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Le titulaire des droits d’exploitation sur une œuvre collective peut –il librement la faire évoluer ? Par Nathalie Cazeau, Avocat
Parution : lundi 3 décembre 2007
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Dans un jugement rendu par la 3ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris le 7 novembre 2007, les magistrats ont eu notamment à répondre à cette question.

L’affaire opposait un éditeur de dictionnaires à l’un des anciens contributeurs d’un ouvrage collectif intitulé « le Dictionnaire de l’Histoire de France ».

Le demandeur à l’instance était intervenu à la fois comme contributeur (il avait rédigé 25 articles sur les quelques 3000 entrées que comprenait l’ouvrage) et comme conseiller éditorial de l’ouvrage, aux côtés d’un historien réputé, chargé de la direction scientifique.

Un panel d’environ 200 contributeurs avait ainsi travaillé à l’élaboration de l’œuvre collective, sous l’impulsion d’une équipe éditoriale et à l’initiative de la société d’édition.

En 2006, les équipes éditoriales décidèrent de donner à l’ouvrage un nouveau format, afin de permettre son adaptation au marché, et de passer de deux volumes à un seul, de nouvelles illustrations étant apportées à l’œuvre dont l’esprit était cependant conservé.

L’éditeur n’ayant pas eu besoin de recourir aux services de l’ancien conseil éditorial pour cette nouvelle édition qui n’était qu’une version abrégée des précédentes, une simple lettre d’information lui fut envoyée, pour l’informer de la parution de la nouvelle édition de cet ouvrage collectif.

Il lui était également précisé que son nom ne serait plus mentionné comme conseil éditorial sur la couverture, mais uniquement en tant que contributeur, au sein de la liste des contributions.

Un encart rappelait toutefois sa contribution passée dans la précédente édition en tant que conseil éditorial.

Cette démarche heurta l’ancien collaborateur de l’éditeur, qui fit savoir aussitôt sa désapprobation sur ce nouveau projet éditorial, et invoqua la violation de ses droits moraux en considérant qu’en modifiant « unilatéralement, la conception du Dictionnaire initial » pour lui substituer une autre conception, l’éditeur avait violé son droit moral.

Il assigna donc l’éditeur devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, en sollicitant entre autres mesures, l’interdiction de la vente de l’ouvrage en cause.

Le demandeur faisait valoir qu’il avait rédigé 25 articles de l’ancienne édition du Dictionnaire, et que, tout en reconnaissant qu’il s’agissait bien là d’une œuvre collective, il devait néanmoins en être considéré comme auteur « de sa conception. »

Il soutenait en outre qu’en qualité de conseiller éditorial, l’ouvrage était emprunt de sa personnalité et que de ce fait également, il devait en être considéré comme le
coauteur, aux côtés de l’historien ayant assuré la direction scientifique de l’ouvrage.

Dans cette affaire, le Tribunal a statué sur deux questions principales, qui portent d’une part sur le statut d’un contributeur à un ouvrage collectif, et d’autre part, sur le droit pour un éditeur de modifier un ouvrage collectif, sans avoir à recueillir l’accord préalable des contributeurs.

1/ Le contributeur d’une œuvre collective ne peut revendiquer un statut d’auteur sur l’ensemble de l’ouvrage :

Dans leur décision, les magistrats ont rejeté le raisonnement suivi par le demandeur sur ces points, tout en adoptant une analyse riche en enseignements.

Le Tribunal a tout d’abord rappelé le principe selon lequel l’ouvrage en cause étant une œuvre collective au sens de l’article L 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, ses droits d’exploitation appartiennent à l’éditeur.

Selon le Tribunal en outre, la mission de conseil éditorial confiée au demandeur à l’instance ne lui confère pas automatiquement la qualité de coauteur de l’œuvre collective, contrairement à ce qu’il a prétendu.

Il lui appartient en effet, relève le Tribunal de démonter que l’œuvre collective porte dans son ensemble, l’empreinte de sa personnalité.

Sur les deux aspects évoqués ci dessus, la décision rappelle à juste titre, d’une part qu’en matière d’œuvre collective, les droits d’exploitation appartiennent à l’éditeur, et que de ce fait, un contributeur ne peut par principe, revendiquer un droit d’auteur sur l’ensemble de l’ouvrage, sauf alors, à soutenir que l’œuvre dont s’agit perdrait son statut collectif.

Rappelons en effet que la qualification d’œuvre collective résulte des conditions d’élaboration de l’œuvre, qui font intervenir, au premier plan, une personne, morale ou physique. C’est cette personne – le plus souvent une personne morale- qui décide des conditions et modalités d’élaboration de l’œuvre.

Pour ce faire, la personne qui prend l’initiative de l’élaboration de l’ouvrage collectif organise le travail des contributeurs personnes physiques, qui ne sont donc pas auteurs de l’œuvre prise dans son ensemble, puisqu’elles travaillent sous le contrôle et la direction de la personne morale et que leurs contributions se fondent dans un ensemble.

Abordant ensuite la qualité de conseiller éditorial, également mise en avant par le demandeur, le Tribunal retient tout à fait à bon droit que cette mission ne peut, en elle même donner prise au droit d’auteur, ceci conformément à une jurisprudence constante en la matière.

La Cour de cassation a en effet admis de longue date, dans un arrêt du 1er Juillet 1970, qu’un contributeur, intervenu également au stade de la coordination du travail de création d’une œuvre collective, était dépourvu de droits sur cette œuvre, prise dans sa globalité.

La Cour de cassation a pu en outre, dans un arrêt du 27 février 1990, sur le terrain des œuvres protégées, refuser la protection accordée aux auteurs d’œuvres de l’esprit par le Code de la Propriété Intellectuelle au directeur d’une collection d’ouvrages d’art

En ce qui concerne l’œuvre collective, la Cour de cassation a également confirmé cette analyse dans l’affaire KANNAS, suivant arrêt rendu le 3 avril 2002, rejetant un pourvoi contre un arrêt rendu le 12 janvier 2002 par la Cour d’appel de Paris.

Cet arrêt avait rejeté les prétentions d’une salariée d’une maison d’édition, qui prétendait à des droits d’auteur sur un dictionnaire, œuvre collective, en invoquant, à l’instar du demandeur dans l’affaire ci-dessus, son travail de conception et de direction de l’ouvrage.

La Cour d’appel de Paris résumait sa position de la façon suivante :

« Qu’en effet, cette œuvre a été rédigée par de nombreux collaborateurs salariés dont les noms figurent en page de l’ours et que le fait que le nom de Claude KANNAS apparaisse en qualité de conceptrice et de directrice n’en modifie pas sa nature dans la mesure où la réalisation de cet ouvrage collectif entrait dans les attributions qui étaient dévolues à l’appelante dans le cadre de son contrat de travail.

Que si aux termes de l’article L.113-1 du Code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre a été divulguée, et donc en l’espèce à la société intimée, Claude KANNAS ne verse aux débats aucun document probant destiné à démontrer qu’elle a seule et personnellement conçu et créé intellectuellement le dictionnaire SUPER-MAJOR, qui n’est que le fruit d’un travail collectif dans lequel elle a assuré, dans le cadre de son contrat de travail, un rôle de conception, de maîtrise d’œuvre et de coordination. »

La Cour d’appel de Paris prenait alors clairement, position retenant l’absence de qualité d’auteur de ces concepteurs, en présence d’un travail collectif.

Les décisions rendues dans le litige opposant l’héritière de Paul Robert à la société Dictionnaire Le Robert confirment cette logique, en restituant au Dictionnaire « Petit Robert » sa qualification d’œuvre collective, en dépit des accords passés entre les parties, et en dépit du rôle d’initiateur et de concepteur tenu par Paul Robert pour l’élaboration du dictionnaire

Dans le jugement du 7 novembre 2007, il convient de noter cependant la nuance, faite par les juges sur ce point, qui ont souligné en effet que la dite mission ne conférait pas« automatiquement » au demandeur la qualité de coauteur de l’ouvrage.

Est-ce à dire que si le demandeur avait pu démontrer que l’œuvre collective avait été empreinte de sa personnalité, il aurait peut être pu obtenir gain de cause sur ce point tout en maintenant la qualification d’ouvrage collectif ?

On pourrait le penser, et cette nuance, établie par les magistrats pourrait prêter à discussion.

En effet, la notion d’œuvre collective est en contradiction avec l’hypothèse ici visée par le jugement.

Assurant une mission de conseil éditorial au profit d’un éditeur, lui- même titulaire des droits d’exploitation sur une œuvre collective, on voit mal comment un prestataire de services pourrait faire valoir une quelconque qualité d’auteur d’une œuvre qui par définition est conçue par l’ensemble de l’équipe éditoriale du fait de son caractère collectif.

Si véritablement le conseiller éditorial avait été en mesure de démontrer sa qualité d’auteur de l’œuvre prise dans son ensemble, c’est alors la qualification tout entière de l’ouvrage qu’il aurait fallu remettre en cause.

La logique de l’œuvre collective interdit en effet de considérer qu’un contributeur puisse revendiquer un droit sur l’ensemble de l’ouvrage, à partir du moment où nous sommes en présence d’un ouvrage édité à l’initiative et sous la direction d’une personne morale.

Poursuivant son analyse sur cet aspect du dossier, le Tribunal relève, pièces a l’appui, que le demandeur avait certes pris une part prépondérante dans la conception et dans la réalisation de l’ouvrage, mais que cette part était insuffisante à établir qu’il était l’auteur de l’ouvrage et que celui ci portait l’empreinte de sa personnalité.

Le Tribunal relève également, pour motiver son analyse sur ce point l’importance de la participation d’autres contributeurs pour en conclure que « l’ouvrage apparaît comme étant le fruit d’un travail d’équipe, ce qui est la définition de l’œuvre collective. »

Là encore, l’analyse effectuée par les magistrats est intéressante en ce qu’elle rappelle clairement la principale caractéristique de l’œuvre collective, qui se doit d’être le fruit d’un travail d’équipe.

Ceci dit, l’appréciation du caractère collectif d’un ouvrage doit aussi s’effectuer par rapport au contexte dans lequel l’œuvre est réalisée à l’initiative et sous l’impulsion de l’éditeur au travers des équipes qu’il anime.

Sur ce point, on peut retenir que quelque soit l’importance d’une fonction de conseil éditorial ou de directeur de collection, fonction qui est exécutée par un prestataire de services pour le compte d’un éditeur, la notion même d’œuvre collective ne permet pas à ces prestataires de revendiquer un droit d’auteur sur l’ensemble de l’ouvrage.

En d’autres termes l’importance qualitative de leur contribution, n’est pas l’élément clé qui définit le statut de ces contributeurs car même si cette contribution est fondamentale, elle ne peut pour autant aboutir à leur reconnaître la qualité d’auteur, puisque l’ouvrage est justement réalisé et créé dans un contexte qui implique la participation d’une équipe toute entière.

L’appréciation du caractère collectif de l’œuvre ne se fait donc pas en mesurant l’importance de l’apport de chacun des contributeurs dans la réalisation de l’œuvre collective, mais plutôt en faisant le constat d’un travail d’équipe, effectué à l’initiative et sous la direction d’un éditeur, peu important la façon dont cet éditeur s’organise, en recrutant des directeurs de collection ou des conseillers éditoriaux et peu important l’importance de leur contribution, en tant que prestataires de services.

2/ Le titulaire des droits d’exploitation d’un ouvrage collectif peut librement modifier l’ouvrage et éditer une nouvelle version de l’œuvre :

La seconde question posée au Tribunal était également fort intéressante.

Le demandeur avait en effet prétendu que l’édition remaniée du dictionnaire correspondait à une œuvre dérivée de la version précédente, et que par conséquent, l’éditeur ne pouvait réutiliser les anciennes contributions sans son autorisation pour la nouvelle version puisque les dites contributions avaient été reprises dans un ouvrage qui ne correspondait pas à l’esprit du premier.

Autrement dit, un éditeur qui décide de remanier une œuvre collective et d’en éditer une nouvelle version est –il contraint de demander leur autorisation à chacun des anciens contributeurs au motif que l’œuvre nouvelle ne correspond plus exactement à l’œuvre précédente ?

La question, on s’en doute, revêt une importance certaine, puisqu’est en cause la liberté pour un éditeur, de faire évoluer une œuvre collective pour prévoir son adaptation au marché, et finalement, pour permettre une meilleure diffusion ce qui est un gage de la pérennité de toute œuvre.

L’œuvre collective doit-elle restée figée au nom du respect des droits moraux de chaque contributeur ?

La réponse du tribunal a été négative, fort heureusement.

Sur ce point, les magistrats ont en effet relevé : « L’examen des ouvrages parus en 1999 et celui paru en 2006, montre que ce dernier apparaît comme une version abrégée des premiers. »

Les magistrats ont également souligné que dans la nouvelle version de l’ouvrage, un certain nombre d’entrées avait été supprimé mais que les textes qui restaient n’avaient pas été remaniés sauf actualisation.

Le Tribunal en a donc conclu que l’ouvrage de 2006 était une œuvre collective quand bien même il aurait été totalement modifié, et que, bien qu’abrégé pour des besoins commerciaux, cet ouvrage restait bien une version du dictionnaire d’origine avec notamment de nombreuses entrées culturelles.

En conséquence, les juges en ont conclu que le dictionnaire paru en 2006 était une œuvre collective qui n’est autre qu’une édition nouvelle remaniée de l’édition parue en 1999, et pour laquelle une autorisation des contributeurs n’était pas nécessaire.

La réponse à la question posée semble claire à première vue, mais le raisonnement suivi par les juges, pour parvenir à ce résultat mérite d’être examiné, car il est riche en enseignements.

En effet, les magistrats ont examiné la nouvelle édition, objet du litige, et l’ont comparé avec les précédentes. Ils en ont déduit que l’ouvrage de 2006 ne perdait pas son caractère d’œuvre collective, en relevant que tel aurait aussi été le cas « s’il avait été totalement modifié ».

Ce pourrait signifier implicitement, selon les magistrats que le critère tiré de l’importance des modifications apportées à l’œuvre collective est inopérant pour déterminer si nous sommes toujours en présence d’une œuvre collective ou non.

En d’autres termes, et dès lors qu’une œuvre collective est rééditée, elle ne perd pas sa nature en fonction des modifications apportées au dit ouvrage par l’éditeur, titulaire des droits d’exploitation.

Le raisonnement est parfaitement logique. En effet, une œuvre collective ne perd pas son statut au motif que des modifications y auraient été apportées par le titulaire des droits d’exploitation.

On ne peut que se féliciter d’un tel raisonnement, totalement compatible avec la notion même d’œuvre collective, qui doit pouvoir évoluer sans être soumise par principe à l’accord préalable des contributeurs ayant participé à l’ouvrage.

Ceci dit, et c’est heureux, la liberté ainsi conférée à l’éditeur n’est évidemment pas totale.

En effet, bien qu’ayant affirmé que l’ouvrage n’aurait pas perdu son caractère collectif « quand bien même il aurait été totalement modifié », les premiers juges ont cependant veillé à examiner le type de modification apportée à l’œuvre, par l’éditeur.

Le jugement sur ce point, s’est attaché à souligner que l’esprit de l’œuvre avait été conservé.

Bien que ce cheminement puisse paraître contradictoire à première vue, on ne peut cependant que l’approuver.

En effet, si le titulaire des droits sur une œuvre collective dispose du droit de modifier celle –ci sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord préalable des contributeurs, ce droit doit cependant s’exercer avec loyauté, et sans abus.

C’est pourquoi, et sans affirmer qu’il s’agirait là d’une condition, les magistrats se sont pourtant attachés à vérifier la nature des modifications apportées à l’ouvrage par l’éditeur dans sa nouvelle version.

Ils ont en effet observé que « bien qu’abrégé pour des besoins commerciaux, cet ouvrage reste une version du dictionnaire d’origine avec notamment de nombreuses entrées culturelles. »

Est – ce à dire que le jugement eut été différent, si l’ouvrage en cause n’était en rien une version du dictionnaire d’origine ou si son esprit avait été totalement modifié ?

La question mérite d’être posée, et la réponse est en réalité assez complexe.

D’un côté en effet, la loi autorise l’auteur d’une œuvre collective à en publier une nouvelle, à partir de l’œuvre première. S’il s’agit d’une œuvre dérivée, c’est l’accord de l’auteur premier qu’il faut obtenir, et donc, de l’éditeur, titulaire des droits sur l’œuvre collective : on le voit ici, ce cas n’exige donc pas l’accord préalable des contributeurs, mais celui du titulaire des droits sur l’œuvre première.

De l’autre, bien sûr, ce droit ne peut s’exercer sans respecter le droit moral de chacun des contributeurs, qui, bien qu’ayant participé à une œuvre collective doivent voir leurs contributions respectées, au plan moral.

Sur ce plan, peut-on considérer que l’édition d’un ouvrage entièrement nouveau, élaboré à partir des contributions de l’œuvre ancienne, mais dans un contexte totalement différent, porte atteinte au droit moral des contributeurs ?

Ces derniers ont –ils le droit de faire valoir que leurs contributions n’ont été fournies que dans un contexte particulier, et peuvent ils revendiquer un droit au maintien de l’ancienne structure de l’ouvrage ?

Aucune réponse claire n’a pour l’instant été donnée à cette question par la jurisprudence, mais il se pourrait qu’un critère fasse la différence entre la liberté d’évolution de l’œuvre collective, et la limite apportée à ces droits.

En effet, dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du 7 novembre 2007, les magistrats avaient relevé que les contributions en elles mêmes – sauf pour les besoins de réactualisation ce qui paraît normal pour ce type d’ouvrage- n’avaient pas été modifiées par les nouvelles équipes éditoriales.

En d’autres termes, l’œuvre collective avait certes évolué, mais cette évolution concernait sa structure globale, son architecture extérieure.

En revanche, il n’avait été apporté aucune modification aux textes mêmes des contributeurs, qui avaient été soit supprimés, soit repris dans leur intégralité.

Peut être, la réponse du Tribunal eut-elle été différente si l’éditeur avait aussi modifié intrinsèquement le contenu des contributions, sans en avoir avisé les contributeurs.

En réalité, rien ne permet de l’affirmer.

En effet, il est clair que l’éditeur d’une œuvre collective a le droit d’en modifier la structure, mais aussi le contenu intrinsèque.

Dans cette dernière hypothèse, et peut être parce que le travail des contributeurs est ici directement en cause, les magistrats vont s’attacher à vérifier le type de modification apportées, et se pencher sur les motifs de ces modifications.

Ainsi , la Cour de Cassation a du se pencher sur cette question, dans un arrêt rendu le 16 décembre 1986.

Dans cet arrêt, la Cour de Cassation avait dû statuer dans un cas où l’éditeur d’un dictionnaire de droit des affaires, œuvre collective, avait procédé à des modifications des contributions d’un auteur, qui se trouvait par ailleurs rédacteur en chef de l’ouvrage.

La Cour de cassation a considéré , sur cette question, que « si l’auteur d’une contribution à une œuvre collective demeure investi du droit moral de l’auteur au respect de son œuvre, ce droit est limité par la nature collective de l’œuvre, qui impose la fusion des contributions de l’auteur dans un ensemble, de sorte que le responsable de la publication est en droit d’apporter aux contributions des différents auteurs les modifications que justifie la nécessaire harmonisation de l’œuvre dans sa totalité. »

On le voit, cet arrêt considère à juste titre que le titulaire des droits d’exploitation peut parfaitement modifier le contenu même des contributions des différents participants à l’ouvrage collectif, dès lors que ces modifications sont justifiées par la nécessaire harmonisation de l’œuvre dans sa totalité.

Autrement dit, ce droit de modification est admis d’une part parce que nous sommes en présence d’un ouvrage collectif, et d’autre part, parce que ce droit s’exerce de façon motivée, dans le respect de la finalité de l’ouvrage collectif.

C’est peut être là un rempart contre des modifications abusives, ou intempestives, qui ne trouveraient aucunement leur justification dans la finalité de l’œuvre, mais un tel critère de par sa subjectivité, ne peut qu’être source d’insécurité juridique.

En effet, quand et comment peut –on affirmer qu’une modification est ou n’est pas effectuée dans le but d’harmoniser l’ouvrage ?

Ne risque –t- on pas d’aboutir, au travers d’une telle analyse, à une appréciation sur le mérite de l’œuvre nouvelle, par rapport à l’œuvre ancienne ?

Et appartient-il à la juridiction de se prononcer sur les motifs des modifications, et sur leur nécessaire harmonisation avec l’œuvre nouvelle ?

Au fond, ce critère tiré de la nécessaire harmonisation de l’œuvre ne relève-t-il pas de la notion d’abus de droit et de loyauté dans l’exécution des conventions ?

Autrement dit, sans qu’il soit nécessaire d’édicter un critère particulier tel la notion d’harmonisation de l’œuvre, le principe n’est –il pas tout simplement qu’un éditeur a le droit de faire évoluer un ouvrage collectif, que ce soit dans sa structure externe, ou en procédant à des modifications des textes mêmes des contributions, dès lors que ce droit ne s’exerce pas de façon abusive, et déloyale, vis à vis des contributeurs.

Après tout, les contributeurs sont liés à l’éditeur par un contrat, quelque soit sa nature, et ce contrat doit s’exécuter de façon loyale, et sans abus.

Nathalie CAZEAU

CAZEAU et Associés

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