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Salariés, sachez obtenir le paiement de votre indemnité pour travail dissimulé. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : lundi 26 novembre 2018
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Alors que le Gouvernement annonce la fin des cotisations salariales sur les heures supplémentaires dès le 1er septembre 2019, de très nombreux salariés continuent de ne pas être rémunérés des heures supplémentaires qu’ils effectuent en entreprise. Pendant du contentieux des heures supplémentaires, l’indemnité pour dissimulation d’emploi équivalente à 6 mois de salaire mérite d’être connue et maîtrisée par le salarié qui réclame le paiement de ses heures supplémentaires.

La dissimulation d’emploi définie à l’article L.8221-5 du Code du travail consiste pour l’employeur à se soustraire volontairement à ses obligations :
- de déclaration sociale et fiscale (dont déclaration préalable à l’embauche),
- de délivrance d’un bulletin de paie,
- ou à remettre un bulletin de paie dissimulant le nombre d’heures réellement effectuées,
- ainsi qu’à son obligation de déclaration des salaires et de règlement des cotisations sociales assises sur les salaires.

A la condition de prouver l’intention de l’employeur de dissimuler les heures de travail réellement effectuées par le salarié, celui-ci peut obtenir en justice une indemnité forfaitaire pour dissimulation d’emploi égale à 6 mois de salaire prévue par l’article L.8223-1 du Code du travail.

Dans les faits, si le paiement des heures supplémentaires est bien admis par les Juges, (en savoir plus à ce sujet dans un précédent article), il est plus difficile pour le salarié de faire condamner l’employeur pour dissimulation d’emploi.

En effet, le salarié doit nécessairement établir que l’employeur a soustrait intentionnellement ses heures de travail.

Or la seule preuve des heures supplémentaires non payées ne suffit pas pour les Juges à prouver l’intention de l’employeur de se soustraire à ses obligations de déclaration auprès des organismes sociaux et fiscaux.

Et ce malgré que les Juges considèrent que les heures supplémentaires ont été effectuées avec l’accord implicite de l’employeur sans exiger du salarié qu’il justifie d’une demande expresse de son employeur (notamment Cass. Soc. 7 février 2018 n°16-22964).

Dès lors, comment les salariés peuvent-ils prouver l’intention de l’employeur de dissimuler leurs heures de travail réellement effectuées et obtenir l’indemnité forfaitaire substantielle équivalente à 6 mois de salaire brut ?

L’analyse des décisions rendues en 2017 et 2018 permet de mieux cerner les exigences des Juges.

I. Les indices matériels qui font directement preuve de l’intention de l’employeur de dissimuler les heures supplémentaires du salarié.

1/ L’absence ou la tardiveté de la déclaration préalable à l’embauche du salarié par l’employeur.

L’employeur qui procède tardivement à la déclaration d’embauche du salarié manifeste nécessairement pour les juges une intention de dissimuler les heures de travail du salarié :
« Attendu que pour débouter le salarié de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient que le salarié ne produit aucun élément permettant d’établir que, tant au niveau de l’embauche que des heures de travail, l’employeur ait eu une volonté de dissimulation ;

Qu’en statuant ainsi, sans analyser le courrier de l’URSSAF daté du 29 février 2012 produit par le salarié faisant état d’une embauche du 21 juin 2010 ayant fait l’objet d’une déclaration d’embauche le 6 septembre 2010, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du textes susvisé ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu’il déboute le salarié de… son indemnité pour travail dissimulé » [1]

2/ La dissimulation par l’employeur du relevé électronique des heures de travail.

L’intention de dissimuler est caractérisée pour les Juges lorsque l’employeur dissimule le temps de travail enregistré sur un chronotachygraphe (appareil électronique qui enregistre la vitesse, le temps de conduite et les activités, travail, disponibilité et repos des chauffeurs) :
« Attendu que la Cour d’Appel… a constaté que l’employeur corrigeait lors de l’établissement des bulletins de paye les temps enregistrés sur le chronotachygraphe et avait sciemment omis de régler toutes les heures de travail effectuées par le salarié ; qu’elle a par là même caractérisé l’élément intentionnel du travail dissimulé » [2].

De même pour le salarié qui doit respecter un système de badgeage mis en place par l’employeur qui lui ne règle pas corrélativement ses heures supplémentaires :
« Attendu que pour débouter la salariée de sa demande d’indemnité au titre du travail dissimulé, l’arrêt retient que la dissimulation d’emploi… n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué, qu’une telle intention ne peut se déduire de la seule absence de cette mention sur les bulletins de paie ;

Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la salariée qui soutenait que l’employeur avait nécessairement connaissance de l’accomplissement d’heures supplémentaires en raison de l’existence d’un système de badgeage et de l’organisation du travail qu’il avait mise en place, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais uniquement en ce qu’il déboute Mme X... de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 17 décembre 2015... » [3].

Et dans le même sens :

« Mais attendu que la cour d’appel qui,… a relevé que durant plusieurs années, l’employeur qui connaissait parfaitement les heures de travail effectuées par son salarié puisqu’il disposait des relevés de badgeage, avait mentionné sur le bulletin de paie de ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement exécuté, a par là même caractérisé l’élément intentionnel du travail dissimulé » [4].

En conclusion, l’intention de dissimuler les heures de travail du salarié découle nécessairement :
- Du retard dans la déclaration d’embauche et bien entendu en l’absence de déclaration d’embauche du salarié ;
- Lorsque le temps de travail du salarié est matériellement vérifiable sur un appareil électronique badgeage, chronotachygraphe, pointeuse horaire, logiciel de gestion de temps etc. et que l’employeur ne règle pas au salarié toutes les heures de travail matériellement établies.

Quels sont les autres comportements frauduleux plus complexes de l’employeur démontrant son intention de dissimuler les heures de travail des salariés.

II. L’intention de dissimuler les heures de travail du salarié découlant des conditions irrégulières de travail.

1/ Lorsque le salarié employé à temps partiel justifie d’un travail à temps plein.

Le salarié qui a signé un contrat de travail à temps partiel avec l’employeur et qui établit que son temps de travail est à temps plein justifie pour les Juges de l’intention de l’employeur de dissimuler ses heures de travail :

Dans cette affaire, l’employeur contestait l’arrêt de la Cour d’Appel de Douai du 28 octobre 2016 qui avait condamné l’employeur, une commune, pour travail dissimulé aux motifs que :
« La commune qui a volontairement dissimulé pendant plusieurs années une partie du temps de travail effectué par le salarié employé à temps plein et non à temps partiel comme mentionné sur les contrats et bulletins de salaire sera en conséquence condamnée à payer l’indemnité prévue par l’article L.8223-1 du Code du travail soit 14 729,58 € (2 454,93 € x6) ».

Saisie du pourvoi de l’employeur, la Cour de Cassation le rejette confirmant l’arrêt d’appel aux motifs que :
« La Cour d’Appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a relevé que l’employeur avait volontairement dissimulé pendant plusieurs années une partie du temps de travail effectué par le salarié à temps plein et non à temps partiel et, par là-même, caractérisé l’élément intentionnel du travail dissimulé » (Cass. Soc. 15 juin 2018 n°16-28372).

Et dans le même sens une seconde décision rendue en 2018 :
« Ayant relevé que le salarié, qui effectuait un temps complet ainsi que des heures supplémentaires était rémunéré officiellement sur un temps partiel, et que s’agissant d’une petite structure, l’employeur avait nécessairement connaissance du nombre d’heures qu’il faisait effectuer par le salarié, la cour d’appel a caractérisé l’intention de dissimulation » [5].

2/ Lorsque la relation de travail est elle-même dissimulée sous couvert d’une activité commerciale (agent commercial, entrepreneur individuel, société constituée pour dissimuler la relation de travail etc…) :

L’intention de dissimuler de l’employeur a ici été reconnue à l’égard d’un salarié qui, sous couvert d’une activité d’Agent Commercial, travaillait effectivement comme salarié pour l’entreprise obtenant ainsi la requalification de la relation sur toute sa durée en contrat de travail.

Dans cette affaire, la Cour d’Appel d’Orléans du 18 février 2016 avait requalifié la relation de cet Agent commercial avec une société en contrat de travail aux motifs que le salarié apparaissait :

« Sur ses courriels, son papier à lettre et ses cartes de visites comme appartenant à cette dernière, était intégré dans l’organisation du travail de celle-ci, et qu’il exerçait son activité sous les ordres et le contrôle du président auquel il rendait des comptes, percevant une rémunération mensuelle fixe, la cour d’appel a pu en déduire l’existence d’un lien de subordination envers la société ».

Ainsi, le salarié démontrait que sous l’apparence d’une relation commerciale entre un agent commercial et une société était organisée une véritable relation de travail (avec un travail effectué, une rémunération fixée et une subordination hiérarchique établie).

L’intention malicieuse de l’employeur était démontrée puisque la société n’avait donné aucun cadre juridique à la relation contractuelle en n’établissant pas d’écrit et en cherchant à masquer la relation de travail par un contrat commercial verbal.

L’employeur s’était vainement pourvu en cassation, la cour confirmant l’arrêt d’appel aux motifs que :
« Sous couvert de grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine des juges du fond qui ont estimé que l’intention de dissimulation de l’employeur était établie » [6].

3/ Lorsque la convention de forfait en jours du salarié cadre est annulée :

Lorsque le forfait en jours du salarié cadre ne respecte pas les conditions requises, le salarié peut en solliciter l’annulation et réclamer en contrepartie :
- l’application des 35 heures sur toute la durée contractuelle dans le cadre de la prescription triennale.
- et obtenir le paiement de toutes les heures dépassant la durée légale du temps de travail de 35 heures dont il justifie.

Conséquemment, le salarié cadre peut solliciter le règlement de l’indemnité pour dissimulation d’emploi découlant des heures supplémentaires ainsi réclamées lorsque :
- la convention de forfait n’a pas été autorisée par la convention collective,
- la convention de forfait s’avère inapplicable au regard du coefficient du salarié qui ne répondait pas aux conditions d’autonomie nécessaires pour l’application du forfait jour.
- lorsque le volume des courriels échangés conforte la nécessaire connaissance de l’employeur des heures supplémentaires effectuées.

Et la Cour de Cassation valide en ce sens l’arrêt d’appel qui a :
« Relevé que l’employeur, qui avait appliqué une convention de forfait jour qui n’était ni conforme à la classification de la salariée ni autorisée par la convention collective, ne pouvait ignorer la quantité des heures effectuées par le salarié de 2008 à 2012 au regard de l’objet même de son activité, de la petite taille de l’entreprise et de l’envoi de messages le soir et le week-end ; qu’elle a par là-même caractérisé l’élément intentionnel du travail dissimulé… » [7].

III. Enfin, l’absence de contestation par le salarié de sa dissimulation d’emploi durant sa période d’embauche dans l’entreprise ne dédouane pas l’employeur de la dissimulation d’emploi avérée.

Trop souvent l’employeur invoque le silence du salarié durant son embauche pour faire écarter ses demandes de rappel de salaire, congés payés et indemnités de dissimulation d’emploi.

Il est en effet rare qu’un salarié toujours en poste saisisse les tribunaux pour demander le paiement de ses heures supplémentaires et de l’indemnité forfaitaire pour dissimulation d’emploi.

C’est le plus souvent à l’occasion ou après le départ du salarié de l’entreprise qu’il saisira le conseil de prud’hommes en réparation de ses préjudices.

Les Juges très pragmatiques le comprennent aisément, souvent par peur de perdre son emploi, le salarié n’ose tout simplement pas contester sa situation professionnelle tant qu’il est salarié de l’entreprise.

Comme en matière d’heures supplémentaires, l’absence de contestation par le salarié du non-paiement de ses heures supplémentaires durant son embauche, son silence même persistant durant plusieurs années ne dédouane pas l’employeur, ce que rappelle la Cour de cassation :

« Attendu que pour débouter le salarié de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt retient que le salarié n’a jamais interpellé son employeur sur le paiement de ses heures supplémentaires effectuées en sa qualité de responsable de magasin, que ce n’est que dans le cadre de la procédure prud’homale qu’il a formé sa demande en paiement d’heures supplémentaires en sorte que le caractère intentionnel de l’absence de mention des heures supplémentaires accomplies sur les bulletins de paie n’est pas rapporté ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le caractère non intentionnel de la dissimulation d’emploi salarié ne peut se déduire de l’absence de contestation par le salarié du non-paiement des heures supplémentaires accomplies, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (il s’agissait de l’article L.82221-5 du Ocde du travail déjà cité) [8].

Les salariés plus éclairés qui revendiqueront l’indemnité pour travail dissimulé prendront soin de conserver l’ensemble des preuves de leurs heures supplémentaires tels que courriels échangés, copie d’agenda, sms, relevés de badgeages, de pointeuse, attestations conformes à l’article 202 du code de procédure civile, etc…

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[1Cass. Soc. 2 mars 2017 n°16-10263.

[2Cass. Soc. 26 septembre 2018 n°17-15384.

[3Cass. Soc. 28 juin 2017 n°16-12620.

[4Cass. Soc. 18 mai 2017 n°15-23645

[5Cass. Soc. 5 avril 2018 n°16-16573.

[6Cass Soc. 14 février 2018 n°16-15640.

[7Cass. Soc. 5 avril 2018 n°16-22599.

[8Cass. Soc. 11 mai 2017 n°16-13.675.

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