise des contenus numériques diffusés.

II) Les facteurs de complexification du régime de la responsabilité en droit de l’innovation technologique.

Au-delà de la complexité intrinsèque au domaine de la responsabilité en matière d’innovation technologique, les deux facteurs aggravants de complexité tiennent à la structure de nombre des contrats afférents ainsi qu’à la présence fréquente d’éléments d’extranéité dans un grand nombre de situations où l’innovation technologique est en cause. En matière contractuelle, le champ de la responsabilité est rendu très complexe en présence de contrats d’ingénierie et de transferts de technologie qui sont eux-mêmes d’autant plus complexes qu’ils sont intégrés ou qu’ils procèdent par empilement contractuel. Dans le second cas, le domaine de l’innovation technologique présente, dans un contexte de globalisation croissante, les caractères d’une transnationalité poussée qui introduit de nombreux éléments d’extranéité venant se greffer à la complexité d’ensemble.

1) Contrats complexes : le régime de la responsabilité contractuelle en matière d’ingénierie et de transferts de technologie.

Les contrats d’ingénierie et de transferts de technologie sont dominés par une variété de régimes juridiques de responsabilité distincts en fonction du statut des personnes concernées et de la nature des obligations souscrites. Concernant les personnes, deux régimes dominent qui sont ceux respectivement du maître d’ouvrage et du maître d’oeuvre. Ce dernier peut être, selon les cas, une société d’ingénierie ou un ensemblier, d’une part, ou un sous-traitant ou un simple assistant technique, d’autre part. A raison des obligations en cause, sont tout d’abord concernées les obligations commerciales classiques de livraison de la chose et de paiement du prix ainsi que les responsabilités pour défaut de conformité et pour retard de livraison de la chose due. S’y adjoignent deux éléments d’une première complexification lorsqu’il y a pluralité des prestataires engagés ou un ou plusieurs éléments d’extranéité au sein de la relation contractuelle. Ainsi en est-il tout particulièrement en cas de transfert international de technologie.

Dans ce cadre, les responsabilités respectives du maître d’œuvre et du maître d’ouvrage procèdent tout d’abord des obligations classiques souscrites que sont l’obligation de livraison de la chose en contrepartie de l’obligation de son paiement au prix fixé. S’y adjoignent les obligations de coopération, de loyauté contractuelle et de discrétion. Le non-respect des obligations du maître d’ouvrage est de nature à décharger partiellement voire totalement le maître d’œuvre de ses propres défaillances contractuelles. En la matière, l’obligation de coopérer du maître d’ouvrage est une obligation d’informer le maître d’œuvre qui ne doit pas se traduire par une immixtion fautive dans l’activité du maître d’œuvre. L’obligation de loyauté est une condition de réalisation du contrat existant à tous les stades de sa formation à son exécution voire au-delà lorsque l’obligation de garantie est en jeu. Enfin, le maître d’ouvrage peut également être tenu par une obligation spécifique de secret concernant les procédés et les techniques apportées par le maître d’œuvre. En la matière, il y a en outre souvent des clauses de confidentialité supplémentaires stipulées au contrat. Enfin, les contrats en question peuvent également contenir des clauses élusives ou limitatives de responsabilité au profit du maître d’œuvre.

Lorsque rien ne vient juridiquement entravé l’action du maître d’œuvre, celui-ci est tenu de livrer la chose en conformité avec le contrat et en temps. Dans ce dernier cas, un contrat fait quasiment toujours l’objet d’un ou plusieurs échéanciers générateurs, sauf force majeure, de pénalités de retard et de responsabilité en cas de non-respect. A cela, peut s’ajouter une mise en cause de la responsabilité pour défaut d’exécution du contrat lorsqu’il en résulte des effets préjudiciables en chaîne. En outre, dans l’exécution du contrat voire dans sa conception même, le maître d’œuvre est tenu d’un certain nombre d’obligations qui sont les obligations de compétence, de diligence, de conseil, d’assistance technique et de fourniture de matériels. Dans le premier cas, un arrêt 1er juillet 1975 de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a reconnu la responsabilité pour faute de l’entrepreneur ne disposant pas de la compétence nécessaire pour ne pas avoir eu recours à un spécialiste qui aurait permis d’éviter l’erreur commise. Dans le cas d’un contrat de transmission de procédé, la responsabilité du maître d’œuvre est enfin une responsabilité de résultat sur le livrable et de moyens pour ce qui est de la valeur industrielle et commercial du bien transmis.

A ces responsabilités viennent se greffer celles de l’ensemblier. L’ensemblier est celui qui incarne le mieux le caractère collaboratif de l’économie de la connaissance dans laquelle s’insèrent les contrats d’ingénierie et de transferts de technologie. Il en est ainsi parce qu’au-delà du transfert de biens technologiques, l’ensemblier est garant d’un transfert de savoir-faire industriel et technologique multidimensionnel sans lequel le bien technologique livré peut devenir inopérant. C’est notamment le cas dans les contrats de livraison d’ensembles technologiques clés en main ou produits en main. La responsabilité de l’ensemblier se trouve alors démultipliée par rapport à celle du maître d’œuvre classique. Il en est d’autant plus ainsi que la responsabilité de la société d’ingénierie peut aller jusqu’à couvrir la phase des essais technologiques qui transforme le contrat d’ingénierie en un contrat de performance technologique soumis à des régimes d’assurances spécifiques.

Compte tenu de la complexité des mécanismes technologiques à l’œuvre, le contrat technologique constitue également une chaîne d’opérations contractuelles se caractérisant par un appel fréquent à la sous-traitance et aux contrats d’assistance technique afin d’en maîtriser chacun des aspects pris séparément. Il en résulte une grande diversité de mécanismes ad hoc de mise en cause des responsabilités. En cas de pluralités des co-contractants principaux, la responsabilité de chacun d’eux vis-à-vis du maître d’ouvrage se trouve complexifiée en raison de l’imbrication fréquente des rôles à l’intérieur d’un marché technologique complexe dont il résulte des difficultés à imputer individuellement les défaillances possibles. Sauf clause contractuelle contraire ou faute commune, il n’y a toutefois généralement pas de responsabilité solidaire. En cas de faute commune, par contre, avant de tout départage de responsabilité individuelle, le principe de la responsabilité solidaire au prorata du niveau de prestation de chacun joue au bénéfice du maître d’ouvrage.

En droit français de la sous-traitance technologique et industrielle, la responsabilité en cause peut aussi être une responsabilité délictuelle. Il en est ainsi pour le maître d’ouvrage lorsqu’il n’agrée pas le sous-traitant. Il en est ainsi également pour le sous-traitant dans ses rapports avec le maître d’ouvrage en cas de défaillance contractuelle. Il y a également un principe de responsabilité délictuelle possible du sous-traitant envers les tiers et de l’entrepreneur à l’égard des mêmes tiers ainsi que des sous-traitants entre eux. A cet égard, une décision 28 novembre 2001 de la Cour de cassation a posé le principe de la responsabilité délictuelle du fournisseur du sous-traitant à l’égard du maître d’ouvrage. Le contrat d’assistance technique présente enfin certaines spécificités propres en termes de responsabilité.

2) Élément d’extranéité : les règles de droit international privé applicables au domaine de l’innovation technologique.

En présence d’un élément d’extranéité dans un litige de droit de la propriété industrielle, il y a potentiellement autant de droits applicables que de systèmes juridiques impliqués. A cet égard, le caractère très incomplet de la Lex mercatoria internationale en droit de la propriété intellectuelle constitue un obstacle à l’unification normative au profit d’un éclatement national des droits applicables. Il en est ainsi en droit d’auteur et en droit des marques tout comme en droits des brevets et du savoir-faire. Dans ce cadre, il existe des droits de propriété industrielle nationaux qui produisent des effets juridiques à l’étranger tout comme il existe des droits de propriété industrielle acquis à l’étranger à faire valoir sur un autre territoire national. Il en résulte donc des disparités nationales de traitement des droits de propriété industrielle sur un même territoire.

En cas de litige, l’impératif premier est de déterminer la loi compétente. En la matière, il se dégage de la pratique internationale tout comme des nombreuses jurisprudences nationales une priorité accordée à la Lex loci protectionis tant en droit d’auteur qu’en droit de la propriété industrielle. Il s’agit de la règle par laquelle le droit subjectif découlant de l’octroi d’un brevet ne produit ses effets que sur le territoire de l’État qui l’attribue. En droit de la propriété industrielle, le principe de la Lex loci protectionis est relativement récent puisqu’il fut dégagé par la Cour fédérale allemande simplement en 1968 dans un arrêt Voran. Par ailleurs, en dehors des quelques cas des brevets régionaux, la pratique montre donc, d’une part, que le champ d’application spatiale des droits de propriété industrielle se limite au territoire de l’Etat qui les attribue. Il en est d’autant plus ainsi, d’autre part, que les droits de propriété intellectuelle affectent directement le jeu de la libre concurrence et, à travers lui, les économies nationales.

En droits conventionnels des marques comme des brevets, il existe toutefois des protections extra-territoriales au-delà des frontières de l’État d’origine. Il en résulte que certains aspects du droit de la propriété intellectuelle sont soumis à la Lex originis par laquelle un droit du pays d’origine produit certain de ses effets dans d’autres pays. Ainsi en est-il tout particulièrement en droit d’auteur et en droit des marques lorsque les considérations de police et d’ordre public de l’État du Fort ne viennent pas en entraver la solution. En droit des brevets, il résulte de l’article 4 de la Convention de Paris de 1883 constamment actualisée depuis que l’évaluation de la régularité d’un dépôt doit être faite au regard des règles de son pays d’origine. La compétence Lex loci protectionis est également écartée au profit de la loi du lieu contrat de travail lorsque l’inventeur est un salarié. En droit du brevet européen, le droit applicable à l’invention du salarié est celui de l’État sur le territoire duquel le salarié exerce son activité principale ou de l’État du territoire du lieu de domiciliation de l’établissement de l’employeur.

Par ailleurs, les domaines respectivement des obtentions végétales et des savoirs traditionnels obéissent aux mêmes règles de compétences territoriales et connaissent les mêmes infléchissements qu’en droit des brevets. Pour ce qui les concerne, les droits sur les topographies de produits semi-conducteurs ont un champ d’application territorial qui permet, dans un certain nombre de cas, l’exercice alternatif des compétences de la Lex loci protectionis et de la Lex origines. Les fabricants de bases de données peuvent également faire valoir la Lex originis au détriment de la Lex loci protectionis sur le territoire de l’Union européenne en cas de réciprocité.

Enfin et peut-être surtout, l’ubiquité d’internet et l’universalité de sa portée mettent irrémédiablement en cause la territorialité des espaces physiques d’usage des biens intellectuels. Il en résulte, par exemple, en droit des marques que l’utilisation d’un signe distinctif sur internet devrait en théorie se conformer aux lois de quasiment tous les pays du monde. Pour parer la grande difficulté pratique qui en résulterait, il fut décidé en 2001 à l’Assemblée générale de la Convention de Paris que l’utilisation d’un signe distinctif de commerce sur internet entraînait la compétence d’une loi nationale que pour autant qu’il y ait des effets commerciaux sur son territoire. En droit des brevets, le cas peut également se trouver poser de la publicité en ligne sans le consentement du titulaire de droits. En la matière, il devrait donc en découler un principe selon lequel l’application de la loi nationale est subordonnée à l’existence d’un lien effectif de rattachement entre le brevet et le pays en question.

Du point de vue du droit conventionnel, on rappellera tout d’abord que le domaine du conflit de lois est régi par le Règlement Rome I en matière contractuelle et par le Règlement Rome II en matière extra-contractuelle. De son côté, le domaine des conflits de juridictions est régi par le Règlement de Bruxelles 1. Dans ce dernier cas, on soulignera également qu’il y a aujourd’hui recherche de concentrations juridictionnelles pour éviter un éclatement des compétences des juridictions. En la matière, divers outils existent qui permettent d’encadrer le traitement par les États des questions de compétence juridictionnelle. Il s’agit principalement du Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2001 dit Règlement de Bruxelles 1I sur la compétence judiciaires et l’exécution des décisions civiles et commerciales au sein de l’Union et du Règlement n° 2100/94 portant plus spécifiquement sur les obtentions végétales.

Pour ce qui est du domaine juridictionnel, il en résulte une double compétence possible des juridictions du lieu du domicile du défendeur et du lieu du fait dommageable. La première est la solution de conflit de juridiction la plus usitée dans la plupart des droits nationaux du monde. Il en est ainsi parce que cette règle de conflit a un double objectif de protection du défendeur en lui évitant d’avoir à subir un litige dans un pays autre que celui de sa résidence habituelle mais également du demandeur qui peut compter sur les facilités d’exécution de la décision judiciaire. Au cas où il y aurait par ailleurs plusieurs défendeurs, des actions groupées peuvent également être introduites auprès du tribunal du lien juridique le plus étroit.

En pratique, il y a difficulté d’exercice accrue et sécurité juridique amoindrie lorsque la compétence juridictionnelle n’est pas celle de la juridiction de la Lex loci protectionis mais celle du lieu du fait dommageable. Il en est particulièrement ainsi pour les produits ou les procédés technologiques protégés par la loi nationale du pays de leur enregistrement qui génèrent production, reproduction ou distribution dans des pays tiers. Il y a en effet ici concurrence entre les juridictions loci protectionis et le nombre potentiellement important des juridictions des lieux des faits dommageables. Dans le cas européen, le jeu des concurrences juridictionnelles se trouve néanmoins réduit par la limitation opérée par l’article 5, par. 3 du Règlement de Bruxelles 1 de la compétence juridictionnelle du lieu du fait dommageable aux seuls domaines mettant en cause la responsabilité du défendeur avec pour conséquence l’exclusion des domaines touchant à la matière contractuelle. A cela vient s’ajouter les possibles restrictions mises à l’appréhension des dommages à prendre en considération.

Enfin, la question des rattachements juridictionnels possibles se complique ici aussi avec les réseaux en ligne. En la matière, il est néanmoins possible de recourir à la jurisprudence allemande Hotel Maritim de détermination du rattachement en fonction de l’étroitesse des liens recherchés dans le pays en question. En matière de savoir-faire, un élément d’extranéité peut également s’insérer dans un litige relatif au savoir-faire. On rappellera simplement ici que le droit international privé du savoir-faire obéit aux règles du droit commun du droit international privé de telle sorte que les solutions valant en droit international privé du brevet ne sont pas forcément transposables telles quelles.

En matière de litispendance et de connexité, le Règlement de Bruxelles 1 a introduit un principe général de prévention de juridiction qui a valeur obligatoire en matière de litispendance en raison de l’inefficacité de la litispendance étrangère et valeur facultative en matière de connexité. De ce principe, il résulte que le tribunal saisi de l’action en second suspend d’office l’instance jusqu’à ce que la compétence de la juridiction saisie la première soit déterminée. Lorsque cette compétence est déterminée, la seconde juridiction saisie se déclare alors incompétente au profit de la première. Pour pertinent qu’il soit, ce procédé procédural n’en nourrit pas moins un certain nombre de difficultés.

Ainsi en est-il lorsque son usage dans un pays B permet au défendeur de l’action en contrefaçon de brevet de repousser le moment où sa responsabilité doit se trouver engagée dans le pays A compétent pour en juger. En matière de référé dont le rôle en droit de la propriété intellectuelle n’est plus à démontrer, la difficulté réside enfin dans les disparités de situation entre pays dont certains, comme les Pays-Bas, n’exigent pas de recours au principal dans un délai imparti.

François Campagnola Juriste d'entreprise